Texte intégral
N. Demorand.- Le RSA, Revenu de Solidarité Active pour lequel vous avez accepté d'entrer au Gouvernement est donc dans les rails, direction l'Assemblée nationale. Juste un mot rapide. Vous êtes fier d'avoir réussi à rendre réel, concret, ce dispositif ?
Soulagé en tout cas, et...
Fier ?
Non. "Fier" ce n'est pas le mot, vraiment, c'est plus soulagé et plus soulagé qu'autre chose, et puis, volontaire. Non, pas de fierté.
Vous redoutez une rude bataille parlementaire ?
Ça dépend. Je ne redoute pas "une bataille parlementaire", c'est normal qu'il y ait un débat et je trouve ça essentiel que, sur ces sujets-là, tout d'un coup, il se passe que ça soit au coeur de l'espace politique. Parce que ces sujets-là c'était en général à la marge, donc c'était quelque chose qu'on discutait entre trois militants associatifs passionnés de la cause et on n'arrivait jamais à le... Donc, que ce soit en session extraordinaire, que ce soit un des principaux textes, que ce soit quelque chose qui fasse couler beaucoup d'encre, beaucoup débattre, beaucoup de salive, ça c'est très bien. Je redoute quelquefois des choses un peu collatérales, qui viennent finalement envoyer des contre messages.
"Collatérales" à gauche, "collatérales" à droite, les deux ?
Si vous voulez, quelle est la démarche qu'on a faite ? Pourquoi est-ce que le RSA arrive aujourd'hui et pas il y a dix ans ? Parce qu'il y a dix ans, il y avait l'urgence du Revenu de Solidarité Active, il y avait déjà le RMI qui explosait, il y avait déjà des gens qui n'arrivaient pas à s'en sortir, il y a déjà des gens qui reprenaient du travail et qui perdaient de l'argent. Pourquoi est-ce que depuis dix ans on n'a pas été fichus de faire le Revenu de Solidarité Active ? Pour une simple raison, c'est parce qu'à chaque fois l'argument c'était de dire : mais, oui, t'as raison, les pauvres ils sont malheureux, bien évidemment qu'il faudrait leur donner plus, mais tu penses ! Les classes moyennes ne vont jamais l'accepter ! Et c'était à chaque fois... chaque fois on était prêt d'y arrivait, on vous disait qu'il était quand même politiquement impossible d'aller chercher de l'argent pour s'occuper des pauvres. Et donc, aujourd'hui, on le fait, et je vois revenir cet argument quelquefois sur les classes moyennes, que je trouve très malsain, très malsain, parce que, ce qu'on a essayé de faire c'est justement de mettre fin à cette sorte de clivage dans lequel on opposait les uns contre les autres.
Bon. La gauche, la droite, les deux critiquent, et parfois pour les mêmes raisons, ce texte du RSA. L'aile libérale de la droite n'aime pas les taxes ; l'aile sociale de la droite n'aime pas l'assiette sur laquelle les taxes vont être prélevées ; la gauche, non plus. Est-ce que vous redoutez quelque chose pour le financement de ces RSA ?
D'abord, je pense qu'on a choisi le financement le plus efficace, le plus juste, le plus juste socialement, et celui qui est le plus indolore pour l'économie. En faisant quoi ? En allant prélever 1,1 % sur les revenus du capital. En ne touchant pas aux revenus du travail, en ne pesant pas sur les petites retraites, par exemple - ce qui aurait le cas si on avait pris la CSG -, en n'allant pas alourdir les charges des entreprises auxquelles on va demander par ailleurs de redoubler d'efforts pour embaucher des gens en difficulté.
Oui, mais J.-F. Copé dit : on n'a pas été élus pour créer des taxes ! Ça, ça vient de la droite, hein ?
Oui, oui, mais j'ai entendu le débat...
Mais vous dites quoi à ça ? C'est, j'imagine, une question qui va vous êtes posée au Parlement, qui a déjà dû vous être posée 25 fois par des députés de la majorité ?
Qui a été posée pendant les trois dernières semaines, en se disant : est-ce que effectivement ça en vaut la peine ou pas ? Je crois que la question est tranchée. Effectivement, il y a une question en disant : est-ce que sortir des centaines de milliers de personnes de la pauvreté, est-ce que de soutenir 3,5 millions de personnes, est-ce que ça vaut, oui ou non, une taxe de 1,1 % sur les revenus du capital ? Cette question s'est posée, et c'est normal elle se posait depuis dix ans. Et puis la réponse va être, oui. Et j'espère que la réponse sera oui, de tout le monde.
Vous l'espérez, donc, vous n'avez pas encore totalement convaincu la majorité, on va rester sur la majorité pour l'instant ?
Je ne sais pas. Je considère qu'à chaque fois, les choses sont acquises après les votes. Donc, le vote... le débat aura lieu. Moi je ne suis pas parlementaire, je ne suis pas élu, je n'ai jamais fait de politique professionnelle, mais il me semble que le débat au Parlement il sert à ça. Donc, on ne dit pas ce qui se passe avant, on regarde ce qui se passe pendant, et on est... voilà. C'est un moment difficile, c'est un moment important. Et puis, voilà, je pense que les dés ne sont pas jetés.
Donc, il y a encore une part d'incertitude, d'après vous ?
L'incertitude pour moi, elle est : est-ce qu'on va donner un élan suffisamment fort pour pouvoir mobiliser tous les acteurs derrière cela ? Voilà, l'incertitude, elle est plus...En revanche, il y a des certitudes sur quelques points. Est-ce que le RSA ça marche ? Réponse, oui. Est-ce que ça aide les gens à s'en sortir ? Réponse, oui. Est-ce que le financement permet de boucler tout le budget du RSA ? Réponse, oui. Est-ce que ça va peser sur les pauvres ? Réponse, non. Voilà.
Ça c'est un certain nombre de questions importantes, effectivement. À part le financement, on peut lire un reportage sur vous dans Libération, ce matin, qui vous a suivi pendant 48 heures ; les 48 dernières heures, donc avant le débat à l'Assemblée nationale. Et il y a un petit mot sur vos lectures : S. Paugam, R. Castel, deux sociologues du travail, des inégalités sociales. S. Paugam, notamment, j'en avais fait état au micro de France-Inter, critique le dispositif du RSA, il laisse de côté la question du financement, mais il critique le fait que ce dispositif pourrait avoir des effets néfastes, notamment sur le temps partiel, et notamment sur le fait que les salaires pourraient ne pas augmenter dès lors que le RSA va compenser les choses. Sur ces deux critiques de fond, là, des effets pervers éventuels de votre dispositif, vous dites quoi ?
D'abord, le RSA va augmenter les revenus des gens à temps partiel, oui, c'est sûr. Je pars des fondamentaux. Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? Une maman, avec un enfant à charge, qui travaille à mi-temps, et qui n'arrive pas à passer à plein-temps, elle a 553 euros, elle aura à partir de juin 883 euros. Donc je pense qu'elle ira mieux ; je pense qu'elle pourra mieux s'occuper de son enfant ; je pense qu'elle pourra mieux faire face aux contraintes de la vie quotidienne ; et je pense que, elle aspirera toujours à passer à plein-temps pour passer à 1.200 euros par mois.
Donc, ça, c'est l'effet immédiat du RSA...
Absolument.
Sur les effets donc à plus long terme, les effets secondaires, est-ce que vous les admettez ?
Oui, j'admets qu'il peut y avoir des effets à temps partiel, pardon, des effets secondaires et des risques. C'est une question... S. Paugam était membre de la commission qui a unanimement décidé le Revenu de Solidarité Active. Il y a eu un moment dramatique dans cette commission, où on s'est arrêtés parce que, effectivement, il y avait les uns qui disaient "et le temps partiel", il y avait les autres qui disaient "et les employeurs", comment vont-ils se comporter ? On s'est arrêté deux minutes, et on s'est dit : est-ce que, du coup, on renonce au RSA, est-ce qu'on prend le statu quo, est-ce qu'on prend le RMI, est-ce qu'on maintient l'allocation parents isolés, est-ce qu'on maintient ce système dans lequel on perd de l'argent quand on reprend du travail ? Et tout le monde a dit, tout le monde a dit "non", le RSA, avec des effets secondaires, éventuels, potentiels, ça vaut mieux. Depuis, on s'est dit aussi : pour le tester sur le terrain, on va regarder ce que donnent ses effets secondaires. Depuis des mois que nous expérimentons le Revenu de Solidarité Active, dans les zones où on l'expérimente, il n'y a pas plus de temps partiel, il n'y a pas plus de précarité, il n'y a pas des salaires moins élevés. Et...
Ça vous en êtes sûr ? Aujourd'hui, les expérimentations le disent ?
Ça, c'est les faits mais je ne sais pas dire ce qui est pour le moyen et le long terme. Mais ce que je sais dire, c'est que les effets de moyen et de long terme on saura les détecter. Qu'est-ce que nous proposons ? Nous proposons de mettre en place une observation régulière pour voir si, oui ou non, le temps partiel augmente, s'il y a effectivement... s'il se passe quelque chose de... Dans ce cas-là, il faudra le corriger. Mais si on ne met pas d'abord le remède, on ne voit pas les effets secondaires.
Le corriger comment ? D'après vous, c'est quel type de dispositifs, c'est conditionner les allègements de charges des entreprises à l'augmentation des salaires et la réduction du temps partiel ?
Il y a une chose : en 1992, il y avait une bêtise qui avait été faite, qui consistait à faire... A l'époque, on voulait du temps... on voulait aider le temps partiel. Et du coup, on avait fait des allégements de charges plus faibles pour les entreprises qui prenaient du temps partiel. Résultat, en 1992, quand une entreprise prenait deux personnes à mi-temps, ça lui coûtait moins cher que de prendre une personne à plein temps. Ceci a été corrigé ensuite. Donc, aujourd'hui, c'est neutre. Le RSA ne change rien à cela. Si on s'aperçoit qu'il y a plus ou trop de temps partiel dans certaines branches, dans ce cas-là, je trouve qu'on pourra envisager de dire que, les allégements de charges sur les temps partiels doivent être proportionnellement moins élevés que sur le plein-temps. Mais il ne faut peut-être pas traiter de la même manière un certain nombre de petits secteurs artisanaux dans lesquels le temps partiel est la voie normale d'accès au plein-temps ; les secteurs d'aide à la personne dans lesquels il y a certainement à restructurer l'emploi, que la grande distribution ou d'autres secteurs.
Dernière question personnelle, vous aviez dit que vous entriez au Gouvernement pour "une mission : faire en sorte que le RSA existe", mission quasiment accomplie. C'est fini l'expérience gouvernementale pour M. Hirsch ?
La mission n'est pas quasiment accomplie ; il y a le Parlement, il y a... je ne sais pas... Il y a différentes... mais on s'en fiche quoi... excusez-moi, mais...
Non, mais j'ai le droit de vous poser la question, vous avez le droit de me répondre ce que vous voulez, hein !
Oui, oui, vous avez tout à fait le droit. Le RSA maintenant, tout le monde se l'est approprié, j'espère que tout le Parlement se l'appropriera, j'espère que le côté... que la poutre que constitue le RSA ne fera pas...ne sera pas occultée par la petite paille du bouclier fiscal, mais, voilà. Ce qui m'arrive, ça n'a aucun intérêt.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 septembre 2008