Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté à RMC le 29 septembre 2008, sur la mise en place et le financement du revenu de solidarié active (RSA), les bas salaires, la pauvreté et les niches fiscales.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


 
 
 
J.-J. Bourdin.- M. Hirsch, bonjour. Merci d'être avec nous ce matin. 25 % des femmes et des hommes qui poussent la porte des Restos du Coeur, du Secours Populaire, ou d'autres organisations, sont des salariés. Est-ce que ça vous inquiète ?
 
Oui, ça m'inquiète depuis longtemps et c'est pour ça qu'on essaye de répondre exactement à cette situation-là : travailleurs pauvres, personnes qui, bien qu'ayant un salaire, ne peuvent pas avoir suffisamment d'argent pour se nourrir, se loger, se vêtir, se transporter, etc. Et ceux-là, c'est la priorité du Revenu de Solidarité Active, puisqu'ils auront en moyenne 110 euros de plus par mois, 110 euros de plus par mois, ce qui n'est pas le Pérou, ce qui n'est pas un pactole, ce qui n'est pas injustifié, ce qui est la moindre des choses pour éviter qu'on... Ce qui m'a beaucoup frappé dans cette situation-là, c'est que non seulement ils vont aux Restos du Coeur, mais souvent ils ont besoin de prendre un crédit à la consommation pour boucler les fins de mois.
 
Oui, exact. On va revenir sur le RSA. Mais je voudrais rester sur ces travailleurs pauvres. Combien gagnent-ils ces travailleurs pauvres : 1.000, 1.100, 1.200 euros, parfois moins, mais parfois aussi, 1.000, 1.100, 1.200 euros ; ils sont seuls ou ils ont une femme et peut-être un ou deux enfants, ils n'arrivent pas, ils n'arrivent plus à boucler les fins de mois. Eux, on ne va pas parler de RSA ?
 
Si !
 
Si ?
 
Si, justement, justement.
 
Pourquoi ?
 
Parce que le RSA il est fait, d'un côté, pour aider les allocataires du RMI, et de l'autre, pour aider les salariés modestes. Reprenons votre exemple...
 
Alors, prenons l'exemple de quelqu'un qui gagne 1.200 euros par mois.
 
Voilà, on va prendre quelqu'un qui a deux enfants, qui a un Smic, plus 200 euros d'allocations diverses, il aura 200 euros de plus par le Revenu de Solidarité Active. Le Revenu de Solidarité Active, ce n'est pas uniquement pour ceux qui sont aujourd'hui...
 
Oui, mais ça va durer combien de temps ? ! Il va le toucher combien de temps ?
 
Tant qu'ils en ont besoin, tant qu'ils en ont besoin.
 
Tant qu'il a besoin.
 
C'est pour cela que je n'hésite pas à dire que c'est une petite révolution cette affaire-là, que le Revenu de Solidarité Active c'est pile poil ce qu'il faut au moment...
 
Mais qui jugera s'ils en ont encore besoin ?
 
Le montant de leurs revenus. C'est un complément. Si vous voulez, quand vous êtes riche, vous payez des impôts, quand vous êtes modeste, il faut qu'une partie des impôts vienne s'ajouter à vos propres revenus pour faire en sorte que vous puissiez sortir la tête de l'eau autant que nécessaire.
 
Tous les Français qui sont à 1.200 euros aujourd'hui vont bénéficier du RSA ?
 
Ça dépend de leurs charges de famille. Tous les Français qui sont à 1.000 euros sans charge de famille, oui, là, jusqu'à 1028 euros pour... et puis ensuite ça augmente, jusqu'à 1800 euros, en fonction des charges de famille. Donc, c'est effectivement quelque chose qui concerne tous les salariés modestes. C'est pour ça que, quand on regarde, il y a 3,5 millions de ménages qui vont bénéficier du Revenu de Solidarité Active, dont 2 millions qui sont des salariés modestes.
 
2 millions des salariés modestes
 
Il n'y a pas de différence, si vous voulez, on essaye de... pardon...
 
Allez-y, il faut que tout le monde comprenne, parce qu'on a dit tellement de choses autour du RSA, je veux comprendre !
 
Je voudrais dire très précisément aux gens qui sont au Smic, aujourd'hui, qui ont des difficultés, par le RSA, ils ne vont pas se faire doubler par des gens quoi étaient aujourd'hui plus pauvres qu'eux et puis qui, tout d'un coup, vont les doubler, non. Eux aussi vont avoir leurs ressources améliorées, augmentées, grâce au Revenu de Solidarité Active, c'est pour ça que ça coûter cher.
 
C'est pour ça que ça coûte cher. On va parler du financement dans un instant. Donc, comment je ferai ? Je déposerai un dossier où, concrètement, le jour... une fois que le texte sera voté ? Il sera voté ?
 
Ça passera par les Caisses d'allocations familiales. Alors, la plupart des gens sont déjà, j'allais dire, dans les fichiers des caisses d'allocations familiales, soit parce qu'ils ont des aides au logement, soit parce qu'ils ont des prestations familiales, soit pour certains d'entre eux, parce qu'ils perçoivent des minima sociaux. Donc, on estime que les deux tiers ou les trois quarts à peu près des 3,5 millions de ménages sont déjà... Et donc, les allocations familiales, les Caisses d'allocations familiales vont leur envoyer un petit mot. Et puis les autres, on s'adressera à eux et puis on mettra en place tous les moyens d'information pour qu'ils l'aient le plus vite possible, c'est-à-dire, en juin prochain.
 
Ça sera voté quand, le 7, le 8 octobre ?
 
Alors, vous savez qu'il y a d'abord l'Assemblée nationale, (où) ça devrait se terminer le 7 ou le 8 octobre effectivement. Puis ensuite, on repassera au Sénat fin octobre, et puis ensuite, on reviendra à l'Assemblée nationale.
 
Le trajet habituel. Vous avez vu ? Combien ? 20, 30 députés pour le début du discours, enfin du débat sur le RSA ?
 
29, je crois.
 
29 députés ! C'est une honte pour la République ? Attendez ! Ce texte nous est présenté comme un texte essentiel. Le RSA, un texte qui bouleverse une partie de notre monde, en France, et il y a 29 députés qui viennent en discuter !
 
Moi, j'ai fait comme s'il y en avait 577 et je me suis adressé à...
 
Ca vous a énervé un peu, soyons franc ?
 
Non, ça ne m'a pas énervé ce jour-là, parce que j'avais déjà vu cette situation-là, donc, je pense que c'est pour ça qu'on réforme la Constitution, qu'il y a un petit problème de réglage dans le fonctionnement de nos institutions...
 
C'étaient des opposants surtout ?
 
...Ensuite, on m'a expliqué que, comme était le jeudi après-midi, ce n'était pas commode pour les uns, pour les autres. Mais sur les 577 députés, il y en a à peu près 577 qui ont une opinion sur le RSA et qui l'ont exprimée à un moment donné. Donc, je n'étais pas forcément, à ce moment-là, mais ils la ré-exprimeront à un autre moment. Je pense qu'ils seront nombreux pour voter.
 
Alors, le financement de ce RSA ? D'abord, ça va coûter combien ?
 
Le RSA, c'est quelque chose qui va remplacer beaucoup de choses : qui va remplacer les 5 milliards du RMI, qui va remplacer le milliard de l'Allocation Parents isolés, qui va remplacer le milliard des mécanismes temporaires qu'on donne à ceux qui reprennent de l'emploi, et auxquels on a rajouté 1,5 milliards d'euros. Donc, c'est à peu près 9,5 milliards d'euros en tout du Revenu de Solidarité Active, dont 1,5 milliard d'argent nouveau.
 
Financement à trouver ?
 
Pas à trouver, c'est le Parlement...
 
A trouver 1,5 milliard ?
 
Si le Parlement nous le confirme. Vous vous rappelez, je suis venu souvent chez vous le matin, vous me disiez : vous ne les aurez jamais ! On ne les trouvera jamais ! On n'aura jamais le courage d'aller les chercher ! On ne dira jamais que pour les plus modestes, il faut mettre de l'argent supplémentaire ! Eh bien, ce courage-là a été trouvé, même s'il a été fait d'une manière qui est assez précise et courageuse effectivement, qui consiste à aller taxer les revenus du capital.
 
Alors, je suis titulaire d'un Livret A ou d'un Livret d'épargne populaire, est-ce que je serai taxé ?
 
Non. Non, non.
 
Qui sera exonéré de cette taxe sur le capital ?
 
Tous les produits dits d'épargne effectivement populaire, ce ne sont pas les Livrets A ; Livret A, pas taxé ; Livret d'épargne populaire, pas taxé ; Livret développement durable, pas taxé ; Livret jeune, pas taxé. C'est ce qui représente la plus grosse partie de l'épargne disons populaire.
 
Mais pourquoi est-ce que les bénéficiaires du bouclier fiscal ne participent pas à cette taxe de solidarité, franchement ?
 
Parce que, dans les bénéficiaires... d'abord...
 
Ca ne vous a pas énervé ça ? Vous ne vous êtes pas battu là-dessus ?
 
Moi je m'énerve pour plus que ça. Je vais vous dire le raisonnement, et puis ensuite, vous le prenez... J'ai toujours dit que les deux raisonnements étaient parfaitement respectables. Le raisonnement, on le met en dehors du bouclier ou le raisonnement on le met dans le bouclier. Donc, je vais vous faire le raisonnement "on le met dans le bouclier". Le raisonnement "on le met dans le bouclier" c'est de dire, un, ceux qui sont protégés par le bouclier quand on regarde, 200, 250.000 Français, il y en a deux tiers qui sont des Français très modestes, donc, si on le met...
 
Et il y en a un tiers des Français, qui gagnent beaucoup, beaucoup, beaucoup d'argent !
 
...Voilà, voilà, donc si on le met dans le bouclier, on a quelque chose qui touche assez largement, c'est le premier point...
 
Un tiers des Français qui sont très riches, qui sont exonérés de cette taxe de solidarité quoi ?
 
Non, mais je vous fais tous les raisonnements. Deuxième élément du raisonnement, il se trouve que le président de la République a été élu, il a pris deux engagements en même temps : il a pris un engagement général qui est "on ne payera pas plus de 50 % d'impôts", et puis il a pris un engagement particulier qui est "on fera le Revenu de Solidarité Active". Bon. Je ne peux pas dire : vous prenez mon engagement auquel je tiens et puis vous ne prenez pas l'autre, sinon plus personne n'aurait confiance dans les engagements. Donc, ça, c'est la deuxième chose. Et puis la troisième chose qui est encore mieux, ce qui est le vrai raisonnement : à travers le raisonnement sur le bouclier où tout le monde s'est focalisé... l'allumage du bouclier c'était un peu l'allumage du réverbère, si vous voulez, tout le monde a dit "et le bouclier ? Et le bouclier ?", et du coup, on a réussi à mettre fin au principal scandale de la République française, principal scandale de la République française, ce sont les gens richissimes qui payent zéro d'impôt, alors que depuis 1789, qu'on a une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dit que "tout le monde doit s'acquitter de la charge commune en fonction de ses capacités". Donc, vous avez des gens qui payent zéro d'impôt. Je pense que ça vous choque comme ça me choque moi ! Moi je trouve ça... Et donc, au passage, si on a à choisir, je dis souvent "le bouclier on le met dans la niche, là". Il y avait la niche avec une sorte de chien de garde devant qui faisait qu'il y avait des gens qui payaient zéro... Mais vous rendez compte ! 1 million d'euros de revenu, zéro d'impôt ! Ça, c'est fini, voilà !
 
Donc, là, pour certains très riches, on paiera zéro de solidarité quoi ?
 
Non, non, non ! Non, non, non !
 
Mais un peu, en prenant les niches ?
 
Mais oui, mais beaucoup.
 
En prenant les niches. J'attends de voir...
 
Attendez ! L'effet du bouclier...
 
M. Hirsch, attendons peut-être de voir où se situera le plafonnement des niches fiscales.
 
Oui, mais de toute façon, il sera bien supérieur à l'effet bouclier. L'effet bouclier sur les plus riches, c'est à peu près une économie de 26 ou 27 millions d'euros par an. L'effet niche leur fera rendre 150 ou 200 millions d'euros par an, voilà. C'est donc 5, 6, 7...
 
J'ai plusieurs questions d'auditeurs sur le RSA. On va parler de la pauvreté. Un mot quand même puisque c'est d'actualité : le président du Sénat qui est logé à vie, ça vous choque ou pas ? Un appartement de 200 mètres carrés...
 
Vous m'avez déjà entendu m'exprimer sur les conditions, sur les privilèges de logements... Je suis contre les privilèges.
 
Contre les privilèges, il faut supprimer tout ça ?
 
Oui, je pense que ce n'est pas mal de supprimer ce type de privilèges, il n'y a pas de doute là-dessus. Je me suis exprimé pour des hauts fonctionnaires, je me suis exprimé... j'ai une position qui est tout à fait constante là-dessus, je suis contre ce type de privilèges.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 septembre 2008