Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien "Midi libre" le 2 octobre 2008, sur l'évolution du règlement de la crise russo-géorgienne et l'Union pour la Méditerranée.

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Texte intégral

Q - La Russie a signé l'accord proposé par l'Union européenne sur la Géorgie. Etait-il possible d'aller plus loin ?
R - Dès le début de la crise, le 7 août, l'urgence absolue était d'arriver à un cessez-le-feu. Nous l'avons obtenu le 12 août, grâce à la médiation du président Sarkozy. Dans un second temps, il a fallu ouvrir une perspective politique. C'est ce que nous avons fait avec l'accord du 8 septembre : retrait des troupes russes, déploiement des observateurs européens en Géorgie, et perspective d'une nouvelle rencontre à Genève mi-octobre. Nous devions arrêter la guerre, avant de préparer la paix.
Q - Le poids énergétique de la Russie a-t-il joué ?
R - La vérité, c'est que la Russie est aussi dépendante de l'Europe que l'Europe de la Russie. Nous appartenons au même environnement mondialisé, nos économies sont plus imbriquées que jamais. Plus nous développerons nos relations économiques et culturelles et plus nous garantirons à l'Union européenne, comme à la Russie, la prospérité, la stabilité et la paix. Notre voisinage avec la Russie impose de maintenir le dialogue.
Q - Géorgie aujourd'hui, Ukraine ou Pologne demain, n'y a-t-il pas un parfum de Guerre froide qui plane sur l'Europe ?
R - Parler de guerre froide, c'est plaquer des analyses anciennes sur des réalités nouvelles. Ces pays sont sortis ensemble du communisme il y a vingt ans, et la Russie, c'est vrai, veut retrouver son rang. Que les puissances s'opposent aujourd'hui, c'est évident. Que des pays qui ont affronté sans nous le communisme pendant des décennies en aient gardé du ressentiment, c'est vrai aussi.
Mais la crise géorgienne a été un test important pour l'unité des Européens et pour la crédibilité de notre action. Cette unité a été prouvée de manière spectaculaire. En Géorgie, ce n'est pas l'Europe à six, ni à quinze, mais l'Europe à vingt-sept qui a parlé d'une seule voix.
Q - Le 13 juillet a été un succès pour la diplomatie française... Où en est aujourd'hui l'Union pour la Méditerranée ?
R - C'est vrai, le Sommet de Paris a été un grand succès, non seulement pour la France, mais pour toute la Méditerranée. Le Liban et la Syrie vont bientôt rétablir des relations diplomatiques. Quarante-trois Etats vont s'engager ensemble dans un processus de coopération et de développement unique dans leur histoire. Les ministres des Affaires étrangères des Etats membres vont se retrouver le 3 novembre prochain, pour choisir le futur siège de l'organisation et assurer une coordination générale des projets. La France n'a pas l'intention de prendre des décisions ni de pousser à prendre des décisions à la place des peuples et des pays. Nous voulons être une force de proposition, d'invention et surtout de réalisme.
Q - L'Union pour la Méditerranée peut-elle devenir l'instrument d'une paix dans la région ? Et dans quelle mesure l'Union européenne y jouera-t-elle un rôle ?
R - Les Etats membres de l'Union européenne font tous partie de l'Union pour la Méditerranée. L'Union pour la Méditerranée s'est donné des priorités : l'éducation, l'énergie ou encore l'environnement, dont on sait qu'il pourra être source de grandes tensions à venir. En s'engageant pour assurer la coopération et le développement économique, on franchit une première étape, une étape importante vers la stabilité et vers l'ouverture des sociétés. N'oublions pas qu'à Paris, nous avons vu Ehud Olmert, l'Israélien, et Bachar Al-Assad, le Syrien, s'asseoir à la même table. Bien sûr, l'Union européenne aura un rôle à jouer dans ce processus, mais nous attendons aussi beaucoup des négociations qui se dérouleront entre les pays concernés.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2008