Texte intégral
Mesdames et Messieurs
Je suis très heureuse d'être parmi vous à l'occasion de cette Assemblée générale qui marque le début d'une année essentielle pour le FAS. Année essentielle d'abord en termes symboliques. Comme vous le souhaitiez le nom de votre établissement va changer. La proposition de loi sur les discriminations actuellement en discussion prévoit que le FAS devienne le FASID (Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations) pour afficher explicitement que la vocation première du FAS est d'être un instrument d'intégration sociale et de lutte contre les discriminations.
Compte tenu de l'importance que le gouvernement dans son ensemble accorde à ces enjeux cette nouvelle dénomination me semble indispensable. J'ai été d'ailleurs frappée de voir, en parcourant les grandes étapes de l'histoire du FAS qui sont aussi celles de l'immigration française de l'après-guerre de voir comment les changements de noms avaient rythmé l'évolution de ses missions. En 1947 est créé le Fonds d'action sanitaire et social (FASS) qui est un peu l'ancêtre du FAS actuel. C'est le général de Gaulle qui fonde le FAS, fonds d'action sociale pour les travailleurs musulmans d'Algérie en métropole et pour leurs familles. Ce n'est qu'en 1964 que le FAS voit sa compétence étendue à l'ensemble des travailleurs étrangers. Enfin en 1983 cette compétence est étendue cette fois à l'ensemble des familles. On voit bien comment s'est faite l'évolution du champ qui aboutit aujourd'hui à notre proposition de faire explicitement du FAS un établissement public compétent sur l'ensemble des questions d'intégration. C'est grâce à la transformation sociologique des populations concernées : travailleurs algériens et leurs familles, puis travailleurs étrangers, puis travailleurs et leurs familles. La question migratoire a débouché naturellement sur celle de l'intégration et de la lutte contre les discriminations. L'histoire du FAS fait aussi de vous les meilleurs acteurs de terrain dont disposent les pouvoirs publics lorsqu'il s'agit de défendre une politique d'accueil des immigrés à visage humain et une véritable intégration sociale.
Année essentielle aussi pour le FAS parce que nous nous trouvons à la croisée des chemins en termes d'objectifs. A compter de 2001 les finances du FAS réintègrent le giron de l'Etat . Ce n'est pas un hasard, ce n'est pas une décision de pure gestion mais la manifestation d'un choix clair. Les destinées du FAS et de la politique que j'entends mener doivent être liées consubstantiellement. Ma volonté est d'avoir en matière de lutte contre les discriminations et plus largement d'intégration une vraie stratégie avec des enjeux clairs et des résultats.
Depuis mon arrivée dans ce ministère j'entends commenter le terme d'intégration, dire qu'il ne correspond plus aux situations sociales d'aujourd'hui. J'entends aussi dire qu'il ne faut pas trop d'expression publique, qu'il faut agir sans dire, éviter tout débat ou engagement trop général. Je crois que ce qui compte en la matière c'est d'affronter la réalité. Je suis frappée à ce titre du fait que ce soit vous femmes et hommes de terrain, familiers des complexités quotidiennes du " vivre ensemble " qui aviez souhaité mettre l'intégration au cur des compétences de votre institution.
Quels sont les enjeux que recouvre aujourd'hui la question de l'intégration ? Ils sont fondamentaux. Il s'agit tout d'abord de dessiner les contours de la société française de demain, de définir les liens entre générations (on pense souvent aux jeunes, je souhaiterais que l'on se penche plus sur la question des femmes), de maintenir un lien de solidarité face à des situations nouvelles, souvent génératrices d'inégalités, qui peuvent engendrer des malentendus, des incompréhensions, de l'éloignement, voire de la violence sociale. Pardonnez-moi de parler d'une manière qui peut sembler pompeuse, mais il s'agit aussi du rayonnement de la France, de sa capacité à donner un contenu concret aux valeurs sur lesquels elle a fondé sa culture et son ouverture aux autres cultures. C'est un vrai enjeu. Nous avons été une puissance coloniale jusqu'à il y a quelque 50 ans. Rappelez-vous que pendant deux siècles la France a été simultanément le pays de la révolution démocratique et l'une des principales nations de colonisation. Cette schizophrénie n'a pas disparu du jour au lendemain lorsque les anciennes colonies sont devenues des états indépendants. Nous avons parfois donné le sentiment de rester un peu coloniaux dans nos têtes au-delà de cette période alors même que l'essentiel des flux migratoires vers notre pays venaient d'anciens territoires français, particulièrement du Maghreb. Mais l'intégration n'est pas l'assimilation. L'intégration met l'accent sur les ressemblances et les convergences, mais elle ne nie pas les différences. Notre communauté nationale s'enrichit de la variété des spécificités culturelles, sociales et morales. Je crois que l'intégration aujourd'hui c'est au premier chef le fait de concilier nos valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité avec celle de l'ouverture et de la curiosité vis à vis de l'autre, en abandonnant tout esprit de paternalisme. Il nous faut combattre partout où ils existent encore ou apparaissent sous de nouvelles formes les rapports de dépendance, de sujétion qu'ils soient juridiques, économiques ou psychologiques.
Sur ce point je suis fière que l'étude sur les parcours d'insertion des étrangers régularisés après 1997 qui vient de m'être remise ait montré que dans une très grande majorité de cas l'entrée dans une vie normale et l'accès aux droits sociaux se faisaient très vite avec une collaboration très efficace des services de l'Etat.
Mais revenons aux objectifs que je fixe à une politique d'intégration aujourd'hui. Nous avons d'abord un devoir d'écoute à l'égard de ceux qui comme vous auscultent la réalité sociale de la France tous les jours, des chercheurs aussi qui ont mis à jour les nouvelles formes de la discrimination sociale, notamment en matière d'emploi, des analyses et des préconisations de personnalités qualifiées comme celles du Haut conseil à l'intégration. Nous devons aussi regarder ce que font nos voisins, surtout en Europe, pour comprendre pourquoi ici ou là l'intégration fonctionne mieux ou moins bien, pour anticiper sur le devenir des sociétés européennes, pour revisiter nos pratiques à la lumière d'expériences réussies ailleurs. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de politique d'accueil ou de pratiques d'apprentissage linguistique et culturel. L'Europe doit être la nouvelle frontière de notre politique d'intégration.
Pourquoi cette fonction d'écoute sociale est-elle de plus en plus centrale ? Parce que, ce n'est pas moi qui vous l'apprendrai, nous avons affaire à des phénomènes sociaux de plus en plus complexes et à des attentes qui se sont transformées. La société française de 2001 n'est plus celle de la marche des beurs de 1983 ou de la création de SOS racisme en 1984. Même si le fameux slogan " la France c'est comme une mobylette, il lui faut du mélange pour avancer " me semble toujours aussi parlant.
La revendication identitaire de ces années-là s'est modifiée sans pour autant disparaître. Il y a peut-être aujourd'hui moins d'inquiétudes sur le fait d'être français chez certains jeunes. Cela ne signifie pas qu'ils aient le sentiment d'avoir trouvé leur place dans notre société. La question de l'égalité des chances qui traverse l'histoire de notre pays a pris une nouvelle acuité. Les processus à l'uvre en matière d'intégration nous renvoient à l'ensemble des interrogations actuelles sur le socle des institutions et des valeurs républicaines. L'école en premier lieu. Notre école n'est plus toujours en mesure d'assurer à chaque enfant l'accès aux apprentissages fondamentaux et surtout d'être la porte d'entrée vers l'emploi. Notre école a du mal à rester l'école de tous les enfants. Il ne s 'agit pas en ce domaine de jeter la pierre à l'un ou l'autre mais d'imaginer comment faire pour que l'école relève le défi qui a toujours été le sien : lutter contre les inégalités sociales.
Le sujet de l'école renvoie inévitablement à celui du monde du travail. Là aussi nous devons faire face à de nouvelles interrogations qu'il faut bien qualifier dans certains cas de discriminations. On sait que la situation de l'emploi s'améliore, on sait aussi que c'est la priorité absolue de ce gouvernement.
Mais cette amélioration de l'emploi que nous avons voulue, et obtenue à travers une série de mesures qui marquent à la fois la force de notre détermination et de vrais objectifs de transformation sociale comme les 35 heures, ou les emplois jeunes ne doit laisser personne au bord du chemin. Or plusieurs études dignes d'attention ont démontré à la fois en tendance générale et dans certains bassins d'emploi qu'il existe des vraies discriminations à l'embauche à l'égard des français d'origine étrangère et des étrangers. C'est pour cette raison qu'il nous faut une vraie loi contre les discriminations. C'est pourquoi nous devons ensemble travailler à les réduire sur l'ensemble des segments du marché de l'emploi, y compris sur les postes de responsabilité.
Si je veux résumer ma pensée je dirais que l'intégration aujourd'hui c'est l'accès à l'ensemble des droits, doublé de la volonté d'être soi-même y compris dans certaines différences. L'accès aux droits concerne tous les domaines: droits politiques, droit à l'éducation, au logement, à l'emploi, accès à la nationalité française. On voit de quoi il s'agit. Que recouvre en revanche la volonté d'être soi ? Ce n'est pas contrairement à ce que certains essaient d'accréditer, le refus des valeurs communes et de la culture française. C'est plutôt l'idée que ces valeurs doivent être envisagées dans une société où la diversité des situations et des pratiques culturelles est devenue la règle.
La multiplicité des pratiques culturelles, liées à la diversité d'origine de ceux qui vivent en France est une manière de conserver le lien avec le pays d'origine. La question de l'Islam, deuxième religion de France, doit être pensée dans l'ensemble de ses dimensions sans appréhension particulière. Il n'y a là aucune mise en danger par nature de la société française. C'est vrai aussi que les aspirations sont devenues assez différentes d'une génération à l'autre.
J'y vois la traduction du risque d'un éloignement entre les préoccupations quotidiennes et la vie de chacun, les grands discours du politique et les modalités concrètes de l'action publique. Sans tomber dans l'excès on doit faire une place à la diversité culturelle. Je parle de la diversité culturelle telle qu'elle existe déjà dans notre société. Il faut éviter en ce domaine toute diabolisation. La réalité du travail de terrain du FAS incarne bien cette ouverture des politiques publiques à la spécificité culturelle.
Nous sommes alors renvoyés à la question centrale du rôle de l'Etat et particulièrement de mon ministère face à ces évolutions. Qu'est-ce que l'Etat peut et doit faire face à la complexité du social et la montée de nouvelles inégalités, parfois singulièrement subtiles et difficiles à combattre ? Pour moi l'Etat doit être un médiateur, mettre la réalité sociale en perspective et dire le droit. L'Etat ne doit pas jouer le rôle des associations.
Même si nous avons d'excellents fonctionnaires de terrain, je crois qu'il faut admettre d'emblée que c'est de vous que remonteront vers nous, le gouvernement, l'Etat, mes services, les réalités, les débats, les alertes qui concernent l'intégration sociale. A l'Etat alors de savoir-faire le tri entre ce qui relève des réalités locales et ce qui traduit une préoccupation nationale. A lui de définir une vision de l'intégration. Parce que la réalité de terrain est foisonnante et souvent contradictoire, l'Etat a un rôle essentiel à jouer pour dégager des priorités, établir des positions de principe lorsque nécessaire et redéfinir les conditions de notre identité nationale. A cette société qui vit et se transforme, il faut un Etat proche et vivant.
(source http://www.social.gouv.fr, le 5 mars 2001)