Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "France Inter" le 30 septembre 2008, sur les chiffres du chômage en août, l'aggravation du chômage prévisible sur un an et les mesures envisagées pour y faire face, comme les contrats aidés.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- 41 300 chômeurs de plus donc pour le mois d'août, le chiffre est maintenant officiel, vous l'aviez vu venir ?

Oui, et d'ailleurs si jamais vous reprenez une discussion qu'on avait eue à votre micro, je crois il y a trois mois, on en avait parlé. J'étais assez lucide sur le fait que même si on continuait à avoir des chiffres du chômage qui étaient relativement bons, la tendance, nécessairement, allait se retourner avec la situation internationale, notamment dans laquelle on est en train d'entrer.

La tendance va se poursuivre ?

Moi, j'aime bien dire les choses clairement. Je pense qu'on rentre dans une phase qui va être difficile et qui va durer au minimum un an. Après, une fois qu'on a posé ce diagnostic, la seule chose...

On va y revenir, excusez-moi. Cela va durer un an, donc vous pensez qu'il va y avoir une augmentation du chômage dans les mois qui viennent, les mois prochains ?

Ce n'est pas une nouvelle qui, évidemment, me réjouit, parce que derrière les chiffres, on a toujours tendance à lire les statistiques du chômage, mais c'est surtout des familles et des demandeurs d'emploi. Donc c'est des vies, ce sont aussi des personnes dont j'ai la charge à travers mon poste de secrétaire d'Etat à l'emploi. Mais je crois qu'il faut dire les choses clairement, on voit bien ces turbulences économiques, vous venez d'évoquer la situation aux Etats-Unis, la France n'est pas protégée par magie. Donc oui, on va rentrer dans une période qui va être délicate en terme d'emploi.

Vous avez déjà des indications ou des chiffres, des signes, des informations qui vous indiquent qu'on est sur une pente qui est une pente de hausse du chômage ?

C'est ce qu'on a essayé d'analyser hier en faisant une réunion avec l'ensemble des acteurs du service public de l'emploi. Donc pas seulement l'ANPE-Assedic, mais aussi les missions locales qui s'occupent des jeunes, l'AFPA qui finance les formations, mon administration, enfin tous les partenaires autour de l'emploi. Le retournement qu'on a eu en août, est un chiffre qui est très élevé. Lucidement, on ne devrait pas ré-avoir un chiffre comme ça sur l'ensemble des mois qui vont venir. Mas par contre, ce qu'on pense, c'est qu'on a une dégradation du climat économique et que cela pèse nécessairement sur l'économie de la France. Donc, oui, je m'attends à ce qu'on ait des chiffres du chômage qui soient mauvais pour un an. Cela ne veut pas du tout dire "dramatiques", je ne pense pas qu'on aura une situation aussi grave que ce qu'on a pu connaître dans des périodes comme 1993 ou les périodes de forte hausse du chômage du début des années 80. Mais on va avoir un an qui va être difficile. Et il va donc falloir s'occuper de façon plus efficace encore, avec plus de résultats si possible, des demandeurs d'emploi qui vont être en situation difficile.

Cela veut dire retour des emplois aidés, par exemple ? C'est l'une des pistes que vous envisagez ? Elle n'a pas été évoquée hier soir, lors de la réunion que vous nous décriviez...

Si, si, elle a été évoquée et j'en ai parlé d'ailleurs lors du point presse pour informer tout le monde, c'est normal. Les contrats aidés, depuis que je suis en charge de l'emploi, c'est un dispositif que j'ai toujours défendu. Moi j'appartiens plutôt à une tendance, dans ma famille politique, qui est de droite sociale. Je ne crois pas qu'une économie puisse fonctionner sans qu'il y ait une aide pour ceux qui sont les plus fragilisés, surtout dans une économie très compétitive et dure. Donc depuis que je suis arrivé, on a demandé à ce que soit inversée la tendance sur les contrats aidés, qui avaient été réduits dans une période d'amélioration du chômage. Et en juillet, donc avant même la dégradation très forte de ces chiffres, on a fait une relance de 60.000 contrats aidés. Par contre, il y a une chose, c'est que je ne veux pas faire des contrats aidés pour occuper les gens, parce que ça, cela ne sert à rien, c'est juste tirer sur la statistique. On visitait la semaine dernière en Alsace une entreprise, qui est un laboratoire, donc plutôt avec des métiers qualifiés, ils avaient besoin de recruter 30 personnes qu'ils n'arrivaient pas à trouver. Ils ont utilisé 30 contrats aidés, en faisant en même temps de la formation, des gens qui étaient au RMI ou qui étaient chômeurs de longue durée, et cela leur a permis de leur financer une formation de technicien de laboratoire. Ce qui fait que les gens - [une formation] de base, sur des petites manipulations -, ce qui fait que les gens ont pu rentrer dans le laboratoire. Ça, c'est de la bonne utilisation des contrats aidés, qui est un vrai pied à l'étrier pour ensuite l'emploi.

On a un chiffre du nombre de contrats aidés que vous mettez, là, sur la table, dans la définition que vous venez d'en donner, ou une somme qui est accolée à ces contrats aidés ?

Donc, on a relancé en juillet de 60.000 contrats aidés. Cela prend du temps à monter, trop de temps. Donc j'ai demandé hier, à tous ceux qui en sont en charge, notamment au niveau de l'ANPE-Assedic, que cela aille plus vite, parce que là, cela veut dire qu'on a des demandeurs d'emploi pour lesquels cela peut être une planche d'appui. Donc je vais surveiller maintenant, semaine après semaine et même avec des indicateurs par département, la montée en puissance de ces contrats aidés. Aujourd'hui, on a gardé à peu près le même niveau de contrats aidés que ce qu'on avait l'année dernière. Il faudra voir, si jamais on a besoin de l'ajuster, à condition encore que cela soit utile. Je ne veux pas faire des contrats aidés où on met les gens sur une voie de garage et où on leur dit, "sois sage et tais toi !". Il faut que ce soit sur un vrai parcours qui peut les aider ensuite pour avoir un emploi durable.

Quand sur ces sujets, vous dites qu'il y a trois mois, quand vous étiez au micro de France Inter - je n'en ai pas gardé le souvenir, malheureusement -, vous aviez déjà prévu que les choses pourraient s'inverser, quand F. Chérèque vous dit que le Gouvernement l'a enfumé et a enfumé les gens sur la situation économique réelle, et donc la situation de l'emploi, cela prouve que lui n'avait pas entendu les signaux d'alarme qui étaient lancés.

J'étais hier soir avec F. Chérèque pour discuter de l'ensemble des sujets, enfin des négociations qu'on a avec les partenaires sociaux, notamment sur la situation de l'emploi. Et on en rediscuté, il m'a dit, "oui, oui, je reconnais que sur les questions d'emploi, vous aviez tiré la sonnette d'alerte tôt". On est rentrés dans une crise, qui est la crise des subprimes aux Etats-Unis, depuis un an. Donc, après, personne ne pouvait estimer à l'avance l'ampleur de la crise financière, y compris dans ses derniers développements en septembre. Mais le fait que la courbe du chômage allait se retourner, oui. Alors les preuves simples : j'évoquais les contrats aidés qu'on a relancés en juillet, avant le chiffre du mois d'août. On a mis en place un parcours d'accompagnement pour les seniors à partir de janvier, l'idée étant que quelqu'un qui a plus de 50 ans, c'est plus difficile pour lui de chercher un emploi, cela veut dire qu'il a besoin de plus d'accompagnement. Ça, c'est quelque chose qu'on avait lancé en janvier. La réforme de l'ANPE-Assedic ou de la formation professionnelle est quelque chose qui aussi, avait été aussi initié bien avant. Mais je ne cherche pas à dire, "on avait tout prévu", parce que cela serait stupide de ma part. La seule chose que je cherche à dire, c'est que maintenant, ce que l'on regarde et c'est mon travail, c'est de voir, domaine par domaine, si on est suffisamment efficaces. Et si jamais les mesures qu'on a prévues ne peuvent pas être accélérées, si on ne peut pas faire en sorte que ces réformes aboutissent à des résultats concrets plus vite.

Le "gouverner, c'est prévoir", le plein emploi en 2012, c'est-à-dire le chômage à 5 % qui était l'une des promesses de campagne de N. Sarkozy, cela vous semble crédible aujourd'hui ?

Oui, parce que, si vous reprenez l'année qui s'est écoulée, on a gagné quasiment un point de taux de chômage en une année, sur une période économique qui n'était pas extraordinaire. Enfin qui était bonne, meilleure que ce qu'on a, mais qui n'était pas extraordinaire. Cela veut dire que ce qu'il faut, c'est surtout qu'on prépare le bateau pour que quand on aura à nouveau un vent favorable, on puisse en profiter à plein en terme d'emploi. Ce qui serait catastrophique, c'est qu'on ait une période comme ce qu'on avait eu par exemple à l'époque Rocard, où il y avait eu de la croissance et pas d'emploi. Donc il faut vraiment qu'on prépare la situation de l'emploi en France, y compris pendant cette période difficile, pour que, quand on aura un vent favorable qui reviendra, on puisse en bénéficier à plein.

J'ai lu dans la presse qu'une enquête administrative allait être diligentée pour isoler l'origine de la fuite sur les chiffres du chômage. La fuite a eu lieu jeudi dernier ; 30, 40.000 chômeurs, disait-on la semaine dernière, il y avait eu une fourchette, c'est le site "Rue89" qui avait publié, vous confirmez cette information ?

Oui, pour une raison toute simple, c'est que... Enfin, mettez-vous à ma place : quand je travaille avec mon administration et qu'on a besoin de préparer des mesures et qu'on ne les a même pas encore arrêtées, qu'on essaye vraiment d'évaluer la situation de sang-froid, des gens qui jettent des informations en l'air, alors même qu'elles ne sont pas encore totalement évaluées, ils peuvent compromettre l'action et les mesures du Gouvernement. Ce n'est pas moi qu'ils compromettent, c'est des plans qui, derrière, doivent être utiles à des demandeurs d'emploi ou dans notre économie. Donc il y a une règle qui est éthique, c'est que quand on est à un poste de responsabilité, on veille à ce que les informations ne sortent pas n'importe comment.

Donc, oui, il y a bien enquête administrative ?

Oui, et c'est plus que normal. Je ne peux pas accepter que dans mon administration, il y ait des membres de mon équipe qui donnent des informations n'importe comment.

Vous avez isolé la source ou pas ?

Non, et puis mon rôle ce n'est pas non plus d'être un flic. Ce n'est pas mon genre, la seule chose c'est que j'ai besoin de savoir qu'autour de moi, on travaille et qu'on ne travaille pas pour le plaisir de donner une information dehors, mais pour essayer de faire avancer les choses.

En même temps, l'information était plutôt exacte et elle était même sous-évaluée par rapport à ce qu'a été la réalité. Elle est arrivée le jour du discours de N. Sarkozy, ce qui donnait un élément de contexte supplémentaire pour comprendre la situation générale. A ce titre, les journalistes ont fait leur travail j'imagine, non ?

Je n'ai aucun reproche, les journalistes qui l'ont sortie ont fait leur travail. Mon problème n'est pas par rapport aux journalistes, mon problème c'est par rapport à ceux qui travaillent et qui sont payés pour faire un travail qui n'est pas d'informer la presse, mais qui est d'essayer d'améliorer la situation de l'emploi.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 septembre 2008