Interview de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "RFI" le 30 septembre 2008, sur le développement des échanges commerciaux avec l'Inde.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

N. Amar.- Bonjour, A.-M. Idrac, et merci d'être ce matin dans les studios de RFI. Vous serez tout à l'heure aux côtés de F. Fillon pour rencontrer le Premier ministre indien M. Singh, on va y venir, mais tout d'abord ce nouveau lundi noir sur les bourses mondiales après le rejet du plan Paulson par les parlementaires américains. Vous êtes inquiète pour la santé de l'économie mondiale ?

Ce n'est évidemment pas une très bonne nouvelle. Comme l'a dit le Président de la République, la semaine dernière, dans son discours de Toulon, il faut dire la vérité, et la vérité, c'est que cette crise financière, qui est partie des Etats-Unis, peut avoir des répercussions mondiales, et y compris sur les économies européennes.

Est-ce qu'elle signifie qu'on va aller vers de nouvelles faillites bancaires aux Etats-Unis déjà, pour commencer ?

On n'en sait rien, et c'est d'ailleurs l'une des caractéristiques de la situation, c'est qu'elle est extrêmement volatile et que, par rapport à cette volatilité, le fait que ça change beaucoup, qu'on espérait bien l'adoption du plan par les Américains, ce qu'il faut, c'est regarder les choses en face, avec sang-froid, sans panique évidemment, mais avec la capacité de prendre les choses en main. Et c'est dans cet esprit que le Président de la République réunit ce matin l'ensemble des banques et des compagnies d'assurance de manière à s'assurer de la situation de ces entreprises et également à redire, j'en suis certaine, ce qu'il a déjà dit, c'est-à-dire, à court terme ,le fait que l'Etat est le prêteur en dernier ressort, et donc il y a une sécurité fondamentale, et que d'autre part, il est essentiel d'aller très très vite dans la refondation d'une régulation européenne et mondiale.

Alors, précisément, il y a eu une première alerte, on peut le dire, en France avec Dexia ; l'action sera à surveiller de près tout à l'heure à l'ouverture de la Bourse de Paris. La banque franco-belge est à son tour en péril. Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui - tout à l'heure, le gouverneur de la Banque de France, C. Noyer, disait "pas de panique " -, mais est-ce qu'on peut dire aujourd'hui réellement que le système bancaire française est à l'abri de la tourmente ?

Evidemment, pas de panique, parce que on le voit bien depuis des semaines, le système européen et le système français résistent beaucoup mieux que le système américain, parce qu'il y a des régulations, parce qu'il y a des capacités des agences de notation, parce qu'il y a des systèmes de contrôle qui sont beaucoup plus solides, beaucoup moins spéculatifs et il y a beaucoup moins de fuite en avant qu'aux Etats-Unis.

Mais jusqu'à quand peut-il résister ?

Donc, ceci est clair. Et dans les priorités de la présidence française, dans le travail de C. Lagarde par exemple, il y a de renforcer encore ces systèmes de régulation et c'est ce que le Président de la République a annoncé et c'est ce qu'il va continuer à faire. Donc, pas de panique, sang-froid, mais maîtrise des dispositifs, ne pas laisser les choses s'égayer, partir, et donc, c'est l'objet de cette réunion de ce matin, d'être bien compact, vigilant, et sur les évènements au cas il y en aurait besoin.

Mais est-ce qu'on ne voit pas aussi avec l'exemple américain les limites, finalement, de l'action publique, de l'action politique sur ces phénomènes de marchés ?

Non, ce qu'on voit surtout avec l'exemple américain, la situation américaine, c'est les limites scandaleuses d'une non régulation, dans laquelle les acteurs s'emballent en prêtant et en surprêtant sur des biens risqués. C'est ça qui ne va pas. Et donc, ce que le Président de la République a proposé aux Nations Unies, ce sur quoi il va réunir le plus vite possible les collègues européens et organiser, nous l'espérons, un sommet mondial, c'est bien sur la nécessité de réguler, la nécessité que les pouvoirs publics imposent des règles, parce qu'on ne peut pas se contenter d'autorégulations dans lesquelles les acteurs finalement créent leurs propres règles et par lesquelles, ensuite, ils sont complètement dépassés.

Mais est-ce que, le cas échéant, la France pourrait décider d'un plan Paulson à la Française, d'une aide massive à son secteur bancaire ?

La France est d'abord dans un système européen et ce système européen, il manifeste une capacité plus solide que le système américain. Mais le président de la République l'a dit, s'il en était besoin le gouvernement, l'Etat est effectivement le garant en dernier ressort de la capacité financière des banques et des institutions financières françaises. Donc, vous savez, tel qu'on le connaît N. Sarkozy, qui par exemple est intervenu sur Alstom il y a quelques années quand il le fallait, n'aurait pas de complexe à intervenir s'il en était besoin. Mais encore une fois, pas de panique, ce n'est pas le cas, ce n'est pas le besoin d'aujourd'hui.

Alors, on l'a dit, ce mardi vous allez rencontrer tout d'abord le Premier ministre indien M. Singh...

... je l'ai déjà rencontré hier, puisque nous étions aux côtés de N. Sarkozy pour le Sommet UE-Inde à Marseille.

Vous allez retrouver le Premier ministre indien, M. Singh à Paris. Vous participerez en début d'après-midi au 9ème Sommet économique Inde-Union européenne au MEDEF. Alors, dans le contexte que l'on décrit depuis le début de la matinée, avec en plus ces 41 300 chômeurs de plus pour le mois d'août, qu'attendez-vous de ces rencontres avec les autorités indiennes et avec les patrons indiens ?

Alors, sur l'Inde il y a une attente réciproque de développement des échanges qui est absolument extraordinaire. Aujourd'hui, à l'échelle de l'Union européenne, on est grosso modo autour de 60 millions d'échanges, et on est décidés à passer à 100 en quelques années. C'est le Premier ministre indien, et mon collègue et ami le ministre de l'Economie indien, K. Nath, qui l'ont dit hier. En ce qui concerne la France, on est décidés à doubler les échanges en trois ans. C'est pourquoi j'étais allée d'ailleurs en Inde il y a quelques semaines, avec des entreprises, en particulier dans le domaine de l'environnement et de l'énergie, sur lequel il y a une très grande attente aussi bien à l'égard des grandes entreprises qu'à l'égard des PME, en particulier innovantes. Et cela fait partie du plan que j'ai mis en place qui est, dans la conjoncture économique difficile, qui est difficile aussi pour le commerce extérieur évidemment, je veux emmener davantage de PME, davantage d'entreprises à l'exportation, et l'emmener sur les pays où la croissance est encore forte. Pour donner un exemple, le ministre de l'Economie de l'Inde me disait tristement, en quelque sorte, il y a quelques semaines, qu'il attendait une croissance de 7,8 %. Bon ! Nous, nous savons que nous sommes autour de 1 %. C'est la raison pour laquelle je veux emmener plus d'entreprises dans ce type de pays et le faire avec des axes de développement durable, donc l'énergie en particulier, mais aussi l'agro-alimentaire ou les nouvelles technologies.

Mais la France est actuellement le quinzième partenaire commercial de l'Inde, si mes chiffres sont bons, donc loin derrière d'autres grandes puissances. Comment l'expliquez-vous ?

Je pense que nous n'avons pas pris toute notre place, peut-être pour des raisons politiques d'insuffisantes impulsions dans le passé. Ce n'est plus le cas depuis que le Président Sarkozy y était allé, depuis que...

... on s'est trop focalisé sur la Chine, peut-être.

On s'est beaucoup focalisés sur la Chine. C'est vrai que nous ne sommes pas dans une tradition vis-à-vis de l'Inde, à la différence par exemple des Britanniques, mais quoi qu'il en soit, il y a véritablement surtout depuis que nous avons accompagné l'Inde dans son processus de nucléaire civil, et aussi depuis donc ce choix fait de multiplier par deux les échanges, qu'il s'agisse d'ailleurs d'échanges commerciaux ou d'investissements, dans les deux sens, puisqu'il y a énormément d'investissements français en Inde et indiens en France, cela commence, et il y a donc un nouveau mouvement que j'ai décidé d'accompagner, en ce qui concerne particulièrement les PME.

Alors, précisément, puisque vous parlez du nucléaire civil, il est question de cet accord sur le nucléaire depuis la visite de N. Sarkozy à New Delhi, en début d'année ; vous y avez également travaillé lors d'un récent déplacement en Inde. Où est-ce qu'on en est ? Est-ce qu'il va y avoir accord à l'occasion de la venue de M. Singh à Paris ?

On n'est pas à deux jours près ou à quelques jours près. Il est très très vraisemblable que nous aurons effectivement cet accord parce que la France a vraiment contribué à cette entrée de l'Inde dans le club du nucléaire civil. Et puis évidemment Areva, Alstom, les autres entreprises sont parfaitement connues de l'Inde. Il m'a été confirmé il y a quelques semaines, donc lorsque j'étais là-bas, que dans la centaine de milliards de commandes qui est envisagée, évidemment les entreprises françaises, notamment Areva pour quelques EPR, aura sa place sur un fond de coopération. Il y a aussi une dimension européenne à la coopération puisque le président de la Commission, J.-M. Barroso, a annoncé hier qu'Euratom et l'Inde pourraient coopérer en matière de recherche.

Le patron de la fédération des chambres de commerce et d'industrie indienne cite un chiffre, 20 milliards d'euros de contrats sur quinze ans dans le nucléaire civil en Inde. Cela vous semble plausible, possible ?

Oui, cela semble tout à fait possible quand on voit les besoins de l'Inde en matière d'énergie, le fait qu'ils veulent prendre leur part dans le développement durable, et donc la place que, nécessairement, y prendra le nucléaire pour assurer à la fois les besoins en énergie et la limitation des émissions.

Dernière question, A.-M. Idrac, vous y faisiez allusion, la France et les Etats-Unis n'ont pas ménagé leurs efforts pour que soit levé une sorte d'embargo vis-à-vis de l'Inde, qui n'est pas associée au Traité de non prolifération nucléaire. Est-ce que c'est un bon choix ?

Oui, bien sûr.

Est-ce que c'est un bon message aux autres puissances nucléaires en devenir ?

C'est un bon choix pour deux raisons, d'abord du point de vue du réchauffement climatique. On ne peut pas dire à l'Inde, "soyez raisonnable du point de vue du gaz à effet de serre", et la priver du nucléaire civil, ce n'est pas raisonnable. Et deuxièmement, l'Inde compte tenu de sa situation géographique et politique, en particulier du fait que c'est une démocratie, et on s'en rend compte tous les jours, a un rôle pacificateur dans sa région et doit jouer de plus en plus - c'est que le Président de la République a redit hier à maintes reprises -, un rôle de stabilisation globale et un rôle d'acteur.

C'est une démocratie, mais c'est une puissance atomique qui n'a toujours pas fait la paix avec le Pakistan ?

C'est une démocratie et c'est un pays qui doit avoir à la fois les responsabilités et les devoirs de la grande puissance qu'elle est maintenant devenue.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 septembre 2008