Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chers Amis,
Je suis très sensible à votre initiative d'organiser cette Conférence à Paris.
En venant en France, vous venez bien sûr, à travers sa Présidence, à la rencontre de l'Europe. Mais vous venez aussi à la rencontre de vous-mêmes car c'est souvent loin de chez soi que l'on peut mieux comprendre, mieux se comprendre et mieux se connaître.
Dans votre initiative, je vois le symbole d'un pays qui prend ses responsabilités dans la marche du monde et qui veut répondre clairement à sa vocation européenne. Vous allez voir, les responsabilités de l'Europe vont grandir tous les jours.
Cette vocation européenne, nous l'avions affirmée lors de la première, enfin de la dernière des présidences françaises de l'Union européenne. C'était en l'an 2.000, au Sommet de Zagreb où je me trouvais alors. Je me rappelle combien l'avenir paraissait encore incertain. Et puis, c'était le Kosovo au Sommet de Zagreb et les problèmes ne sont pas terminés, même cela se dessine de meilleure façon.
C'était en l'an 2000, au lendemain d'une décennie marquée par la guerre, par la destruction, l'horreur de l'épuration ethnique. Ce Sommet de Zagreb offrait une chance aux Balkans occidentaux, celle de renouer avec l'idée, avec l'idéal de la paix et de la démocratie du continent européen.
Où en sommes-nous huit ans après ?
L'Accord de stabilisation et d'association signé en juin dernier a marqué une étape essentielle dans notre rapprochement. Vous voyez, je ne dis pas votre rapprochement, je dis bien notre rapprochement. Il faut comprendre aussi d'où vous venez et ce qui se passe chez nous. La Bosnie-Herzégovine ne reviendra pas dans l'Europe sans que l'Europe ne comprenne la Bosnie Herzégovine et apprenne d'elle aussi.
Avant une adhésion, il faut se parler. Il y a donc des obligations nouvelles, un engagement de l'Union européenne envers un pays qui se réforme et qui se modernise mais où les structures ne sont pas achevées.
Ce rapprochement, cet accord donne à la Bosnie-Herzégovine la possibilité de tourner pour de bon la page du règlement du conflit. Pour cela, il faut une entente politique, un fonctionnement politique mais aussi une entente humaine. Sinon, rien ne sera fait et vous subirez, vous souffrirez avec des institutions qui ne vous conviennent pas.
D'autres étapes déterminantes nous attendent. Je pense à la fermeture proche ou peut-être à moyen terme du Bureau du Haut Représentant et du rôle nouveau qu'assumera alors le Représentant spécial de l'Union européenne. Nous devons être attentifs à ce que les conditions soient réunies pour permettre ce changement. Je veux, à cette occasion, redire toute mon admiration pour le travail accompli par Miroslav Lajcak. J'ai occupé ce genre de responsabilités plusieurs fois et je sais combien sa tâche est difficile. Je suis de ceux qui ont toujours soutenu la vocation européenne des Balkans. C'est difficile, c'est long, mais je crois profondément que votre futur, votre destinée, votre stabilité se trouve en Europe.
Je voudrais reprendre cette belle et mystérieuse expression de "vocation européenne". Je voudrais vous dire combien la diplomatie est au coeur de cette vocation. Il faut savoir que l'Europe est une somme de défis successifs qu'il a fallu relever. La construction se fait d'abord sur un premier défi. Ce premier défi, vous allez voir et vous le voyez déjà, c'est la réconciliation. L'Europe s'est bâtie sur les ruines d'une guerre effroyable, contre les démons du passé, de la haine et de la barbarie. C'est ce qui a fait sa force, c'est son plus beau message. La réconciliation est toujours possible quelles que soient les blessures. Cela prend du temps : une, deux ou trois générations, mais c'est possible. Les peuples du vieux continent étaient séparés par des millions, des dizaines de millions de morts, des villes saccagées, des trains de déportés, des camps d'extermination établis à travers toute l'Europe. Et pourtant, aujourd'hui, quand je parle de Berlin, je dis "nous", quand je parle de Paris et de Berlin, je dis "nous". Et ce fut cela le plus grand succès : dire "nous" en parlant des Allemands et des Français qui se sont battus pendant des siècles. Ce n'est pas un miracle, mais c'est une obstination, c'est le fruit d'un travail patient, résolu, obstiné, difficile, souvent décourageant.
Mais c'est le fruit d'un travail d'abord contre soi-même, contre le premier mouvement qui est toujours un mouvement de repli, un mouvement de reproche, de haine. Ce ne fut pas facile et pas facile surtout pour ceux qui avaient souffert dans leur chair, qui avaient perdu un parent, un ami, une partie d'eux-mêmes, toute leur famille entière. Tous avaient ses souvenirs et tout nous portait à la méfiance. Mais nous avons voulu entendre une autre voix, celle qui éveillait en nous quelques symboles plus forts que nos haines.
Je veux rendre hommage à ceux que l'on appelle les pères fondateurs de l'Europe, à ces grands hommes d'Etat qui ont su franchir le pas de l'amitié par-delà les blessures. C'est de Gaulle qui accueille chez lui le chancelier d'Allemagne, c'est Willy Brandt qui met genou à terre devant le ghetto de Varsovie, ce sont les mains de Kohl et de Mitterrand qui se serrent à Verdun. A Verdun, dans une journée, il y avait souvent 100.000 morts.
Tels sont les gestes qui ont bâti l'Europe, ces gestes qui "parlent au coeur comme au voilier le vent". Ces gestes qui ont remis en mouvement une histoire longue de plusieurs siècles. Qui, depuis plus de 15 siècles, fait le caractère propre de l'aventure européenne ? C'est le mélange des influences. L'Europe est un carrefour, c'est un point de rencontre. Et les Balkans, en son sein, sont le carrefour par excellence. Mais quand je dis par excellence, c'est le parcours le plus difficile. C'est là porte de l'Europe. C'est là où les chrétiens ont arrêté les musulmans. Et c'est là aussi où les musulmans, les juifs, les chrétiens, les orthodoxes et les catholiques ont vécu ensemble. L'Europe s'est construite par la coalescence parfois conflictuelle mais toujours féconde d'influences millénaires : tradition romaine et peuples venus du Nord ; héritages orientaux, slaves, anglo-saxons. Les Européens, nous sommes tout cela. Et c'est d'ailleurs pour cela que je suis personnellement partisan de l'entrée de la Turquie. Je comprends aussi qu'il y ait des difficultés. Je comprends aussi qu'une civilisation européenne se sente en ce moment menacée par une autre civilisation. La période n'est pas facile, les guerres sont devant nous. Ce n'est pas du papier. Ce n'est pas de l'élucubration intellectuelle. Nous affrontons l'extrémisme musulman en ce moment. Comment en triompher ? Nous sommes, les uns et les autres, 25 pays de l'Europe, impliqués dans ce conflit pour l'Afghanistan, contre l'extrémisme. Je comprends que l'Europe est déjà difficile à bâtir à 27 et il faut en conserver l'unité.
La première littérature qu'on peut dire "européenne" est née précisément de la "fusion du nord et du midi". Cette littérature, qui éclaira d'une même lumière les rêveries italiennes, allemandes ou anglaises, "porta à travers l'Europe une passion de justice, le goût de la défense des faibles, de l'exaltation des hautes pensées" - ce sont les mots d'Aragon.
Voilà notre héritage européen : ces influences mêlées jusqu'à l'éblouissement, jusqu'à la difficulté extrême.
Cet héritage est exigeant. Il demande qu'on n'ait pas peur des autres et qu'on travaille ensemble. Il place chacun d'entre nous, chaque homme politique, chaque diplomate, chaque citoyen d'Europe, devant un choix : céder au mouvement premier, au repli derrière les certitudes. Ou bien assumer l'héritage, reprendre le flambeau, faire avancer l'histoire.
La première Europe fut donc celle de la réconciliation. Mais cette Europe, qui avait construit un espace de paix et de prospérité, s'est trouvée démunie devant une situation nouvelle : la fin de la guerre froide et la disparition du monde bipolaire.
Notre diplomatie européenne est intimement liée à votre histoire. Dans les premières années de la guerre qui ravagea votre pays, nous n'avons pas su parler d'une même voix. Nous n'avions pas les instruments pour le faire. Nous n'avions pas non plus la maturité politique. La désunion de l'Europe, son silence, ses erreurs, ont été pour nous tous un immense traumatisme. De ce traumatisme est née la volonté de bâtir une politique étrangère et de sécurité commune.
Depuis, sur chaque crise, nous avons pris l'habitude de nous réunir, de nous concerter, d'écouter l'avis de nos partenaires. Nous avons rencontré bien des difficultés. Devant la crise irakienne, l'Europe était encore désunie. Mais nous n'avons pas renoncé.
Et cet été, dans une crise majeure, l'Europe a parlé d'une seule voix. C'est un tournant, je le crois fortement, dans l'aventure européenne. L'Europe n'a pas attendu. L'Europe a pris l'initiative, quand l'Amérique tardait à réagir. L'Europe a su adopter une position équilibrée, elle a assumé sans complaisance son rôle de médiateur. L'Europe a su parler d'une seule voix au Conseil extraordinaire de Bruxelles. La volonté d'être unis l'a emporté sur le désir d'avoir raison contre les autres. Bien sûr tout n'est pas parfait ; mais l'exigence d'unité a été la plus forte. Une Europe qui parle d'une seule voix, c'est une Europe qui peut se faire entendre. C'est une Europe qui pèse sur le cours des choses.
C'est en assumant nos responsabilités à l'extérieur que nous avons renforcé l'unité entre nous. Le moteur de l'Europe aujourd'hui, je le crois fortement, ce n'est pas seulement son économie, c'est sa diplomatie. Et le moteur de cette diplomatie, c'est la conscience claire des responsabilités qu'il faut prendre.
Dès qu'elle ne voit plus les défis qui s'avancent, l'Europe se désunit, les intérêts divergent, les querelles menacent. L'Europe connaît ces soubresauts dangereux. Ces querelles pourtant sont dérisoires au regard des enjeux de demain ! Regardons au loin ! Ayons les yeux aussi grands que le monde, et nous voilà réunis !
Le défi que l'Europe doit aujourd'hui relever, c'est celui d'une mondialisation réussie. Nous faisons face à une redistribution rapide et incertaine des cartes de la puissance à l'échelle planétaire. Nous faisons face à des problèmes globaux, migratoires, énergétiques, sanitaires, sans précédent. Dans ce monde incertain, l'Europe ne pourra faire vivre ses valeurs qu'en assumant sa responsabilité de grande puissance. Dans cette vaste entreprise, l'Union a besoin du concours de l'ensemble de la famille européenne, elle a besoin de toutes les intelligences rassemblées, tendues vers un même but, liées par un même idéal.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, l'Europe d'aujourd'hui n'est plus celle du charbon et de l'acier. L'Europe d'aujourd'hui, c'est aussi celle qui envoie des observateurs en Géorgie, qui dialogue avec l'Inde ou le Brésil, qui déploie, au Tchad, une force de paix, qui déploie, dans votre pays, pour soutenir vos institutions, une mission militaire et une autre civile. C'est une Europe qui puise dans ses racines l'essence de sa diplomatie : porter au-dehors le dialogue, la modération et la paix.
Voilà le chemin que nous avons parcouru. Ce chemin nous rend humbles. Il ne fut pas sans erreurs, sans reculs, sans hésitations. Et tous les obstacles ne sont pas encore levés. Ces défis que nous avons relevés, ce sont aussi les vôtres. Et c'est pourquoi nous avons tant à partager.
Un jour, c'est certain, la Bosnie-Herzégovine sera membre de l'Union européenne. Je ne suis pas là pour vous mentir : le chemin sera long. Nous serons à vos côtés, mais cette page d'histoire, c'est à vous qu'il revient de l'écrire.
Je veux vous le dire solennellement au nom de la Présidence française : nous attendons beaucoup de la Bosnie-Herzégovine. Nous attendons un Etat capable de régler ses différends intérieurs, pour porter au dehors le meilleur de lui-même. Nous attendons un Etat qui respecte souverainement les engagements pris devant la communauté internationale. Qu'est-ce qu'entrer dans l'Union aujourd'hui ? Ce n'est pas seulement entrer dans une zone de libre échange, de prospérité et de paix. C'est prendre un engagement politique et humain. C'est montrer par ses actes qu'on pourra le tenir.
Avec vous, l'Europe sera plus riche. Elle sera plus riche de toute votre expérience, de vos difficultés surmontées. Tant que la Bosnie-Herzégovine ne sera pas réconciliée pleinement, et tant qu'elle n'aura pas rejoint l'Union, il manquera quelque chose à la famille européenne. L'Europe ne sera pas achevée tant qu'en Bosnie-Herzégovine, la paix et l'amitié et n'auront pas retrouvé le chemin de vos coeurs.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2008
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chers Amis,
Je suis très sensible à votre initiative d'organiser cette Conférence à Paris.
En venant en France, vous venez bien sûr, à travers sa Présidence, à la rencontre de l'Europe. Mais vous venez aussi à la rencontre de vous-mêmes car c'est souvent loin de chez soi que l'on peut mieux comprendre, mieux se comprendre et mieux se connaître.
Dans votre initiative, je vois le symbole d'un pays qui prend ses responsabilités dans la marche du monde et qui veut répondre clairement à sa vocation européenne. Vous allez voir, les responsabilités de l'Europe vont grandir tous les jours.
Cette vocation européenne, nous l'avions affirmée lors de la première, enfin de la dernière des présidences françaises de l'Union européenne. C'était en l'an 2.000, au Sommet de Zagreb où je me trouvais alors. Je me rappelle combien l'avenir paraissait encore incertain. Et puis, c'était le Kosovo au Sommet de Zagreb et les problèmes ne sont pas terminés, même cela se dessine de meilleure façon.
C'était en l'an 2000, au lendemain d'une décennie marquée par la guerre, par la destruction, l'horreur de l'épuration ethnique. Ce Sommet de Zagreb offrait une chance aux Balkans occidentaux, celle de renouer avec l'idée, avec l'idéal de la paix et de la démocratie du continent européen.
Où en sommes-nous huit ans après ?
L'Accord de stabilisation et d'association signé en juin dernier a marqué une étape essentielle dans notre rapprochement. Vous voyez, je ne dis pas votre rapprochement, je dis bien notre rapprochement. Il faut comprendre aussi d'où vous venez et ce qui se passe chez nous. La Bosnie-Herzégovine ne reviendra pas dans l'Europe sans que l'Europe ne comprenne la Bosnie Herzégovine et apprenne d'elle aussi.
Avant une adhésion, il faut se parler. Il y a donc des obligations nouvelles, un engagement de l'Union européenne envers un pays qui se réforme et qui se modernise mais où les structures ne sont pas achevées.
Ce rapprochement, cet accord donne à la Bosnie-Herzégovine la possibilité de tourner pour de bon la page du règlement du conflit. Pour cela, il faut une entente politique, un fonctionnement politique mais aussi une entente humaine. Sinon, rien ne sera fait et vous subirez, vous souffrirez avec des institutions qui ne vous conviennent pas.
D'autres étapes déterminantes nous attendent. Je pense à la fermeture proche ou peut-être à moyen terme du Bureau du Haut Représentant et du rôle nouveau qu'assumera alors le Représentant spécial de l'Union européenne. Nous devons être attentifs à ce que les conditions soient réunies pour permettre ce changement. Je veux, à cette occasion, redire toute mon admiration pour le travail accompli par Miroslav Lajcak. J'ai occupé ce genre de responsabilités plusieurs fois et je sais combien sa tâche est difficile. Je suis de ceux qui ont toujours soutenu la vocation européenne des Balkans. C'est difficile, c'est long, mais je crois profondément que votre futur, votre destinée, votre stabilité se trouve en Europe.
Je voudrais reprendre cette belle et mystérieuse expression de "vocation européenne". Je voudrais vous dire combien la diplomatie est au coeur de cette vocation. Il faut savoir que l'Europe est une somme de défis successifs qu'il a fallu relever. La construction se fait d'abord sur un premier défi. Ce premier défi, vous allez voir et vous le voyez déjà, c'est la réconciliation. L'Europe s'est bâtie sur les ruines d'une guerre effroyable, contre les démons du passé, de la haine et de la barbarie. C'est ce qui a fait sa force, c'est son plus beau message. La réconciliation est toujours possible quelles que soient les blessures. Cela prend du temps : une, deux ou trois générations, mais c'est possible. Les peuples du vieux continent étaient séparés par des millions, des dizaines de millions de morts, des villes saccagées, des trains de déportés, des camps d'extermination établis à travers toute l'Europe. Et pourtant, aujourd'hui, quand je parle de Berlin, je dis "nous", quand je parle de Paris et de Berlin, je dis "nous". Et ce fut cela le plus grand succès : dire "nous" en parlant des Allemands et des Français qui se sont battus pendant des siècles. Ce n'est pas un miracle, mais c'est une obstination, c'est le fruit d'un travail patient, résolu, obstiné, difficile, souvent décourageant.
Mais c'est le fruit d'un travail d'abord contre soi-même, contre le premier mouvement qui est toujours un mouvement de repli, un mouvement de reproche, de haine. Ce ne fut pas facile et pas facile surtout pour ceux qui avaient souffert dans leur chair, qui avaient perdu un parent, un ami, une partie d'eux-mêmes, toute leur famille entière. Tous avaient ses souvenirs et tout nous portait à la méfiance. Mais nous avons voulu entendre une autre voix, celle qui éveillait en nous quelques symboles plus forts que nos haines.
Je veux rendre hommage à ceux que l'on appelle les pères fondateurs de l'Europe, à ces grands hommes d'Etat qui ont su franchir le pas de l'amitié par-delà les blessures. C'est de Gaulle qui accueille chez lui le chancelier d'Allemagne, c'est Willy Brandt qui met genou à terre devant le ghetto de Varsovie, ce sont les mains de Kohl et de Mitterrand qui se serrent à Verdun. A Verdun, dans une journée, il y avait souvent 100.000 morts.
Tels sont les gestes qui ont bâti l'Europe, ces gestes qui "parlent au coeur comme au voilier le vent". Ces gestes qui ont remis en mouvement une histoire longue de plusieurs siècles. Qui, depuis plus de 15 siècles, fait le caractère propre de l'aventure européenne ? C'est le mélange des influences. L'Europe est un carrefour, c'est un point de rencontre. Et les Balkans, en son sein, sont le carrefour par excellence. Mais quand je dis par excellence, c'est le parcours le plus difficile. C'est là porte de l'Europe. C'est là où les chrétiens ont arrêté les musulmans. Et c'est là aussi où les musulmans, les juifs, les chrétiens, les orthodoxes et les catholiques ont vécu ensemble. L'Europe s'est construite par la coalescence parfois conflictuelle mais toujours féconde d'influences millénaires : tradition romaine et peuples venus du Nord ; héritages orientaux, slaves, anglo-saxons. Les Européens, nous sommes tout cela. Et c'est d'ailleurs pour cela que je suis personnellement partisan de l'entrée de la Turquie. Je comprends aussi qu'il y ait des difficultés. Je comprends aussi qu'une civilisation européenne se sente en ce moment menacée par une autre civilisation. La période n'est pas facile, les guerres sont devant nous. Ce n'est pas du papier. Ce n'est pas de l'élucubration intellectuelle. Nous affrontons l'extrémisme musulman en ce moment. Comment en triompher ? Nous sommes, les uns et les autres, 25 pays de l'Europe, impliqués dans ce conflit pour l'Afghanistan, contre l'extrémisme. Je comprends que l'Europe est déjà difficile à bâtir à 27 et il faut en conserver l'unité.
La première littérature qu'on peut dire "européenne" est née précisément de la "fusion du nord et du midi". Cette littérature, qui éclaira d'une même lumière les rêveries italiennes, allemandes ou anglaises, "porta à travers l'Europe une passion de justice, le goût de la défense des faibles, de l'exaltation des hautes pensées" - ce sont les mots d'Aragon.
Voilà notre héritage européen : ces influences mêlées jusqu'à l'éblouissement, jusqu'à la difficulté extrême.
Cet héritage est exigeant. Il demande qu'on n'ait pas peur des autres et qu'on travaille ensemble. Il place chacun d'entre nous, chaque homme politique, chaque diplomate, chaque citoyen d'Europe, devant un choix : céder au mouvement premier, au repli derrière les certitudes. Ou bien assumer l'héritage, reprendre le flambeau, faire avancer l'histoire.
La première Europe fut donc celle de la réconciliation. Mais cette Europe, qui avait construit un espace de paix et de prospérité, s'est trouvée démunie devant une situation nouvelle : la fin de la guerre froide et la disparition du monde bipolaire.
Notre diplomatie européenne est intimement liée à votre histoire. Dans les premières années de la guerre qui ravagea votre pays, nous n'avons pas su parler d'une même voix. Nous n'avions pas les instruments pour le faire. Nous n'avions pas non plus la maturité politique. La désunion de l'Europe, son silence, ses erreurs, ont été pour nous tous un immense traumatisme. De ce traumatisme est née la volonté de bâtir une politique étrangère et de sécurité commune.
Depuis, sur chaque crise, nous avons pris l'habitude de nous réunir, de nous concerter, d'écouter l'avis de nos partenaires. Nous avons rencontré bien des difficultés. Devant la crise irakienne, l'Europe était encore désunie. Mais nous n'avons pas renoncé.
Et cet été, dans une crise majeure, l'Europe a parlé d'une seule voix. C'est un tournant, je le crois fortement, dans l'aventure européenne. L'Europe n'a pas attendu. L'Europe a pris l'initiative, quand l'Amérique tardait à réagir. L'Europe a su adopter une position équilibrée, elle a assumé sans complaisance son rôle de médiateur. L'Europe a su parler d'une seule voix au Conseil extraordinaire de Bruxelles. La volonté d'être unis l'a emporté sur le désir d'avoir raison contre les autres. Bien sûr tout n'est pas parfait ; mais l'exigence d'unité a été la plus forte. Une Europe qui parle d'une seule voix, c'est une Europe qui peut se faire entendre. C'est une Europe qui pèse sur le cours des choses.
C'est en assumant nos responsabilités à l'extérieur que nous avons renforcé l'unité entre nous. Le moteur de l'Europe aujourd'hui, je le crois fortement, ce n'est pas seulement son économie, c'est sa diplomatie. Et le moteur de cette diplomatie, c'est la conscience claire des responsabilités qu'il faut prendre.
Dès qu'elle ne voit plus les défis qui s'avancent, l'Europe se désunit, les intérêts divergent, les querelles menacent. L'Europe connaît ces soubresauts dangereux. Ces querelles pourtant sont dérisoires au regard des enjeux de demain ! Regardons au loin ! Ayons les yeux aussi grands que le monde, et nous voilà réunis !
Le défi que l'Europe doit aujourd'hui relever, c'est celui d'une mondialisation réussie. Nous faisons face à une redistribution rapide et incertaine des cartes de la puissance à l'échelle planétaire. Nous faisons face à des problèmes globaux, migratoires, énergétiques, sanitaires, sans précédent. Dans ce monde incertain, l'Europe ne pourra faire vivre ses valeurs qu'en assumant sa responsabilité de grande puissance. Dans cette vaste entreprise, l'Union a besoin du concours de l'ensemble de la famille européenne, elle a besoin de toutes les intelligences rassemblées, tendues vers un même but, liées par un même idéal.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, l'Europe d'aujourd'hui n'est plus celle du charbon et de l'acier. L'Europe d'aujourd'hui, c'est aussi celle qui envoie des observateurs en Géorgie, qui dialogue avec l'Inde ou le Brésil, qui déploie, au Tchad, une force de paix, qui déploie, dans votre pays, pour soutenir vos institutions, une mission militaire et une autre civile. C'est une Europe qui puise dans ses racines l'essence de sa diplomatie : porter au-dehors le dialogue, la modération et la paix.
Voilà le chemin que nous avons parcouru. Ce chemin nous rend humbles. Il ne fut pas sans erreurs, sans reculs, sans hésitations. Et tous les obstacles ne sont pas encore levés. Ces défis que nous avons relevés, ce sont aussi les vôtres. Et c'est pourquoi nous avons tant à partager.
Un jour, c'est certain, la Bosnie-Herzégovine sera membre de l'Union européenne. Je ne suis pas là pour vous mentir : le chemin sera long. Nous serons à vos côtés, mais cette page d'histoire, c'est à vous qu'il revient de l'écrire.
Je veux vous le dire solennellement au nom de la Présidence française : nous attendons beaucoup de la Bosnie-Herzégovine. Nous attendons un Etat capable de régler ses différends intérieurs, pour porter au dehors le meilleur de lui-même. Nous attendons un Etat qui respecte souverainement les engagements pris devant la communauté internationale. Qu'est-ce qu'entrer dans l'Union aujourd'hui ? Ce n'est pas seulement entrer dans une zone de libre échange, de prospérité et de paix. C'est prendre un engagement politique et humain. C'est montrer par ses actes qu'on pourra le tenir.
Avec vous, l'Europe sera plus riche. Elle sera plus riche de toute votre expérience, de vos difficultés surmontées. Tant que la Bosnie-Herzégovine ne sera pas réconciliée pleinement, et tant qu'elle n'aura pas rejoint l'Union, il manquera quelque chose à la famille européenne. L'Europe ne sera pas achevée tant qu'en Bosnie-Herzégovine, la paix et l'amitié et n'auront pas retrouvé le chemin de vos coeurs.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2008