Déclaration de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat à la solidarité, sur les violences conjugales, l'image des femmes dans les médias et la campagne de prévention contre les violences faites aux femmes, Paris le 2 octobre 2008.

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Circonstance : Démarrage de la campagne sur les violences conjugales à Paris le 2 octobre 2008

Texte intégral


Mesdames, Messieurs,
Je voudrais vous faire part de ma conviction profonde.
Non, les violences conjugales ne relèvent pas d'une intimité qui ne regarderait que le couple.
Non, l'excision ou le mariage forcé ne sont pas des singularités coutumières à respecter.
Non, les violences au travail subies par les femmes ne sont pas inéluctables.
Nous sommes réunis ici pour lancer une campagne de presse de lutte contre les violences faites aux femmes.
Non, il n'y a pas de fatalité à ces violences, à toutes ces atteintes quotidiennes à la dignité et à l'intégrité humaine dont les femmes sont majoritairement victimes.
Afin de vous expliquer le cheminement stratégique et le parti-pris de création que nous avons adoptés, je tiens à faire un bref rappel historique.
La communication sur le sujet des violences faites aux femmes s'est longtemps consacrée à sa manifestation la plus universelle, celle exercée au sein du couple.
Il a fallu d'abord à lutter contre le silence et le déni de la société.
Le silence, en effet, car aggravé par le caractère intime du couple il s'apparente au syndrome de la porte fermée.
Le déni également car entretenu par ceux qui subissent comme par ceux qui font subir cette violence, il se traduit par la culpabilité, la honte et des vérités maquillées. Le déni aussi de toute une société qui véhicule des stéréotypes qui ont la vie tenace et des schémas culturels archaïques sur la condition de femme, nécessairement soumise, naturellement compassionnelle, et toujours enfermée dans un rôle de victime désignée.
On sait que ces stéréotypes bénéficient d'une transmission pernicieuse : le sens du sacrifice, l'obligation de ne pas se mettre en avant, le modèle de la servante, le devoir de séduction, la femme au foyer, la stricte observance des lois patriarcales, la soumission à la figure tutélaire du Prince Charmant...
On sait aussi que malgré les avancées significatives réalisées durant les trente années qui viennent de s'écouler, les stéréotypes et les clichés dont elles sont l'objet n'ont nullement disparu. Leur poids continue à peser et à compromettre les progrès accomplis en faveur des femmes. Et pour cela, il est important de prendre conscience de l'inacceptable décalage qui perdure entre la place réelle qu'occupent les femmes et le modèle unique de représentation dans lequel on les confine. En témoigne l'excellent rapport sur l'image des femmes dans les Médias qui m'a été remis la semaine dernière par Michèle REISER. Ce n'est pas un hasard si j'ai souhaité confier cette mission à une réalisatrice de renom, écrivain, philosophe, membre du CSA.... La politique que je mène en faveur des droits des femmes ne pouvait se concevoir sans réfléchir à l'image des femmes, à leurs représentations dans tous les domaines en commençant par l'éducation dès le plus jeune âge. Réduire les inégalités et éradiquer le phénomène des violences passe par l'évolution des mentalités et la remise en cause de tous ces stéréotypes qui participent à la discrimination fondée sur le sexe. En ce sens, le rapport de la Commission est d'un intérêt sans précédent. Ses constats sont éloquents et l'analyse effectuée souligne clairement la reconduction de stéréotypes récurrents qui confirment l'invisibilité des femmes ou leur positionnement secondaires tandis que les hommes restent acteurs principaux.
Les choix en matière de communication sont donc déterminants.
On comprend mieux pourquoi en matière de lutte contre les violences, il a été nécessaire d'abord d'alerter l'opinion publique sur la gravité du problème.
On ne peut échapper à la réalité imparable des chiffres : « en 2006 tous les 3 jours, une femme meurt des suites de violences conjugales » ou « 1 femme sur 10 est victime de violences »
De campagne en campagne, aux chiffres mortifères correspondait la répétition sans fin et sans espoir d'un long martyr qui ne laissait aucune porte de sortie. Le constat d'une cruauté ordinaire conduite à son point ultime de non-retour. Peu à peu s'installait l'image d'une femme meurtrie, à terre, gisante, morte : femme battue dans sa cuisine par son mari ou son fils, visage tuméfié, sac de morgue refermé, femme autopsiée, foetus ensanglanté, nom sur une pierre tombale... Cette communication au registre morbide risquait à terme d'être contreproductive parce que désespérante et ne laissant aucune place à l'action. Cette longue litanie doloriste risquait aussi à terme de provoquer la saturation et le rejet.
Une rupture était nécessaire.
En 2007 :
- 166 femmes (contre 137 en 2006) sont décédées sous les coups de leurs conjoints,
- 1 femme tous les 2,5 jours victime de son compagnon ou ex-compagnon.
Mais nous nous n'en sommes plus au stade du constat. Nous devons apporter des solutions.
Nous voulons donner aux femmes la force de réagir et les moyens d'agir. Nous ne pouvons tolérer qu'une femme reste à terre. Nous devons l'aider à se relever et marcher sur le chemin de sa libération.
La prévention est, à ce titre, adaptée. C'est une démarche active, destinée à éviter l'engrenage des violences ordinaires, qui enferme les femmes dans un cercle maléfique, qui les isole et les déstructure.
La clé que nous voulons donner aux femmes doit leur permettre de sortir le plus tôt possible du cercle de la violence avant qu'il ne se referme.
Plus on attend, plus l'identité de la personne et ses défenses se dégradent.
Plus la femme perd l'estime de soi et la capacité de réagir, plus on aboutit à des situations aberrantes de soumission et résignation, pendant 10 ans ou 15 ans avant de mourir ou de tuer son bourreau.
En ce sens, il fallait instaurer une pédagogie des repères.
Le mécanisme des violences conjugales est un mécanisme complexe et particulièrement pernicieux, un domaine où l'irrationnel commande, où l'on perd facilement le sens commun, où l'on a du mal à objectiver ce qui arrive.
Déni,
Dissimulation,
Maquillage au sens propre, comme au sens figuré,
Fausses excuses « il n'a pas toujours été comme ça » et petits arrangements avec la réalité pour soi et pour les autres « c'est pas si grave »,
Volonté de le sauver « je vais le changer »,
Culpabilité « c'est moi qui l'énerve »
Dévalorisation de soi « je ne dois pas faire ce qu'il faut », « je ne suis pas la femme qu'il voulait »,
Une appréhension de la normalité complètement pervertie « c'est normal qu'il me frappe »,
Sans oublier un sentiment amoureux qui ajoute à la confusion « C'est mon homme et je l'aime ».
Il est important de comprendre que la violence n'est pas que physique. Elle se manifeste au début par des signes anodins que la femme a tendance à effacer ou à excuser, que l'entourage tente de minimiser mais qui sont les premières expressions d'une violence en marche et qui ne fera que s'aggraver.
Il est important également de réaliser que la violence aussi verbale et psychologique. Elle est faite de signes qui ne trompent pas et qu'il faut reconnaître.
Elle se traduit par :
- une réaction disproportionnée,
- une contrainte à distance,
- des portes qui claquent,
- l'énervement provoqué par une mèche que l'on remonte ou un geste maladroit
- une fenêtre que l'on ouvre ou ferme sans raisons,
- des amis que l'on ne peut plus voir,
- l'obligation de respecter des horaires, de ne pas rire...
Cette réalité quotidienne a été le point de départ de la campagne presse contre les violences conjugales et le point d'entrée de la création d'une plate-forme Internet contre toutes les formes de violences faites aux femmes.
La campagne presse et site ont en commun le choix d'un registre combatif avec un mot
d'ordre qui incite à l'action « Ne laissez pas la violence s'installer. Réagissez. »
Je tiens à m'arrêter quelques minutes sur la campagne presse. Elle diffère des précédentes par sa tonalité, par son graphisme, par ses slogans.
J'ai voulu une campagne qui parle vrai.
Une campagne sans détours qui ose un ton inhabituel.
Le second degré a été privilégié pour mieux souligner la gravité et l'aberration des violences subies.
Cette campagne se fonde sur le principe de l'illustration qui permet la représentation de la violence au quotidien, dans ses détails les plus anodins et les plus pernicieux.
Elle adopte des registres typographiques faussement innocents qui accentuent la cruauté des mots et des situations.
Ainsi, les 3 annonces presse que je vais vous présenter ont été conçues pour toucher et interpeller les femmes victimes de violence mais aussi, et c'est nouveau, les témoins de ces violences et ceux qui les perpétuent.
La campagne que je lance aujourd'hui est faite pour réagir, libérer la parole, refuser la violence en appelant notamment le 3919 ou en se connectant au site stop-violences-femmes.gouv.fr.
Les 3 annonces presse résument parfaitement cette stratégie :
A destination des victimes :
Petite vous rêviez sûrement d'un prince charmant,.....pas d'un homme qui vous frappe en rentrant.
Ne laissez pas la violence s'installer. Réagissez.
A destination des témoins :
Parfois, le seul témoin de ce que vit une femme battue est un enfant de 2 ans.
Vous êtes témoin de violences. Réagissez.
A destination des auteurs :
C'est un homme comblé. Une maison, deux enfants, un chien et une femme battue.
Battre sa femme est un acte puni par la loi. Réagissez.
En outre, des outils hors-média seront mis à la disposition des relais et des associations d'aides aux femmes victimes de violences.
Un dépliant « victimes »
Un dépliant « auteurs »
Une brochure à destination des professionnels
Trois affichettes reprenant les annonces presses
et des mémo de poches dédiés au 39 19.
Par ailleurs, j'ai tenu à créer une plate-forme Internet : stop-violences-femmes.gouv.fr
L'objectif principal est d'informer, d'accompagner et surtout de DONNER DES REPERES aux femmes victimes de violences, sous toutes ses formes.
Il est important, je le rappelle, d'identifier les signes qui ne trompent pas, d'en mesurer la gravité, de comprendre que l'on est entré dans un cercle de violence subie qu'il faut rompre avant qu'il ne se referme.
Pour rendre ces signes qui ne trompent pas, tangibles et pour aider les femmes à sortir de leur silence, le site laisse une large place aux témoignages.
Des femmes victimes de violences conjugales, de mutilations, de mariages forcés, de viols, d'agressions sexuelles ou de violences au travail parlent de ce qu'elles ont vécu, de ce mécanisme complexe et pernicieux qui fait d'une femme une victime.
Ce sont des témoignages de femmes, mais aussi de responsables d'associations ou d'acteurs institutionnels, tels un commandant de police ou un juge. Les discours de tous ces intervenants vont dans le même sens, ils donnent des repères concrets qui permettent à chaque femme de comprendre que ce qu'elle subit n'est ni normal, ni de sa faute et qu'il est temps de réagir.
Je remercie vivement les associations pour leur implication dans la création du site, dans la recherche de témoignages.
Je remercie très chaleureusement les femmes qui ont eu le courage de parler avec une sincérité bouleversante et une dignité qui force le respect.
Le site rassemble aussi toutes les informations utiles et pratiques, qu'il s'agisse de la loi ou de coordonnées de l'association la plus proche de chez soi.
Sa consultation peut bien se faire en toute discrétion, en ménageant une sortie rapide du site et en supprimant toutes traces de son passage.
Enfin, je souhaite insister sur la nature de cette campagne. Destinée aux femmes victimes de violence, elle s'adresse aussi à ceux qui perpétuent les violences et à ceux qui en sont témoins. Elle ne pouvait être possible sans la collaboration active et l'implication sans failles d'une quinzaine d'associations qui chaque jour et depuis des années accueillent, conseillent, hébergent et réconfortent des femmes en détresse et les aident à faire les premiers pas pour sortir du cercle de la violence et se reconstruire.
C'est leur connaissance, leur expérience qui nous ont permis de donner à ce site une dimension profondément humaine au travers des témoignages recueillis. Grâce à cette parole libérée, des femmes « rencontrent » d'autres femmes et apprennent d'elles ce mécanisme de la violence ordinaire. Un dialogue intime de femme à femme qui par leur histoire donne à chacune les moyens de réagir, de s'en sortir.
Il y a des sujets que le progrès social ne règle pas, que la modernité n'efface pas. A ce titre, les violences faites aux femmes sont emblématiques. Il faut combattre avec la plus grande force ces atteintes quotidiennes à la dignité ou à l'intégrité des femmes.
L'indifférence et le silence, c'est ce qu'il a de pire. Briser le silence, c'est l'affaire et le devoir de tous. Et sur cette question, je voudrais vous dire combien nous avons besoin de votre aide, vous qui représentez la presse, pour briser le silence et dénoncer la violence faite aux femmes.
Je vous remercie.
Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 3 octobre 2008