Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RTL" le 8 octobre 2008, sur la nécessité de rétablir la confiance dans le contexte de crise financière internationale.

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J.-M. Aphatie.- Les Bourses continuent à dévisser ce matin : Tokyo est à moins 9,16 %. Sommes-nous proches de la débâcle, C. Lagarde ?

Ça démontre qu'on est dans une situation de crise profonde et de crise généralisée à l'ensemble des grands marchés financiers.

Que vous n'arrivez pas à calmer ?

Je crois que pour arriver à juguler cette situation, il faut absolument rétablir la confiance, parce que c'est en ce moment la démonstration d'une méfiance généralisée entre tous les établissements financiers en particulier. Vous savez qu'actuellement les banques, notamment, n'arrivent pas à faire leur travail parce qu'elles n'arrivent pas à se prêter entre elles. Alors ce que nous essayons de faire, c'est de rétablir la confiance entre les établissements financiers. Tout simplement, pour que la tuyauterie fonction, pour que les banques se prêtent entre elles.

Mais ça fait dix jours que vous tenez le même message !

Non, non, ça ne fait pas dix jours que je tiens le même message...

Si, bien sûr !

...ce qui est important, c'est qu'on arrive à le démontrer de manière coordonnée. Ce sont tous les efforts du président de la République, depuis samedi dernier, à l'occasion du sommet du G4, avec l'Allemagne, avec l'Italie, avec l'Angleterre, pour ensemble délivrer le même message. C'est-à-dire : nous ne laisserons pas tomber les établissements financiers. Pourquoi est-ce que c'est un message important ?

Mais cela, ça fait des jours que vous le dites ! Qu'est-ce qui manque pour que la confiance s'installe ?

Il faut que tout le monde le dise, c'est ça qui est important. Ce qui a été dramatique d'une certaine manière, c'est la décision d'H. Paulson, aux Etats-Unis, de laisser tomber Lehman Brothers. C'était une banque...il y avait certainement eu des mauvaises gestions, des mauvaises décisions prises par cette banque. Pour autant, et sans soutenir les banquiers mais en soutenant cet établissement, ça aurait été un signal bien plus important. Tout simplement, parce que les banques, qu'est-ce qu'elles font ? Elles travaillent toutes entre elles, et elles sont en contrepartie les unes des autres. Quand on en laisse tomber une, le risque c'est que d'autres à ce moment-là ne sachent plus qui est la contrepartie, et se trouve exposée. C'est compliqué...

Ça, c'était le 15 septembre....

...mais à partir du moment où on fait tomber un domino, le reste risque de s'effondrer.

C'est le 15 septembre, il y a eu là une erreur américaine, d'après vous, C. Lagarde ?

De mon point de vue, pour l'équilibre du système financier mondial, oui. Ça a été une véritable erreur et il faut absolument qu'on arrive à rétablir, vis-à-vis de tous les partenaires dans le monde financier, le principe qu'aucune institution financière qui présente un rôle systémique dans le système financier, ne sera en faillite. Et ça, ça signifie et ça a été répété clairement par le président de la République, ça a été repris par les 27 pays de l'Union européenne ; j'étais à Luxembourg, c'est ce sur quoi nous avons travaillé, on a établi une doctrine ensemble pour le faire, selon nos modalités respectives mais en respectant les mêmes principes. Et il faut absolument que les établissements financiers le comprennent. Les établissements financiers systémiques ne tomberont pas en faillite, les Etats, les Etats européens, nous nous y sommes engagés hier, prendront les mesures nécessaires pour l'éviter et pour que les épargnants, et pour que les déposants, soient à l'abri des conséquences de telles situations.

Faut-il instaurer un fonds de garantie européen pour que ce message passe bien, C. Lagarde ?

On l'a évoqué, ici ou là, on en a parlé entre nous encore hier lors de la réunion des ministres de l'Economie et des Finances. La réalité, c'est que le marché européen de la finance est très segmenté. Prenez le Danemark, par exemple, c'est un pays qui aujourd'hui a 140 banques ; prenez l'Espagne ou la Grande-Bretagne, les banques sont extrêmement investies dans l'immobilier ; prenez la France, les banques qui ont un modèle qui permet de répartir les risques, 75 % dans une activité traditionnelle de banque, solide, 25 % dans une activité de marché. Donc, un secteur français qui est beaucoup mieux réparti et beaucoup plus solide. Quand vous avez un marché qui est aussi différent, on peut difficilement mettre en place une formule qui, mathématiquement conviendra à tout le monde. Et c'est pour ça que, ce dont nous sommes convenus hier, c'est : un, le même objectif, ne pas laisser tomber ; deuxièmement, les mêmes principes, c'est-à-dire, par ordre d'importance, on protège les épargnants, deuxièmement, les contribuables, et ensuite, les actionnaires, et ensuite les dirigeants. C'est-à-dire que, les deux dernières catégories devront en quelque sorte faire les frais de leur mauvaise gestion ou payer les pots cassés d'établissements qui n'ont pas été maintenus. C'est pour ça que, quand vous regardez ce qui s'est passé en Espagne aujourd'hui, ce qui se passe en Grande-Bretagne aujourd'hui, où il y a une espèce de mouvement de nationalisation des établissements bancaires, c'est tout à fait différent d'un pays à l'autre, et c'est normal, parce que nos secteurs sont différents.

Donc, si on vous entend bien, ce matin sur RTL, C. Lagarde, l'idée d'un fonds de garantie européen est définitivement écartée ?

Il ne faut jamais dire "définitivement" en la matière, c'est un des...

Votre raisonnement pousse à comprendre cela.

...c'est un des enseignements que l'on tirait hier, c'est qu'on est dans une situation qui n'a pas de précédent, compte tenu de son ampleur et compte tenu de sa profondeur dans les établissements financiers, je ne parle pas de l'économie réelle. Donc, il ne faut pas s'interdire des propositions, il ne faut pas s'interdire d'envisager de nouveaux outils.

En tout cas, ce n'est pas à l'ordre du jour, le fonds de garantie européen n'est pas à l'ordre du jour ?

Pas aujourd'hui, non.

Peut-on dire, C. Lagarde, puisque cette crise maintenant nous touche, que la France est entrée en récession ?

Ecoutez ! La religion du mot, franchement, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse...

Les mots décrivent les choses, on a besoin de savoir où on en est, C. Lagarde.

Mais bien sûr, mais on essaie de savoir le mieux possible où on en est. Il y a des gens qui font de la prévision, on les écoute. Ce qui m'intéresse, c'est d'être dans l'action et de vérifier deux choses. Premièrement...

Sommes-nous en récession ?

...que la tuyauterie marche ; deuxièmement, qu'il y a du carburant dans le moteur. Et pour qu'il y ait du carburant...

Sommes-nous en récession, C. Lagarde ?

...dans le moteur, il faut qu'on alimente nos PME en financement, c'est ça qui est le plus important.

Sommes-nous rentrés en récession, C. Lagarde ?

Je sais que ça vous ferait plaisir de me faire dire oui ou non. Je vous dis que la réponse ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est que nous puissions repartir en favorisant le financement des PME. Alors, la croissance à la fin de l'année 2008, elle sera autour de 1 %, c'est ce qu'avec le Premier ministre nous avons toujours dit. L'année prochaine, en 2009, autour de 1 %.

Vous maintenez cette précision malgré tout ce qui se passe ?

Oui, bien sûr.

Troisième et quatrième trimestre sans doute, il y aura une croissance négative en France.

Mais on a un élan de croissance sur lequel on fonctionne ; on a eu un bon premier trimestre qui nous a poussés pour l'année 2008, très bien. Maintenant, ce qui est important, c'est de pouvoir construire pour re-développer l'activité, pour faire en sorte que les entreprises puissent investir et continuer à employer, c'est ça qui est important.

La confiance, c'est le mot de la période, C. Lagarde. On lit, on entend beaucoup de choses. Avez-vous toujours la confiance du président de la République ?

Alors ça, je peux vous dire que oui. J'ai eu un entretien particulier, seul à seul avec lui, vendredi, pour bien établir sur quelles bases on construit l'ensemble des dispositifs à l'échelon européen, et il m'a renouvelé sa confiance.

C. Lagarde, qui a la confiance du président de la République, reste avec les auditeurs de RTL.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 octobre 2008