Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, à Europe 1 le 17 octobre 2008, sur le chômage, l'indemnisation des chômeurs par la création du "Pôle Emploi" et la crise économique et financière.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
 
M. Grossiord.- X. Bertrand, bonjour. Le mot "récession" vous fait-il peur ?
 
Je ne vois pas pourquoi il ferait peur, c'est ce qui se passe aujourd'hui aux Etats-Unis et on sait pertinemment que ce ralentissement économique ne s'arrêtera pas aux frontières de la France. Vous savez, il n'est pas question aujourd'hui de refaire le coup du nuage de Tchernobyl. S'il y a un ralentissement économique aux Etats-Unis, cela aura des conséquences, forcément en Europe, cela aura des conséquences aussi en France. Et il faut s'attendre, bien évidemment à des mois qui vont être des mois difficiles. Le président de la République l'avait dit à Toulon, des mois difficiles pour l'économie, pour le pouvoir d'achat, pour la croissance.
 
Mais la récession, elle est là, aux Etats-Unis, en Europe, en France a dit hier L. Parisot. Comment comptez-vous adapter votre réponse à ce qui est devenu la première préoccupation des Français, le chômage ?
 
Déjà, la première des choses, en tenant le cap des réformes, des réformes qui ont été mises en oeuvre pour lutter contre le chômage. Quand nous décidons la fusion Unedic-ANPE, c'est pour avoir un service de l'emploi plus efficace. Aujourd'hui, un conseiller s'occupe de 130 demandeurs d'emploi. Demain, il pourra s'occuper de 30 demandeurs d'emploi, ce qui veut dire que cela sera beaucoup plus simple pour l'aider à se former et à retrouver un emploi.
 
Et vous pensez vraiment, que ce changement de structure, ce "Pôle emploi" qui a été officiellement lancé hier peut aider les chômeurs à retrouver du travail ?
 
Tous les pays qui ont vraiment réussi à faire reculer le chômage sont des pays qui ont mis en oeuvre ce type de dispositif. C'est la même chose avec les "offres raisonnables d'emploi" : plus de droits, plus d'accompagnements pour les chômeurs. Mais aussi des devoirs : accepter des offres d'emploi raisonnables qui correspondent au profil du chômeur. C'est ce que fait, notamment L. Wauquiez en mettant en oeuvre maintenant sur le terrain toutes ces réformes.
 
Alors, vous parlez de la poursuite des réformes, pourtant en 2009, pas de croissance, pas d'argent, donc pas de réforme.
 
La pire des choses ce serait d'arrêter les réformes. Vous êtes en mer, vous avez une tempête, qu'est-ce que vous faites ? Vous ne jetez pas l'ancre, ça c'est sûr et vous continuez. Je vais aussi vous donner un exemple : en 92, vous avez eu une crise économique importante. Les différents pays, notamment de la zone Europe sont sortis de cette crise en 95. La France, elle, à l'époque est sortie de cette crise en 97-98. Pourquoi ? Parce qu'elle n'avait pas engagé les réformes. Ce qui est important aujourd'hui, parce que nous savons tous, qu'il y aura une reprise, c'est qu'elle puisse intervenir le plus vite possible. C'est que la France puisse s'en sortir la plus forte possible et pour ça, il faut continuer les réformes et continuer aussi à anticiper. Quand nous décidons que l'Etat va intervenir pour le financement de 30 000 logements, c'est pour éviter, justement, qu'il n'y ait des difficultés trop importantes pour le logement et pour le secteur du bâtiment. C'est la même chose quand nous décidons de mettre 22 milliards d'euros pour le financement des PME.
 
Donc, anticiper, cela veut dire, reconsidérer la politique qui est menée par le Gouvernement.
 
Non, je vous l'ai dit, vous pouvez essayer d'autres façons, il ne s'agit pas de reconsidérer, il s'agit de tenir le cap des réformes. Parce que nous savons bien que ces réformes sont indispensables et qu'aujourd'hui, ce sont les seules qui sont de nature à muscler, à remuscler la France. Il faut aujourd'hui dire la vérité sur la situation, il faut faire preuve de réalisme, mais pas de catastrophisme non plus.
 
Et c'est N. Sarkozy lui-même qui va présenter la semaine prochaine de nouvelles mesures pour l'emploi. On parle du retour des emplois aidés, il fait tout, qu'est-ce qui vous reste ?
 
Qui est-ce qui a été élu par les Français en 2007 ?
 
N. Sarkozy !
 
Voilà, très bien.
 
Mais vous êtes ministre !
 
Eh bien oui, mais écoutez, il ne me semble pas que le ministre du Travail manque de travail non plus. Mais vous avez aujourd'hui une logique qui est très claire : c'est le président de la République qui a été élu par les Français. Ils veulent un président de la République, aujourd'hui qui ne soit plus spectateur dans les tribunes, mais qui soit véritablement acteur, c'est le cas !
 
Toujours pas de relance au niveau français, l'idée a été lancée sur le plan européen et l'opposition la réclame et pas seulement, dit-elle, le sauvetage des banques. Est-ce qu'on viendra, véritablement à une politique de relance ?
 
On a toujours des grands débats sémantiques sur tel ou tel mot. Attendez, quand on a mis en place l'an dernier le texte sur l'emploi et le pouvoir d'achat, quand on décide justement de rendre aux Français près de 10 milliards d'euros, cela a un rôle à l'époque anticipateur. Et aujourd'hui, cela a un rôle d'amortisseur. Parce que cet argent est revenu dans l'économie française et heureusement que cet argent était là. Alors, il ne s'agit pas d'avoir de l'appétit pour tel ou tel mot, mais d'être dans l'action. Ce qui est important aujourd'hui c'est la parole publique, la parole, politique, oui. Mais l'action, l'action politique, c'est ce que nous n'avons pas cessé de faire depuis un an et demi. Mais vous savez, quand le président de la République annonce au Mondial de l'Auto tout un plan pour l'auto « décarbonée », les nouvelles voitures propres, c'est aussi des emplois d'après demain, mais des emplois de demain aussi.
 
Est-ce qu'il est souhaitable de baisser les cotisations chômage, alors, on l'a vu, que la courbe est repartie à la hausse ?
 
Ecoutez, il y a eu un mauvais mois de septembre, c'est vrai... mauvais mois d'août pardon, nous attendons les chiffres maintenant du mois de septembre qui seront publiés la semaine prochaine, je crois.
 
Vous les connaissez déjà donc.
 
Je viens de vous dire que c'était les chiffres du mois d'août, ne prenez pas un lapsus pour une dissimulation ou quoi que ce soit, rien de plus, vous le savez bien. Non, les chiffres du mois d'août n'ont pas été bons, avec plus de 41.000 demandeurs d'emploi en plus, notamment des intérimaires qui se sont réinscrits. Nous attendons maintenant les chiffres du mois de septembre. Une chose est certaine, c'est que les mois qui viennent seront des mois qui seront difficiles sur le front de l'emploi, nous le savons bien. Ce qui nous amène non seulement à bien veiller à l'application, à l'application de cette fusion Unedic-ANPE partout sur le terrain, et aussi à regarder comment nous pouvons être plus efficace encore.
 
Des milliers de retraités, X. Bertrand, étaient dans les rues hier. Est-ce que la revalorisation de 25 % du minimum vieillesse reste possible ?
 
Non seulement elle est possible, mais elle est engagée. Il faut savoir que c'est 25 % sur cinq ans qui ont été annoncés par le président de la République. Nous avons fait 5 %, l'an dernier, 5 % cette année et chaque année, la revalorisation sera de 5 %. Mais nous ne nous arrêtons pas là, parce qu'il y a aussi le même effort qui est fait par l'Allocation d'adulte handicapé. Nous avons décidé d'accélérer la mise en oeuvre de la revalorisation des pensions de réversion pour à peu près 600 000 veuves de plus de 65 ans. Ce qui veut dire que nous pensons aussi à celles et ceux qui sont éloignés de l'emploi. Il faut tenir à la fois le cap des réformes, et il faut tenir aussi le cap de la cohésion sociale. Penser aux plus fragiles, parce que s'il y a des difficultés économiques, nous devons penser aussi à celles et ceux qui sont les plus modestes.
 
Un effort considérable, on l'a vu, a été fait pour sauver les banques. Que peut faire l'Etat pour que les banques ménagent les Français qui ont des crédits, par exemple ?
 
Quand l'Etat décide de soutenir les banques, ce n'est pas soutenir les banques pour soutenir les banques. C'est soutenir les banques pour soutenir leurs clients, les entreprises - je pense bien sûr aux PME, en priorité, mais je pense aussi aux particuliers. L'accès au crédit pour le logement, pour acheter sa voiture, pour acheter des biens de consommation. Donc, il faut bien comprendre que derrière cette logique, ce n'est pas les banquiers que l'on aide, c'est la façon dont on peut continuer à soutenir l'économie. Et notre rôle aujourd'hui, c'est de veiller à ce que sur le terrain, dans tous les départements cet argent arrive à ceux qui en ont besoin. Et notamment tout le tissu économique, parce que là, il y a un rôle de prévention et d'anticipation. Faire en sorte que le robinet du financement de l'économie ne se bloque pas et ne se ferme pas. C'est là, l'enjeu. C. Lagarde, H. Novelli sont totalement mobilisés sur ce sujet. Il va y avoir des conventions pour être sûr que l'argent arrive bien aux entreprises et de façon aussi à bien vérifier ensuite quelle a été l'affectation de ces crédits. Notre rôle aujourd'hui, n'est pas seulement de décider à Paris, mais de veiller à l'application partout sur le territoire.
 
Travailler le dimanche, est-ce que c'est la nouvelle version du : travailler plus pour gagner plus ?
 
Eh bien, c'est déjà éviter que certains gagnent moins. Parce que vous avez aujourd'hui des dizaines de milliers de salariés qui travaillent le dimanche...
 
Et qui ne sont pas payés double !
 
Attendez, vous avez des dizaines de milliers de salariés... Alors on va remettre les choses au point. 7 millions de Français travaillent le dimanche, 7 millions dont 3 millions et demi travaillent tous les dimanches : les hôpitaux, les cinémas, une station de radio, notamment comme Europe 1 travaille aussi le dimanche, bien. Mais seulement, vous avez aujourd'hui des dizaines de milliers de salariés qui sont dans des commerces, notamment, qui ouvraient le dimanche et qui ont fermé, parce que les enseignes en avaient marre de payer des astreintes. Or, pour ceux-là, je veux qu'il n'y ait pas de retrait sur leur salaire. Donc, il nous faut maintenant faire bouger les choses. Je souhaite avec L. Chatel que la proposition de loi de R. Mallié puisse être discutée, avant la fin de l'année, le plus tôt possible, le plus tôt possible, pour que nous puissions, dans des zones d'activités particulières, l'Ile-de-France, Plan de Campagne, par exemple, et en définissant mieux les zones touristiques, faire bouger les choses.
 
Dernière question...
 
Mais ce débat est intéressant, parce qu'on voit aujourd'hui qu'il y a le retour des conservateurs de tout poil. Ceux qui ne veulent jamais que cela bouge essayent avec ce débat de faire peur. Or, la réalité c'est que le travail du dimanche c'est aussi un droit au travail.
 
Ce qui fait peur, peut-être en ce moment, c'est ce qu'on apprend sur les carnets secrets d'Y. Bertrand, qui fut pendant des années le patron des RG, c'est l'affaire d'espionnage visant O. Besancenot, votre réaction ?
 
Tout ceci donne la nausée. La lecture d'un hebdomadaire avec les carnets de Monsieur Bertrand, ça donne la nausée, très franchement. Et concernant O. Besancenot, je combats ses idées. Je combats ses idées, parce que je pense que la réponse aujourd'hui à ce que nous traversons, n'est certainement pas l'anticapitalisme. Mais je crois une chose, c'est que si ces faits sont avérés, c'est insupportable.
 
X. Bertrand, merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 octobre 2008