Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, à France-Info le 17 octobre 2008, sur la journée mondiale du refus de la misère, la pauvreté et l'exclusion sociale et le revenu de solidarité active.

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Média : France Info

Texte intégral


 
 
 
A. Soubiran.- M. Hirsch, vous êtes l'invité ce matin de la Question du jour sur France-info, à l'occasion de la Journée mondiale du refus de la misère. Je rappelle que vous êtes Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté. Et vous revenez de deux jours à Marseille, où s'est tenue une table ronde européenne sur "la pauvreté et l'exclusion sociale". Vous avez appelé les gouvernements des 27 à ne pas réduire le niveau des protections sociales, car, je vous cite "ce sont elles qui permettront de faire la différence avec le crise de 1929, où les gens tombaient comme des mouches". Pensez-vous aujourd'hui que les protections sociales sont menacées en France ?
 
Je ne parle pas de savoir si elles sont menacées en France, non, ce n'est pas le cas, au contraire, on est en train de les renforcer vis-à-vis des plus faibles. Mais surtout, au niveau européen, il y a des inquiétudes. Et vous savez que depuis que l'Europe existe, c'est-à-dire depuis cinquante ans, jamais, jamais, jamais, les ministres en charge de la pauvreté s'étaient vus pour discuter de la pauvreté. Là, il y a période de crise, pour la première fois, on a mis autour de la table l'ensemble des ministres, et l'on s'est dit : est-ce que oui ou non, on prend les choses à bras le corps ? Est-ce que, oui ou non, on est capables d'être vigilants pour éviter que la crise financière devienne une crise qui concerne les plus vulnérables ? Et on s'est retrouvés pour affirmer que - on était à Marseille -, pour affirmer dans ce petit "P 27" - il y a le G7 pour les riches, le P 27, "pauvreté" et 27 pays -, pour faire en sorte qu'on soit vigilants et qu'on soit capables de proposer les mesures qui s'imposeront si ça va mal pour les pauvres.
 
On a l'impression qu'il aura fallu une crise financière pour une prise de conscience européenne à tous les niveaux. Cette crise financière justement, la situation est loin d'être stabilisée, on l'a vu, les Bourses sont en hausse, en baisse, ça dépend des jours. A priori, on se dit que les plus défavorisés n'ont pas grand-chose à voir avec les spéculations boursières. Mais ce sont eux qui vont payer le prix fort d'une récession économique ?
 
C'est ce qu'il faut éviter, c'est ce qu'il faut éviter. C'est pour ça que, avoir fixé des objectifs de réduction de la pauvreté, ça va en temps calme, mais c'est d'autant plus utile en temps de turbulences. C'est-à-dire qu'on a fixé un objectif de réduction de la pauvreté qui est un engagement politique pris au plus haut niveau, que la pauvreté diminuera et qu'elle n'augmentera pas. Donc, s'il se passe des choses négatives, il faut qu'on soit capables de pouvoir réagir, ce qu'on a déjà fait. Et je vous donne juste un exemple : l'inflation, cette année, est plus élevée que prévu, et du coup, augmentation de la prime de Noël - ce qu'on a appelle "la prime de Noël" -, revalorisée pour tenir compte du fait que, sinon, ceux qui ont les minima sociaux allaient perdre 1,3 % du pouvoir d'achat. Donc, ça, c'est parce qu'il y a des objectifs de réduction de la pauvreté qu'on ne peut plus laisser. On ne peut plus laisser impunément les pauvres s'appauvrir, c'est quand même une chose fondamentale.
 
Est-ce que les gouvernements vont débloquer autant d'argent qu'ils l'on fait pour renflouer les banques ? Disons, une belle somme... ?
 
Il y a de l'argent qui a été débloqué, qui reste dans le giron de l'Etat, si je puis dire. C'est de l'investissement dans les banques. Mais vous avez raison de souligner que, de l'autre côté, on ne peut pas rester indifférent et neutre. J'entendais tout à l'heure, par exemple, votre chroniqueur économique dire qu'il n'y avait pas de plan de relance, qu'on faisait rien. Mais là, on va injecter juste 1,5 milliard d'euros dans le pouvoir d'achat des plus modestes. Vous savez, on nous reprochait beaucoup, en disant : "vous allez encore cramer de l'argent !', on m'avait même dit. Eh bien cet argent va être sacrément utile pour ceux qui risquent d'être... qui seront peut-être les moteurs du redémarrage de la demande, dans le premier semestre de l'année prochaine.
 
Tout de même, vous n'êtes pas un peu amer ? Il a fallu que vous vous battiez pour le financement du RSA, et là, en quelques réunions, des sommes colossales ont été débloquées pour les banques.
 
Attendez, j'aurais été amer si on n'avait pas débloqué les sommes pour le RSA, et on n'est pas passé loin. Tous les matins, je me dis - et je le vois quand je discute avec les gens qui sont dans les programmes expérimentaux, qui attendent le RSA, - on se dit : mais à quinze jours près, le couperet passait avant, et on se retrouvait "gros Jean comme devant". Tandis que là, effectivement, il y a de l'argent qui sera bien utilisé, qui est indispensable. Vous savez de quoi il s'agit quand même, parce qu'on parle des 300 milliards, etc. Là, je parle de 100 euros de plus par mois en moyenne par salarié modeste ; 100 euros de plus par mois par ménage de salariés modestes ! Ce qui est vraiment une mesure puissante pour leur pouvoir d'achat, qui n'a pas été prise depuis très, très longtemps.
 
Est-ce que la crise a déjà des effets sur les catégories les plus pauvres ? Je crois que vous allez convoquer une réunion à la fin du mois. Pour l'instant, ce n'est pas très précis ?
 
On va faire le tour avec les associations, avec les Restos du Coeur, avec Emmaüs, avec ATD-Quart Monde, avec le Secours Catholique, avec lesquels on est en contact permanent. Pour l'instant, ils ont surtout des inquiétudes pour les mois qui viennent, il ne me semble pas avoir de signe de vigilance, de signe d'alarme ou d'alerte immédiats. Mais on va se mettre d'accord parce que j'ai toujours été totalement allergique au système dans lequel, c'était deux ans après qu'on allait regarder les chiffres de l'Insee, et qu'on s'apercevait que les gens avaient souffert. Donc, là, moi j'ai été président d'association, donc j'ai déjà été dans la situation dans laquelle je tirais la sonnette d'alarme, et puis en face, il n'y avait personne, voilà ! Donc, là, il y a quelqu'un...
 
Il faut anticiper...
 
Là, il y a quelqu'un et on est prêts à pouvoir réagir au plus rapidement, et à faire en sorte qu'on ne laisse pas les gens dans la mouise.
 
J'en reviens à cette Journée mondiale du refus de la misère : cette année, en France, elle est axée sur les jeunes, c'est une catégorie particulièrement touchée ?
 
Oui, c'est une catégorie particulièrement touchée, c'est une catégorie un peu coincée, parce qu'ils sont trop vieux pour les allocations familiales, ils sont trop jeunes pour d'autres mesures, ils ont plus de difficultés. Et c'est pour ça que je vais aller au Conseil économique et social cet après-midi, annoncer qu'on allait mettre de l'argent sur un fonds d'expérimentation sur les jeunes, et avoir la même démarche que celle qu'on a eue pour les adultes avec le Revenu de solidarité active. Donc commencer à pouvoir faire des programmes expérimentaux qui soient des véritables réponses à leurs besoins de revenus, d'emploi et de formation.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 octobre 2008