Interview de M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat à l'industrie et à la consommation, porte-parole du gouvernement, à "RFI" le 14 octobre 2008, sur la crise financière internationale, la responsabilité des Etats-Unis et la réponse européenne.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière - Toutes les grandes places boursières européennes, mais Wall Street également, se sont littéralement envolées hier, après l'annonce du plan décidé dimanche soir par l'Eurogroupe, et puis le détail des mesures dévoilées par plusieurs gouvernements européens, dont le français. Plus 11,18 % à Paris, + 8,26 à Londres, + 11,40 à Francfort, + 11,08 à New York. Est-ce qu'on peut dire que c'est la fin de la crise ?
Je crois que ce qui est important dans les deux jours qui viennent de se passer, c'est que l'Europe a été véritablement au coeur de la réaction mondiale face à la crise. L'Europe, d'abord, a pris l'initiative de réagir de manière unie, d'unir sa riposte à la crise, et ça, je dirais que c'est historique. Et puis, deuxièmement, ce qui est important, c'est l'ampleur de la réponse de l'Europe, un plan de 1.700 milliards d'euros, qui est supérieur au plan des Américains. Alors effectivement, depuis hier, les réactions des marchés sont positives globalement...
Très positives !
Très positives. Il faut évidemment rester très prudent. Mais si on regarde sur ce qui s'est passé les quinze derniers jours, les marchés et les banques avaient besoin de deux choses : ils avaient besoin de liquidités, les banques ne se faisaient plus confiance entre elles, plus personne ne voulait prêter à plus personne, donc les Etats européens ont joué leur rôle, puisque aujourd'hui, il n'y a qu'aux Etats européens qu'on fait confiance pour prêter de l'argent, qu'aux Etats. Donc c'est le plan en France de 320 milliards d'euros pour les liquidités, donner la possibilité au système de fonctionner à nouveau. Et puis deuxièmement, les banques, elles avaient besoin de fonds propres, eh bien nous avons décidé de débloquer jusqu'à 40 milliards d'euros pour être prêts à entrer dans le capital des banques si elles ont besoin de fonds propres. Et je crois que les deux réponses, elles étaient adaptées aux besoins des banques.
Vous venez de dire, L. Chatel, il n'y a aujourd'hui qu'aux Etats européens qu'on fait confiance...
Mais j'ai ajouté "les Etats" !
Oui, mais peut-être, ce n'était pas tout à fait innocent parce que le plan Paulson aux Etats-Unis n'a pas eu, lui, cet effet absolument euphorique sur Wall Street lorsqu'il a été dévoilé. Hier, en revanche, je le disais, la Bourse américaine a gagné plus de 11 % ; est-ce que l'Europe est en train de sauver l'économie américaine ?
Vous savez, l'histoire le dira et dira exactement quels ont été les tournants de cette crise. Ce qu'on constate aujourd'hui, d'abord, c'est que le phénomène est parti des Etats-Unis, donc il est plus grave aux Etats-Unis. Et s'il a des répercussions en Europe, c'est par les effets dominos des liens entre banques. Deuxièmement, l'accélération de la crise, ça a été indiscutablement le 15 septembre, la faillite de Lehman Brothers.
Est-ce une erreur des autorités américaines ?
Je ne sais pas si c'est une erreur, je crois qu'il ne faut pas qualifier les choses. Ce qu'il faut constater, c'est que le fait de laisser une banque en faillite a des conséquences de confiance sur les marchés absolument désastreuses. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français, et N. Sarkozy en tant que Président de l'Union européenne a souhaité une réponse coordonnée dans l'ensemble des pays européens, sur le thème "nous ne laisserons pas tomber nos banques, en Europe nous ne devons pas laisser tomber nos banques". Pourquoi ? Parce que sauver nos banques, c'est sauver l'épargne des Français et des Européens. Voilà. Il ne s'agit pas d'aller au secours de pratiques qu'on a par ailleurs dénoncées. Il s'agit de se dire que les Français ont de l'épargne, eh bien il faut sauver leur épargne et le meilleur moyen de sauver leur épargne, c'est de sauver les banques. Donc on a pris cette initiative qui a été de coordonner cette action en Europe, ce n'était pas gagné, je peux vous dire, parce qu'au début de la crise, chacun y allait un petit peu de son initiative. Il y a eu les réunions de la semaine dernière, à la fois du G4, de l'Eurogroupe, de l'Ecofin, et puis ça a abouti dimanche soir à l'accord qui, encore une fois, est historique par son ampleur et par sa capacité à influer sur l'économie mondiale.
Il y a tout de même des chiffres qui donnent un peu le vertige, 360 milliards d'euros pour la France, c'est plus que le budget de l'Etat, qui est de l'ordre de 280 milliards. Est-ce que vous comprenez que les Français, et puis d'ailleurs au-delà les citoyens européens, puissent se poser des questions ? Il faut, par exemple en France, faire des économies un peu sur tout, il faut travailler plus avant de toucher une retraite à taux plein, les médicaments sont de moins en moins remboursés, les conditions d'accès à l'assurance chômage, enfin aux indemnités de chômage sont durcies, et tout à coup, le Gouvernement français sort 360 milliards d'euros de son chapeau. Comment vous faites ?
Bien sûr, je comprends qu'on puisse se poser ces questions. Il faut bien expliquer aux Français qu'il ne s'agit pas pour l'Etat de sortir un chèque des caisses de Bercy. Cet argent, il est sur les marchés aujourd'hui, il existe, simplement il ne va plus là où il y a besoin de liquidités, c'est-à-dire que les banques n'arrivent plus à se financer sur le marché, et il n'y a plus ce qu'on appelle "les échanges interbancaires". Les seuls à qui le marché a envie de prêter, c'est les états. Donc l'Etat, qu'est-ce qu'il va faire ? Il va emprunter sur le marché pour pouvoir prêter de l'argent aux banques. Et entre temps, il va se rémunérer, c'est-à-dire que nous allons emprunter de l'argent à un taux sur le marché et nous allons le prêter aux banques, en contrepartie, d'ailleurs, de prêts qui vont être réaffectés des banques vers l'Etat. Donc, si vous voulez, nous jouons notre rôle pour refluidifier le marché. Ce n'est pas un chèque que l'on sort du budget de l'Etat et ça n'aura pas d'impact sur le budget des Français.
Si je vous comprends bien, même si ça devait avoir un impact, ce serait un impact positif ?
Oui, c'est-à-dire qu'il y a fort à parier, effectivement, que le système de financement et de garantie puisse rapporter, puisque le Président Sarkozy l'a annoncé hier, cette garantie, elle sera payante. Et puis deuxièmement, effectivement, sur la partie prise de participation, les 40 milliards d'euros, la société que nous créons pour investir dans les banques si c'était nécessaire, eh bien le but c'est effectivement de prendre des participations dans les banques qui le solliciteraient, à bas cours, puisque aujourd'hui les cours sont bas, et puis, si possible, de revendre dans un an, dans deux ans, dans trois ans, lorsque les temps seront meilleurs. C'est un peu faire l'opération Alstom puissance 10.
Ce sont des garanties payantes et il y a également des engagements que doivent prendre les établissements qui vont faire appel à ces dispositifs. C'est un extrait du Conseil des ministres d'hier qui dit que "les dirigeants devront se conformer à des règles éthiques conformes à l'intérêt général" ; qu'est-ce que ça veut dire ? Plafond de rémunération, pas de primes de bienvenue, pas de golden parachutes ?...
Ça veut dire que nous exigeons la signature de la charte qui a été présentée la semaine dernière en matière de rémunération. Et vous savez que le Gouvernement a indiqué que, globalement, ces orientations lui convenaient, mais que si les entreprises ne s'engageaient pas individuellement, il serait prêt à légiférer en la matière. Là, les banques ont besoin de nous, eh bien en contrepartie, elles doivent s'engager sur une éthique en matière de rémunération.
Oui, mais les grandes lignes c'est ça, c'est le plafonnement des rémunérations ?
C'est le plafonnement des rémunérations, la transparence des rémunérations...
Lié aux résultats ?
Absolument. C'est le fait qu'il n'y ait pas de parachute doré lorsqu'une entreprise a été mise en faillite ou lorsqu'elle a perdu des résultats. C'est le fait que les actions gratuites soient distribuées non seulement pour les dirigeants, mais pour l'ensemble du personnel, même chose pour les stock-options. Donc il y a un certain nombre de mesures qui ont été proposées par les représentants des entreprises, nous les avons validées, simplement nous avons demandé d'aller plus loin : nous souhaitons qu'il y ait un engagement individuel de chaque entreprise.
En admettant que le plus gros de la crise financière soit derrière nous, l'inquiétude demeure tout de même sur les conséquences de cette crise sur l'économie réelle - drôle de terme d'ailleurs, par opposition à une économie virtuelle. A quelles conséquences vous attendez-vous sur l'économie française, en termes d'ailleurs aussi de croissance au fond ?
Il est évident que notre mobilisation maintenant, c'est pour éviter la contagion à l'ensemble de l'économie. Alors c'est ce que nous avons commencé à faire puisque lorsque nous avons lancé un plan logement, nous avons dopé le projet de loi qui va être présenté au Parlement sur le logement, par exemple en rachetant 30.000 logements, via les sociétés et les organismes HLM qui n'allaient pas être mis sur le marché. On va soutenir grâce à ça le secteur du bâtiment qui est le premier à souffrir en cas de difficultés. Deuxième exemple : le Gouvernement, le président de la République a annoncé au Mondial de l'automobile un plan pour l'automobile, parce qu'on sait là aussi que la situation, l'activité dans l'industrie automobile est directement liée à la croissance. Troisième exemple : ceux qui peuvent souffrir en premier de ces problèmes financiers, c'est les PME qui auront du mal à se financer sur les marchés pour investir. Et si les PME ne peuvent plus investir, il y a un coup d'arrêt à la production. Donc nous avons décidé de mobiliser 22 milliards d'euros pour garantir, cautionner les crédits aux PME.
Et pour les particuliers, pour l'accès au crédit ?
Alors pour les particuliers, les dispositifs que nous avons évoqués tout à l'heure sur les garanties des 320 milliards d'euros fonctionnent bien entendu, puisque ça concerne les liquidités, aussi bien pour les professionnels que pour les consommateurs. Et puis, dernière chose pour les particuliers, nous avons aussi pris des mesures pour les moins favorisés d'entre nous, je pense à la mise en oeuvre du RSA, je pense à la prime exceptionnelle qui sera versée en novembre pour les moins favorisés d'entre nous, de 200 euros, et je pense à la revalorisation des minima sociaux - allocation adulte handicapé, pension de réversion, retraite agricole, qui seront revalorisées - qui a été annoncée il y a dix jours.
D'un mot : est-ce que vous pensez que c'est la fin d'une certaine forme du capitalisme ?
Oui, je pense qu'il y aura un avant et après octobre 2008, et c'est sain. Vous savez, moi, qui suis libéral je pense que cette crise démontre tous les excès, la façon dont certains ont dévoyé le système de l'économie de marché. Donc il faut revenir à un système, certes d'économie de marché, mais qui soit encadré, régulé. Vous savez, le capitalisme c'est le droit, le capitalisme ce n'est pas la loi de la jungle. Et je pense que s'il pouvait y avoir un effet, si je puis dire, "bénéfique" de cette crise, c'est justement qu'on reparte sur des bases saines. C'est ce que nous allons faire, c'est ce que le président de la République souhaite faire avec ce fameux nouveau Bretton Woods, l'idée de réunir un G8 élargi pour refonder un nouveau capitalisme financier mondial.
Source Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 octobre 2008