Texte intégral
Q - Un éclaircissement sur les déclarations vis-à-vis de l'Iran données au Haaretz ? Quelle est votre position ?
R - J'ai dit que tout le monde savait qu'un danger était devant nous, celui d'attaquer l'Iran. Comme l'avait dit le président Sarkozy, soit de bombarder l'Iran, soit de recevoir les bombes. Nous préférerions largement, et ce n'est pas un scoop, que le dialogue s'installe, tenter de dialoguer, à notre échelle, et aussi des Six, c'est-à-dire, comme vous le savez, de la Russie, des Etats-Unis d'Amérique, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine. Ce furent les pourparlers, la rencontre de Genève. Jusqu'à présent, nous avons échoué dans le dialogue et la position de la France est toujours de poursuivre les sanctions avec nos partenaires, comme nous l'avons fait, mais en poursuivant aussi le dialogue ; pas de sanctions sans dialogue.
Il n'y a cependant pas de dialogue possible pour le moment. Il n'y a rien de nouveau, sauf la perspective que ce danger grandisse puisque l'Agence internationale de l'énergie atomique a présenté un document très clair. Premièrement, l'Iran ne répond pas aux questions posées par l'Agence des Nations unies. Deuxièmement, l'Iran poursuit l'enrichissement d'uranium.
Ce pays dispose désormais, vous le savez, de quatre mille centrifugeuses au lieu de trois mille il y a encore quelque temps. Tout cet effort d'enrichissement d'uranium ne peut pas porter sur l'énergie nucléaire civile que les Iraniens ont le droit, au demeurant, de développer. Le soupçon qui pèse dans ce rapport de l'AIEA est que la production d'uranium enrichi concerne la fabrication de bombes atomiques. Il s'agit là d'un danger qui nous concerne tous.
Q - Que vous ont dit vos interlocuteurs israéliens sur cette question particulière ?
R - Ils sont encore plus alarmistes que nous. Selon les avis des experts, l'Iran pourrait se doter de l'arme nucléaire dans un délai de un à quatre ans. Les Israéliens pensent quant à eux que ce processus est plus rapide qu'on ne le croit.
Il s'agit bien d'une préoccupation de toute la communauté internationale. Il faut maintenir l'unité des Six comme cela a d'ailleurs été fait à New York la semaine dernière. Nous nous retrouverons à Charm el-Cheikh, le 26 novembre prochain, pour une réunion dans la région.
Q - Un an après Annapolis et le Processus de paix, parviendra-t-on à un accord en fin d'année ?
R - Franchement, ce n'est pas sûr mais tout le monde pense que les pourparlers continueront, même après la fin de l'année ; c'est déjà un progrès. On n'attend pas un accord avant la fin 2008 comme il en avait été question à Annapolis, mais je pense que tout le monde est d'accord pour continuer la négociation.
De loin, on a le sentiment que le processus d'Annapolis est plus ou moins abandonné ou, en tout cas, que les progrès ne sont pas manifestes. Cependant, quand on vient ici, on alterne pessimisme et optimisme. Eh bien, cette fois-ci, après ce que j'ai vu à Jénine, je pense vraiment qu'une conscience palestinienne se crée, terriblement forte, avec une fierté légitime, soutenue par l'Union européenne et la France. La police existe et les Palestiniens en sont très fiers. Les forces de sécurité palestiniennes, équitables, sont présentes et protègent les Palestiniens. Il y a beaucoup moins de vols et d'agressions. Il suffit, pour s'en apercevoir, d'aller se promener dans les rues de Jénine, en particulier avec le Premier ministre palestinien Salam Fayyad, pour sentir que quelque chose s'est passé.
Et puis, sur la route du retour vers Naplouse, il n'y a pas eu de barrages ; cela aussi est un peu nouveau. Bien sûr, il faut encore lever d'autres barrages mais c'est quand même très positif. Il s'agit de ne pas abandonner la tentative de paix et la création de l'Etat palestinien. Il y a des spécialistes qui négocient depuis vingt-cinq ans et tout le monde sait que la création d'un Etat palestinien constitue une partie énorme de la solution.
Q - A propos des frontières ?
R - Les frontières sont en train d'être négociées. C'est un des points de la négociation qui avance le mieux entre M. Abou Mazen et M. Olmert qui, je vous le signale, est toujours Premier ministre. En réalité, nous n'avons pas d'informations précises à ce sujet. C'est peut-être une erreur de n'avoir rien publié depuis si longtemps, d'avoir laissé les choses se développer entre les deux protagonistes. En tout cas, à mon avis, ce n'est pas terminé.
Permettez-moi de rappeler que M. Olmert a présenté un document admirable, celui d'un homme d'Etat courageux. L'a-t-il fait trop tard ? J'espère que non. De toute façon, cela constituera un document indispensable, une vision israélienne pour la paix.
Q - Le calendrier politique américain, israélien, voire même les négociations israélo-syriennes, ne sont-ils pas des obstacles majeurs à la progression de cet accord ?
R - Peut-être, pour l'instant, mais certains pensent que, comme le président Bush l'avait dit, le Premier ministre Ehud Olmert a encore la possibilité d'avancer, d'allume une étincelle. Honnêtement, je pense que cette situation retarde le processus, même si cela n'affecte pas définitivement les pourparlers.
Je pense que la formation du gouvernement israélien est tout à fait nécessaire à la poursuite du processus. Un accord est nécessaire au niveau israélien. Vous savez comment cela se passe avec le système de la proportionnelle intégrale, il faut négocier avant et c'est très long. Sera-t-il possible d'avoir rapidement la formation d'un gouvernement israélien ? Je n'en sais rien, je l'espère mais, honnêtement, je pense que cela va être plus long que l'on ne pense.
Q - Vous allez rencontrer Tzipi Livni cet après-midi : si elle parvient à former une coalition, fera-t-elle un bon Premier ministre pour Israël ?
R - Je le pense. Je la connais bien, c'est une femme de grand talent, de grande conviction, de grande probité. Personne ne l'accuse d'avoir fait autre chose que de la politique suivant ses convictions. Je pense qu'elle fera un très bon Premier ministre. J'espère qu'elle réussira.
Q - Pensez-vous qu'elle sera sur la même ligne que le document produit par Ehud Olmert ?
R - En tout cas, elle ne peut pas négliger ce document. Elle fut, avec Ehud Olmert, celle qui a le plus négocié sur ces mêmes sujets. C'est celle qui, avec Abou Ala - je l'ai rencontré hier aussi -, pouvait faire avancer les choses et je crois qu'elle les a fait avancer. Nous verrons, il y a d'autres possibilités : si le gouvernement n'est pas construit, il y aura des élections.
Q - Vous avez rencontré Benjamin Netanyahou ce matin : vous a-t-il fait part de ses ambitions ?
R - Tout le monde m'a parlé très franchement. Cette franchise avec laquelle tous les responsables politiques parlent ouvertement de leurs problèmes est très enrichissante. Ils manifestent les contradictions de la société israélienne et, en même temps, expriment la formidable dynamique et l'énergie qu'ils représentent.
Q - Du côté palestinien également ?
R - Du côté des Palestiniens, honnêtement, je suis ressorti avec optimisme de mes rencontres. Il faut vraiment, surtout, saluer l'admirable dévouement et le talent de Salam Fayyad. C'est lui qui a construit tout cela, qui a élaboré tous les projets issus de la Conférence de Paris, même s'il y a encore des choses très imparfaites. Cela va mieux à Jénine, mais il n'y a pas d'eau - ce n'est pas de sa faute - et on a vu, avec Ehud Barak d'ailleurs, que le projet de la centrale d'épuration à Gaza avance. La phase 1 n'est pas encore terminée mais la phase 2 va commencer. Il y a une dynamique qui s'est créée autour de la conscience israélienne. Les choses changent à Jénine et je crois que c'est important. Est-ce que cela va suffire ? Je n'en sais rien.
Q - Avez-vous discuté avec les interlocuteurs palestiniens du problème que pourrait poser le prolongement du mandat de Mahmoud Abbas d'un an pour coïncider avec les élections législatives palestiniennes et la rupture que cela pourrait créer entre Gaza et la Cisjordanie ?
R - Nous en avons parlé, bien sûr, mais je ne crois pas que ce soit la rupture qui soit envisagée ; au contraire, c'est la réconciliation. Nous avons parlé d'un calendrier qui est celui d'Abou Mazen. Il n'a pas dit qu'il voulait être prolongé. Je peux me tromper complètement mais j'ai eu le sentiment, au contraire, qu'il souhaitait que quelque chose soit présenté de part et d'autre, qui tiendrait du processus de paix et que là, il déciderait. Encore une fois, je peux me tromper, parce que je ne sais pas.
Q - Sur la crise économique mondiale, Monsieur le Ministre, le G4 s'est réuni à Paris, la France est très en pointe, il y a des répercussions ici, êtes-vous partisan d'une intervention de l'Etat vis-à-vis des banques ?
R - Tout le monde est intervenu, même ceux qui ne l'ont pas dit ! Il n'y a pas d'autre solution. Quand vous avez une banque en faillite, vous êtes du côté des épargnants, et dans ce cas vous avez une intervention de l'Etat. Eh bien oui, cela s'appelle ou nationalisation, ou une intervention de l'Etat ! Je ne connais pas d'autre solution, sauf préventive, pour laquelle la France est à la proposition pour combler la brèche dés le début, depuis deux ans.
Il faut une régulation à économie débridée qui fait place à la spéculation beaucoup plus qu'à l'entreprise. Tout le monde l'a dit, ce G4 hier à Paris est un des succès de la diplomatie française. Il doit permettre une position commune. Le 15 octobre, au Conseil européen de Bruxelles, il y aura sans doute une avancée supplémentaire, c'est plutôt encourageant.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2008