Interview de M. Bernard Laporte, secrétaire d'Etat aux sports, à la jeunesse et à la vie associative, à Europe 1 le 22 octobre 2008, sur la violence dans les stades et le sport de compétition.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
J.-P. Elkabbach.- D'abord, pour un anniversaire, B. Laporte, bonjour. Bonjour. Un an déjà au Gouvernement, ça paraît long, long. Quelqu'un qui vous connaît dit : quand il s'ennuie, Bernard fait ou dit des bêtises ; c'est vrai ?
Non, je ne pense pas, mais on va en discuter...
Oui...
Je ne crois pas avoir dit des bêtises.
Mais on vous a fait cette réputation.
Je ne sais pas, sincèrement, on va voir.
Vous ne lisez pas, vous n'entendez rien ?
Exactement, je ne lis pas beaucoup, mais toujours est-il que je suis prêt encore une fois à en parler avec vous.
On n'efface pas les gaffes, mais on peut, c'est vrai, les confirmer ou les rattraper. On va en liquider deux ou trois. Votre commentaire après la Marseillaise sifflée : nous ne jouons plus de match contre l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie au Stade de France ; est-ce que vous le regrettez, est-ce que vous le retirez, parce que là, c'était une gaffe ?
D'abord, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas jouer, au contraire, j'ai dit qu'il fallait continuer à jouer contre eux, parce que les joueurs et les fédérations concernés n'y sont pour rien, ça, c'est la première des choses, mais par contre, c'est vrai qu'il vaut mieux prévenir que guérir, et j'ai dit : il vaut mieux jouer ces matchs en province, ces matchs dits à risque, il vaut mieux les jouer en province, dans des stades plus petits, et dans un endroit où les places sont, je dirais, pas toutes payantes, mais où la demande est plus importante que l'offre.
Mais ceux qui ont sifflé la Marseillaise, ce qui était inadmissible, inacceptable, etc., certes, ce ne sont ni des Algériens ni des Marocains ni des Tunisiens, ce sont des Français !
Bien sûr que ce sont des Français, mais c'est pour ça que c'est encore plus regrettable, et que tous les messages que j'ai reçus de jeunes, issus justement de l'immigration, que j'ai entraînés à l'époque au stade bordelais, qui ont joué avec moi à Bègues, que j'ai entraînés après au Stade français, tous ces jeunes sont - permettez-moi - dégoûtés, et ils me disent : ce n'est pas nous ça ! Et alors encore une fois, pour une minorité, on en parle beaucoup, c'est pour ça qu'il faut l'éviter.
Donc vous ne retirez pas, vous confirmez ?
Je confirme encore une fois que la solution...
Non, non, mais vous confirmez ce que vous avez dit...
Je confirme qu'il faut jouer contre eux, ça, c'est une chose, et qu'il faut aller jouer ces matchs en province.
Mais ça, c'est une bêtise aussi, non ?
Mais non...
Parce que si vous délocalisez les matchs à risque, si vous les jouez en province ou à Alger, à Tunis, à Rabat...
Non, quand je dis en province, c'est quand on reçoit en France, on va jouer en province, on va jouer à Bordeaux, on va jouer à Nantes...
Mais pourquoi, alors, pourquoi vous ne jouez pas la nuit, dans des stades fermés ?
Mais pourquoi tous les matchs se feraient au Stade de France ? Pourquoi tous les matchs seraient à Paris ? On ne peut pas aller jouer... il n'y a pas de honte, avec l'Equipe de France de rugby, on allait jouer à Marseille, on allait jouer à Nantes, on allait jouer à Strasbourg, et chaque fois, c'était de véritables fêtes.
Au Stade de France, les chahuteurs - vous m'avez dit ça hier - sont des milliers d'invités par la Fédération pour bourrer le stade ; est-ce que c'est vrai ?
Eh bien, justement, sur ce match-là, il y a eu beaucoup d'invitations, effectivement parce qu'ils avaient du mal à le remplir, c'était un match amical. Donc encore une fois, allons dans des stades où les gens ont envie de voir l'équipe de France...
Donc on bourre artificiellement les stades pour qu'il y ait des images belles à la télévision. C'est certainement ça. Et pourquoi pas interdire à la Fédération de faire prendre des risques ?
Non, mais c'est pour ça que je dis, moi, il y a des mesures qui ont été mises en place par le Président et le Gouvernement, c'est-à-dire, et je trouve la mesure concrète, au moins, pour une fois, on est dans l'action, c'est-à-dire si la Marseillaise est sifflée, on ne joue pas le match. Mais par contre, en ce qui concerne nous, c'est-à-dire, quand je dis nous, c'est les fédérations et le ministère des Sports, on doit prendre des mesures qui font en sorte que justement, nous n'en arrivions pas là.
Est-ce que le président de la République vous a félicité pour vos propos ?
Oui, il n'a pas eu à me féliciter, il nous a simplement reçus avec R. Bachelot et J.-P. Escalettes, et nous avons évoqué notamment ces sifflets...
Il vous a dit : recommencez...
Non, mais il ne dit pas : recommencez, il dit tout simplement : prenons des mesures pour que ça ne se reproduise pas.
Oui, et il fallait que vous sortiez du stade, parce qu'il y a des gens qui ont dit : pourquoi il est resté, pourquoi il n'est pas parti ?
Mais on aurait pu, j'aurais pu sortir du stade, mais je vais vous dire pourquoi je suis resté, encore une fois : pour le courage de cette chanteuse franco-tunisienne, Lââm, qui, elle, est allée, a accepté de chanter a capela devant 4.000 personnes en se faisant siffler, et deuxièmement, parce que j'avais envie de soutenir les joueurs de l'Equipe de France qui allaient être hués pendant 90 minutes. Et je me suis dit : mais si tu pars, le jour où tu vas les recroiser, ils vont te regarder, ils vont te dire : mais, tu es un lâche, toi, tu étais notre ministre des Sports, et toi, tu es parti pendant que nous, nous sommes restés. Ce n'est pas les valeurs que m'a données le sport.
Et votre phrase, qui se croyait drôle - elle est peut-être ancienne - devant R. Dati : "je ne suis pas le père de son enfant". C'est vrai que vous l'avez regrettée, vous l'avez retirée, etc., mais est-ce que vous êtes sûr que vous n'en ferez pas d'autres du même genre ?
Mais pourquoi vous dites que je l'ai retirée ?
Vous ne l'avez pas retirée ?
Mais j'assume ce que j'ai dit, encore une fois, vous savez quand...
C'est-à-dire...
Quand votre fille, qui a 18 ans, vient vous voir et qu'elle vous dit : écoute, papa, ça fait trois semaines que je suis en université, et ça fait trois fois qu'on me dit : mais il paraîtrait que ton papa et l'enfant de R. Dati... J'ai dit : attendez, on va cesser toutes ces rumeurs, parce que ce n'est ni bon pour Rachida, que j'aime beaucoup, en plus, et ça, je le dis haut et fort, et ni bon pour moi. Permettez-moi, j'ai des gens autour de moi qui m'aiment, et je n'ai surtout pas envie de les blesser.
Mais vous ne pouviez pas lui dire dans d'autres circonstances ?
Mais justement...
Et d'une autre manière...
Mais justement, c'était...
Et sous la forme rigolarde...
En plus, elle était avec moi, Rachida...
Eh bien oui, elle n'a pas aimé, elle...
D'abord, elle était au courant, parce que je lui ai dit cinq minutes avant, d'accord...
Elle ne vous a pas dissuadé ?
Pas du tout, et c'est après effectivement que les gens de la communication - vous savez, ils sont très importants les gens de la communication - ils ont dit : ce n'est pas bien. Sauf que, encore une fois, et je le dis haut et fort, j'aime beaucoup Rachida, mais que je ne pouvais pas continuer avec cette rumeur autour de moi, parce que, je vous le redis, comme vous, il y a des gens qui m'aiment autour de moi, et je n'ai pas envie qu'ils soient blessés.
D'accord, mais, en la disant, vous l'avez grandie, la rumeur... Je ne crois pas l'avoir grandie, non, non, je l'ai stoppée, surtout. Actuellement, vous faites un tour de France, B. Laporte, pour défendre l'égalité des chances. Je ne sais pas si vous êtes le mieux placé aujourd'hui pour défendre les jeunes des banlieues et de la diversité. Alors question : est-ce que les associations de quartiers auront des crédits pour fonctionner ?
Bien sûr. D'abord, effectivement, je serai ce soir et cet apr??s-midi au Red Star, dans un club formateur, que je salue au passage. Et j'y vais dans le cadre donc de mon tour de France de la jeunesse, c'est ma sixième étape, parce que je m'aperçois que quand je vais voir des jeunes, au quartier de la Meinau, à Strasbourg, quand je vais voir des jeunes à Saintes, à côté de Royan, en Charente, quand je vais voir des jeunes à la Garenne-Colombes, la problématique n'est pas la même d'un endroit à un autre. Et ce que je veux, c'est aider plus ceux qui ont moins.
Oui, mais concrètement, au-delà des formules de communication, concrètement... est-ce que vous allez augmenter la diversité dans les instances dirigeantes du sport, est-ce que vous allez faciliter les diplômes d'éducateurs et d'éducateurs sportifs pour les jeunes des quartiers ; qu'est-ce que vous leur faites ?
Voilà, et vous avez tout dit, Jean-Pierre...
Ah bon...
Effectivement, nous allons proposer quatre mesures. La première, c'est donner une place aux jeunes des quartiers dans mon ministère. Ça, c'est la première... la diversité de la population française doit aussi se retrouver dans notre administration. La deuxième mesure, c'est faciliter l'accès au diplôme professionnel de notre ministère, il y a ce qu'on appelle les parcours animation santé, qui ont été lancés par J.-F. Lamour, qui sont tout simplement un accès au diplôme professionnel, délivré par le ministère des Sports. Je veux qu'il soit, encore une fois, beaucoup plus important dans les quartiers. Je veux qu'on aide...
Ça, c'est de l'annonce, mais la réalité, la réalité... ?
Non, mais c'est ça la réalité ! Et la réalité, c'est des moyens, c'est par exemple, et je vais vous le lire : trente millions d'euros au niveau des associations dans les quartiers difficiles. Ça, c'est ce que nous avons fait en 2008, que nous avons programmé pour 2009. Et au niveau des jeunes, ça, c'est tout ce qui concerne le sport, et au niveau de la jeunesse, c'est pareil, c'est 15% d'augmentation, ce qui fait un budget de sept millions d'euros au niveau des associations des quartiers.
B. Laporte, on dira que ce n'est jamais assez, mais est-ce que vous allez vous promener tranquillement, vous mettre dans les banlieues, comment vous êtes accueilli ?
Bien sûr, mais j'y vais avec un grand plaisir, parce que d'abord, moi, j'aime les jeunes, et j'ai entraîné pendant trente ans, donc vous savez, les jeunes, je connais, et encore une fois, je crois qu'on parle le même langage.
B. Laporte, la crise, est-ce qu'elle aura bientôt des conséquences sur les sports ? Par exemple, on nous dit que beaucoup de sports, de clubs de foot européens ont des dettes, et que certains vont même faire faillite. Est-ce qu'il faut interdire les compétitions aux clubs qui sont trop endettés ?
Non, il ne faut pas interdire, mais vous savez, l'économie du sport en France, c'est 2% du PIB, c'est beaucoup d'argent. Et effectivement, à partir du moment où il y a une crise financière mondiale, eh bien, automatiquement, le sport est touché. Mais encore une fois, je crois qu'on va redescendre à un certain équilibre dont on a besoin, je trouvais que le foot était vraiment dans l'excès, à un certain moment, et pour le moment, il est toujours dans l'excès, la Formule 1 pour moi est vraiment dans l'excès...
Quand vous parlez...
Qu'on retrouve un certain équilibre me semblerait logique...
Quand vous parlez d'excès, vous pensez qu'il faudrait payer moins les joueurs de football ?
Il y a vraiment de l'excès, oui, bien sûr, effectivement, il y a des salaires qui, par moment... Quand un milliardaire achète le Club de Manchester City, il se permet de racheter 165 millions d'euros Robinho au Real de Madrid, c'est vrai que ça dépasse tout le monde, et je crois qu'on est vraiment dans le déséquilibre.
Les joueurs de foot devaient faire grève à la fin de la semaine, ils la feront ?
Non, il n'y aura pas de grève, tout simplement parce que nous avons réussi à solutionner le problème, quand je dis nous, c'est tous les gens concernés par le monde professionnel du football...
C'est-à-dire qu'ils auront un peu plus... On va vite, on va vite : ils auront leur mot à dire dans certaines circonstances sur l'économie du sport et du foot ?
Bien sûr, ils ont toujours eu leur mot à dire, et ce que je ne voulais pas surtout, c'est qu'il y ait une grève, ça me semblait indécent.
Le Tour de France, il est annoncé aujourd'hui. A cause du dopage, la télévision allemande a décidé de le boycotter ; vous pensez que France Télévisions doit en faire autant ?
Non, je ne crois pas, vous savez, la télévision allemande, c'est la deuxième fois qu'elle se retire, et je ne crois pas parce que le Tour de France fait partie intégrante de notre patrimoine sportif et qu'il faut le préserver, et il faut continuer à lutter, par contre, contre le dopage, comme nous le faisons depuis plusieurs années.
Il y a un livre qui est publié demain, au titre original d'ailleurs : « Derrière Laporte », et on dit que vous êtes un homme d'affaires, certes, sympathique, un homme d'argent, on évoque votre camping dans la Dune de Pilat, je ne sais pas si vous en avez un ou deux...
J'en ai deux. Mais vous savez, les gens qui passent leur temps et qui gagnent de l'argent à salir les autres, ça ne m'intéresse pas du tout. Mitterrand, chez vous, avait eu une belle phrase : « ce sont mes pauvres. » J'ai trouvé la phrase...
C'est bien de vous en souvenir. On se dit au revoir. Mais comment va Estrie, la petite chienne labrador, que vous avez ramenée de la Communauté du Québec...
D'abord, elle est très belle et elle va bien.
M.-O. Fogiel : On l'a vue dans les journaux, elle est magnifique cette chienne labrador.
Elle est de quelle couleur ?
Camel.
On va la voir dans les jardins et les bureaux de l'Elysée, Marc-Olivier ! Bonne journée et merci d'être venu.
M.-O. Fogiel : Merci beaucoup B. Laporte. Merci Jean-Pierre.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 octobre 2008