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LE QUOTIDIEN - Alors que les derniers réglages autour du projet de loi Hôpital, patients, santé et territoires se prolongent, vous parlez déjà à FO de « pseudoconcertations »...
JEAN-CLAUDE MAILLY - Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de discuter en direct avec la ministre et son cabinet de ce dossier et notamment d'un point important, les ARS [agences régionales de santé, NDLR]. Et, à chaque fois, on a le sentiment qu'on nous écoute mais que cela ne change jamais rien ! C'est ça, la pseudo-concertation.
LE QUOTIDIEN - Craignez-vous que les ARS soient synonymes d'étatisation de l'assurance- maladie en l'état actuel du texte ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Tout à fait. Il y a la mécanique de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui conduit à compresser les services publics d'une manière générale, à diminuer le rôle des départements et à concentrer les pouvoirs dans les mains du préfet de région. L'ARS s'inscrit dans ce projet. Dans un tel cadre, je considère que l'on se retrouve dans la même philosophie que celle du plan Juppé de 1995 sur la Sécurité sociale, que nous avions dénoncé à l'époque - y compris d'ailleurs avec certains syndicats de médecins libéraux. Nous avions alors dénoncé l'étatisation de la Sécurité sociale, et notamment de l'assurance-maladie, puisque l'État reprenait plus de pouvoirs et remettait en cause le paritarisme.
LE QUOTIDIEN - Vous souhaitez donc que Roselyne Bachelot fasse marche arrière sur sa réforme ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Oui. En 2004, le gouvernement nous écoutait. Il y avait une concertation sur la réforme de l'assurance maladie, avec nous et avec d'autres. Il n'a pas retenu tout ce que l'on proposait, mais nous avons obtenu des modifications plus que sensibles sur le projet de texte. Là, depuis le début, nous avons prévenu qu'il y a un point sur lequel FO ne sera jamais d'accord : la tutelle des ARS sur les caisses primaires d'assurance- maladie. Pour le moment, ils n'ont pas voulu bouger d'un iota là-dessus.
Depuis quelque temps, la CNAM a mis en place des directeurs coordinateurs régionaux. On peut très bien envisager de renforcer leur rôle, leur adjoindre un comité paritaire, et de mettre en place une contractualisation, une convention au niveau régional entre l'assurance- maladie et l'État pour voir comment mieux coordonner soins de ville et soins hospitaliers. Après, chacun ferait son boulot, sans que l'on mélange les deux réseaux. Au contraire, non seulement on est en train de mélanger les réseaux, mais l'échelon régional de l'assurance-maladie n'existe plus.
LE QUOTIDIEN - À FO, vous avez toujours défendu la maîtrise médicalisée des dépenses. Vous pensez qu'elle n'est pas viable sous la forme de contrats passés entre les ARS et les CPAM ?
La maîtrise médicalisée en prendra encore un coup. On se dirige vers la maîtrise comptable. Demain, si vous prenez par exemple un médecin- conseil de la Sécurité sociale, sa caisse primaire dépendra de l'ARS, tandis qu'il dépendra toujours de la CNAM... Comment cela peut-il marcher ?
Il s'agit d'une étatisation, parce que l'ARS, c'est l'État qui prend le pouvoir et dynamite le réseau de l'assurance- maladie. On peut mettre cette étatisation en parallèle avec certaines déclarations selon lesquelles « il faut faire la part entre ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui relève de la couverture individuelle ». Cela va dans le sens d'une accentuation du marché des assurances privées dans le domaine de la santé. Par ailleurs, on a protesté l'été dernier - on n'a pas été les seuls - et l'on vient d'échapper à la remise en cause des ALD et à l'augmentation du ticket modérateur. Le gouvernement a mis en place notamment une taxe sur les complémentaires santé, accompagnée d'une volonté de mieux intégrer les complémentaires, et notamment les assurances privées, dans la gestion du risque. Or on s'est toujours battu contre cela. Ce n'est pas aux complémentaires de faire de la gestion du risque avec l'assurance-maladie. Je ne veux pas que les assurances privées aient accès directement demain au fichier de l'assurance-maladie. Or la porte est maintenant ouverte.
LE QUOTIDIEN - En fait, vous craignez l'étatisation, comme prélude à la privatisation ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - C'est ce que FO avait dénoncé en 1995. Maintenant, nous ne sommes plus les seuls à le dire. Avec le recul, ce schéma de l'étatisation a été confirmé.
LE QUOTIDIEN - En l'état, le projet de loi Hôpital patients, santé, et territoires enterre- t-il, selon vous, la précédente réforme de 2004 ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Oui, c'est une remise en cause de la réforme de 2004 qui avait préservé le réseau de l'assurance-maladie et la pratique conventionnelle avec les professions de santé. Si demain la pratique conventionnelle avec les médecins fait l'objet de discussions avec la CNAM, mais que toute la gestion du risque est contrôlée par les ARS, comment cela va-t-il se passer dans un contexte économique où tout le gouvernement joue à l'Oncle Picsou? Ils sont à la recherche d'argent partout, donc ils vont essayer de pressurer les dépenses de santé. On peut craindre que la logique ne soit plus du tout celle de la maîtrise médicalisée, mais celle de la maîtrise comptable.
LE QUOTIDIEN - Que pensez-vous du volet hôpital du projet de loi, qui instaure les communautés hospitalières de territoire, change la gouvernance des établissements, prévoit une part variable importante dans la rémunération des médecins ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Nous ne sommes pas en désaccord avec l'idée de réformer l'hôpital public, en proie à de gros problèmes financiers et organisationnels. Sur la notion de communauté hospitalière, nous sommes favorables à une coopération public-public pour favoriser les complémentarités. À Issoire, par exemple, l'hôpital public devait fermer. Maintenant qu'il est en réseau avec le CHU de Clermont- Ferrand, il fonctionne, répond aux besoins et s'apprête à embaucher.
Nous sommes plus réservés, voire opposés, en ce qui concerne les coopérations public-privé dans le domaine hospitalier. Dans le privé, la rémunération des actes médicaux se fait à part, la notion d'urgence y est différente... Et puis, je ne comprends pas que la France s'engage davantage dans les partenariats public-privé quand l'un des pays pionniers en la matière, le Royaume-Uni, commence à y renoncer parce que finalement cela coûte plus cher. Je suis plus que sceptique.
Quant à la rémunération des médecins, le syndicat FO de praticiens hospitaliers y a réagi fermement. On ne peut pas rémunérer les médecins en fonction de leur performance : ce n'est pas ça, l'art médical ! Les budgets sont déjà serrés, alors si l'on met des critères économiques de performance dans la rémunération du médecin hospitalier, qu'est-ce qui va l'emporter ?
Voyez la Haute Autorité en santé (HAS). Nous étions pour sa création en 2004, à condition que sa mission soit uniquement scientifique et médicale. Et, maintenant, on lui refile une mission économique [depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008, NDLR] ! C'est une autre logique, que l'on retrouve dans le mode de rémunération des médecins du secteur public...
LE QUOTIDIEN - Pour vous, ce sont les pièces éparses d'un même puzzle ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Oui, bien sûr. Nous, à FO, nous reconstituons ce puzzle ! Le problème dans ce projet de loi sur la santé, c'est que l'on y mélange un peu tout (les mesures de prévention contre l'alcool...), sauf que tout n'y est pas non plus ! En catimini, ici ou là, il passe de la maîtrise médicalisée à la maîtrise comptable. C'est une remise en cause profonde et cela ne peut pas marcher.
PROPOS RECUEILLIS PAR AGNÈS BOURGUIGNON
source http://www.force-ouvriere.fr, le 12 septembre 2008