Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur France Info le 5 novembre 2008, sur l'élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis et la faible représentation de la diversité dans la vie politique française.

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Média : France Info

Texte intégral

M. Fauvelle.- En duplex de Paris, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme. Bonjour et bienvenue sur, R. Yade. Un mot d'abord : votre réaction à cette élection de B. Obama ?
 
Je crois que ce matin, nous avons tous envie d'être américains, de capter une part de ce rêve américain qui se déroule devant nos yeux. Ce matin, voir ce long jeune homme à la vie si tourmentée et aux contradictions si fortes, aux tensions intérieures, avancer vers son destin, porté par une foule mondiale, mais en même temps, si seul devant l'immense, l'écrasant symbole qu'il est, c'est le moment, voilà, j'ai le coeur - pardon - alourdi par l'émotion, une émotion qui me fait dire que, si elle est comme ça, la vie, elle vaut la peine d'être vécue, parce que ces moments-là n'arrivent pas si souvent.
 
Est-ce qu'il y a des leçons à tirer de ce qui vient de se passer aux Etats-Unis pour chez nous en France ?
 
Pour chez nous, en France, cela interpelle. Je pense que c'est un défi qui est lancé à une bonne partie du monde. Je crois que c'est à nous de relever le gant pour ne pas vieillir trop vite. Nous devons suivre la marche irréversible de l'histoire qui s'est enclenchée, là. Moi, je suis convaincue que nous pouvons y arriver, il n'y a pas de raison.
 
Un président noir en France, R. Yade, c'est pour quand ?
 
Ah, ça, ça n'est pas à moi de le dire, c'est au peuple français de le dire...
 
Il y a une secrétaire d'Etat déjà, c'est pas mal aujourd'hui !
 
C'est pas mal, on peut faire mieux. On peut faire mieux parce qu'on a eu un président du Sénat...
 
Comment ?
 
Qui, en 1962, était un noir...
 
Depuis, plus rien, vous en êtes la preuve, quand une secrétaire d'Etat noire est nommée, ça fait des articles dans tous les journaux. Ici, aux Etats-Unis, une grande partie du gouvernement est composée de minorités ; chez nous, vous êtes encore, R. Yade, l'exception.
 
Oui, c'est une exception un peu douloureuse, qui ne me fait pas forcément plaisir. Pour moi-même, c'est un honneur, mais c'est vrai que quand on voit les Etats-Unis avec ses 641 maires noirs, ses quatre gouverneurs, quand on voit ce pays avec ses deux secrétaires d'Etat aux Affaires étrangères qui ont été, C. Powell et C. Rice, quand on sait qu'il y a 42 noirs députés à la chambre des représentants et le sénateur, l'ancien sénateur B. Obama, on se dit effectivement que, il y a encore du travail à faire, et je pense que le souffle provoqué par l'élection de B. Obama doit sonner le moment pour nous aussi de la mobilisation, et d'une mobilisation réelle avec des résultats concrets.
 
Qu'est-ce qui nous manque en France ?
 
Il nous manque peut-être des partis moins conservateurs. Parce que...
 
Y compris à l'UMP, y compris dans votre parti ?
 
Y compris à l'UMP, bien évidemment. N. Sarkozy a enclenché un mouvement historique, par son volontarisme, à lui seul, contre peut-être la volonté et l'assentiment d'une bonne partie des cadres du parti, mais il l'a fait parce qu'il y croyait, donc, voilà ; voyez, ça ne tient qu'à la volonté d'un homme, et je crois que demain, il faudra passer par les voies de l'élection, l'élection nationale ; il faut porter des candidats qui existent ; on ne peut pas dire qu'ils n'existent pas, ils existent, et je pense qu'il faut que les personnalités politiques qui détiennent des mandats depuis vingt, trente ans, voire plus, puissent former des héritiers, des personnalités susceptibles de prendre la relève. C'est absolument vital pour un pays, parce qu'un pays a besoin de se renouveler, a besoin d'être porté par la jeunesse, a besoin de prouver qu'il y a des idées nouvelles, pour ne pas mourir, pour ne pas vieillir. Et quand je vois cette Amérique jeune, avec un B. Obama à sa tête qui n'a que 47 ans, qui a comme expérience politique juste trois ans de vie sénatoriale, je me dis que c'est l'audace au pouvoir avec B. Obama, je me dis que l'Amérique a accéléré de manière fantastique pas seulement son histoire, mais l'histoire de l'humanité entière. Ce qui s'est passé, là, c'est une chute du mur de Berlin fois dix, parce que, des moments comme ça, l'humanité en vit rarement, et je crois que B. Obama n'appartient pas ce matin à l'Amérique seulement, mais à l'ensemble du monde. Et maintenant, c'est au reste du monde de relever le défi, à son tour, pour suivre ce mouvement enclenché.