Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, avec RFI le 10 novembre 2008, notamment sur l'action militaire de l'Union européenne contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Bonjour H. Morin.
Bonjour.
Vous êtes à Bruxelles où va se tenir dans quelques instants un conseil des ministres européens de la Défense, qui se penchera sur le problème de la piraterie au large de la Somalie. Vous avez mis en place il y a quelques jours l'embryon d'un dispositif militaire dans la région, avec votre homologue espagnol. Quel est l'objectif aujourd'hui ? Est-ce que c'est d'essayer de convaincre d'autres pays de s'associer à l'opération ?
Non, parce que le travail a été effectué. Nous avons lancé cette opération il y a... cette idée, début août, lorsque je suis allé rencontrer ma collègue espagnole C. Chacon. Cette initiative franco-espagnole a trouvé très rapidement un écho au sein de l'Union européenne. La décision de principe a été prise lors du sommet de Deauville, où nous nous étions réunis début novembre... début octobre, pardon. Et maintenant, aujourd'hui, c'est en quelque sorte le lancement officiel de cette opération. Et vous voyez là, à travers cette opération de lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden, la capacité des Européens à mener des opérations, ensemble. Il a fallu moins de trois mois pour que les Européens décident de mener une opération d'ampleur, c'est assez nouveau.
Oui, c'est le début d'une Europe de la Défense ?
L'Europe de la Défense, vous savez, pour l'Européen convaincu que je suis, c'est parfois la bouteille à moitié vide. Mais si on veut bien regarder les choses, l'Europe de la Défense n'existait pas il y a, disons, dix ans, puisqu'on considère toujours que c'est l'accord de Saint Malo qui fut le lancement de l'Europe de la Défense, c'est-à-dire en 1998. Et ces mots même d' "Europe de la Défense" étaient bannis du langage politique au milieu des années 90. Personne n'osait évoquer cela, parce que l'Europe s'est construite sur le refus des instruments traditionnels de la puissance. On considérait que l'Europe devait être une école ce paix, une école où le droit et la norme permettaient aux Etats de vivre ensemble. Et donc l'Europe de la Défense a beaucoup progressé en dix ans, elle a encore des pas importants à faire, et la France, à travers sa présidence, aura fait faire des pas importants à l'Europe de la Défense.
Alors, concrètement, H. Morin, quelle forme va prendre ce dispositif anti piraterie et quelles seront les forces engagées par les différents pays ? Est-ce que ça, déjà, on, le sait ?
Il y aura à la fois des bateaux européens et des bateaux de l'Alliance Atlantique, puisqu'il y a une présence américaine extrêmement forte dans l'océan indien, et donc l'idée c'est que cette opération sera commandée, ce qui est une première, une première en Europe, des 21 ou 22 opérations que l'Europe a déjà menées sur les continents. C'est une opération qui sera menée par les Britanniques, le commandement sera britannique. A travers... le commandement sera dirigé à partir du Centre opérationnel de Northwood, là aussi chez nos amis Britanniques et cette opération cumulera des moyens de l'Europe et des moyens de l'Alliance atlantique, et aura, disons, trois fonctions principales : la première, assurer l'escorte du programme alimentaire mondial pour la Somalie. Par ailleurs, assurer l'escorte des bateaux du trafic international qui est extrêmement important, puisqu'il y a 16 000 navires qui passent chaque année par le Golfe d'Aden et enfin une surveillance de zones et donc on aura un système dans lequel les bateaux du trafic commercial seront escortés par des bateaux militaires, dans le rail du Golfe d'Aden.
Mais, quels seront les pouvoirs des forces engagées au large de la Somalie ? Est-ce que ça sera de la dissuasion, de la prévention, ou éventuellement est-ce que ça pourrait aller jusqu'à l'intervention ?
Eh bien, c'est d'abord de la dissuasion et de la prévention. Vous savez que, en haute mer, la mer est libre, c'est la Convention de Monte Gobe et donc, tant que vous n'avez pas fait preuve d'une volonté d'agression, il n'y a aucun moyen d'intervention. C'est bien entendu dans le cadre du flagrant délit, où, là, nous pouvons intervenir.
Est-ce que vous avez réglé tous les problèmes juridiques posés par la situation des personnes qui seraient éventuellement appréhendées par les bateaux de l'opération ?
Ce sont des discussions que l'on a entre Européens, parce que ce qui est assez extraordinaire, c'est que cette convention de Monte Gobe date du début des années 80 et qu'aucun pays européen n'a transposé dans son droit interne, en totalité, les règles liées à la convention de Monte Gobe et ne les a pas forcément transposées exactement de la même façon. Donc, nous avons des discussions, qui seront achevées en temps, puisque du lancement officiel de l'opération, qui aura lieu aujourd'hui, jusqu'à l'opération effective, il va se passer encore un bon mois, nous aurons réglé ces questions.
Qui va financer l'opération ? Est-ce que les armateurs vont être mis à contribution ?
C'est une question qui mérite d'être analysée. Moi, à titre personnel, je ne suis pas fondamentalement opposé à l'idée que les armateurs puissent y contribuer puisque de la sécurité dans le Golfe d'Aden dépend aussi le niveau des primes d'assurance.
Oui. La France et l'Espagne sont parmi les pays les plus souvent cités comme étant coupables de pratiquer une pêche industrielle illégale dans les eaux somaliennes. C'est la principale excuse utilisée par les pirates pour justifier leurs actes. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
Eh bien écoutez, non. Tout ça, je veux dire, on a affaire à des opérations de piraterie, qui sont menées à partir de la terre, qui sont des opérations... voilà, je veux dire, il ne faut pas faire de lien entre la pêche et en quelque sorte des mesures de rétorsion qui seraient celles des pirates, tout cela n'a pas de sens.
H. Morin, avez-vous des nouvelles, aujourd'hui, des dix otages, dont sept Français, qui ont été enlevés dans la nuit du 30 au 31 octobre, sur un navire du groupe français Bourbon, au large de la péninsule de Bakassi ?
Ecoutez, c'est bien entendu un dossier que l'on suit de très près. Il y a une cellule de crise au ministère des Affaires étrangères, mais permettez-moi de considérer que pour la sécurité des otages, moins on en parle, mieux c'est.
Mais le dossier avance ?
Voilà, on suit ça de près.
Il se dit, dans votre entourage, que vous souhaitez, aujourd'hui, réunir vos homologues de l'Union européenne concernés par le programme de l'avion de transport militaire A 400 M, en marge du Conseil européen, donc, pour tenter de définir une position commune sur l'avenir de ce programme qui est frappé par une série de retards. Est-ce que vous pouvez confirmer cette information ?
Oui, bien sûr, j'ai engagé des discussions bilatérales avec les pays membres de ce programme, qui est un programme majeur pour l'Europe, c'est un bel exemple de ce qu'est capable de faire l'Europe de la Défense. C'est un avion que l'on a fait en commun, c'est un avion sur lequel on a fait une école de formation en commun, franco-allemande, ouverte à tout le monde. C'est un avion sur lequel on a décidé de faire une maintenance commune, qui fait que l'avion, au fur et à mesure des décennies, évoluera de la même façon dans les pays, et enfin, c'est un avion sur lequel on va créer, aujourd'hui même aussi, une flotte européenne de transport commune, c'est-à-dire que l'on va mutualiser des moyens de transport aériens communs, avec 16 pays européens, et donc c'est un magnifique programme européen, mais qui a une difficulté industrielle. Cette difficulté industrielle c'est que EADS a des difficultés à la fois à mettre au point le moteur, une partie du moteur, et par ailleurs, se plaint de spécifications extrêmement nombreuses, différentes d'un pays à l'autre, rendant le programme difficile. Et donc, ce que je propose... j'ai proposé à mes collègues européens, c'est que nous ayons une discussion commune avec EADS d'une part et que d'autre part, nous regardions ensemble, comment on pourrait faire évoluer le programme, pour qu'il puisse aller... pour qu'il puisse être au rendez-vous.
Merci H. Morin, bonne journée.
Merci beaucoup.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 novembre 2008