Déclaration de M. Jean-Michel Baylet, président du parti radical de gauche (PRG) sur les réflexions et propositions de son parti pour un nouvel ordre international, Paris le 21 octobre 2008.

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Circonstance : Premier forum public des partis de gauche et écologistes sur le thème : "Quelle alternative politique dans la mondialisation ?"

Texte intégral

Mes chers amis de la gauche enfin réunis, j'ai voulu souligner le fait que nous soyons enfin réunis, car je crois que nos concitoyens attendent depuis bien des semaines, pour ne pas dire des mois, que la gauche exprime enfin un point de vue commun et si possible porteur d'espérance sur la crise inédite, comme cela a été dit, que traverse le système capitaliste.
En ce qui concerne l'aspect strictement financier symptomatique de cette crise, il est vrai que nous avons adopté des positions divergentes. Le parti radical de gauche assume la sienne, le plan européen d'aide aux banques, c'est-à-dire d'aide à tous les épargnants et de retour à la confiance étant, nous semble-t-il, tout à fait indispensable. Ceci étant, en l'approuvant, rassurez-vous, nous n'avons donné aucun quitus à la doctrine économique libérale et encore moins à la politique sociale du gouvernement français. Nous avons simplement, comme nous avons coutume de le faire, pris nos responsabilités, après avoir débattu, après avoir réfléchi. Nous avons pris nos responsabilités surtout à l'égard de la communauté nationale. Il nous semble que cela était normal.
Aujourd'hui, si je peux corriger légèrement l'intitulé de notre invitation, nous sommes priés d'élaborer un terme nouveau et alternatif à l'idéologie libérale, qui se donne à voir avec toutes ses conséquences déjà constatées ou facilement prévisibles et très longuement évoquées avant moi. A supposer la crise financière dépassée, ce qui n'est d'ailleurs pas acquis, une très grave récession économique se profile en raison du manque d'oxygène dont pâtit l'économie, et que l'on appelle désormais, c'est un aveu terrible : économie réelle. Mais aussi à cause des choix spécifiquement nationaux qui n'ont été dictés que par une vision dogmatique de la situation des attentes de notre pays. Ne l'avons-nous assez dit : l'option du bouclier fiscal, l'atteinte aux services publics, et en premier lieu l'Éducation nationale et la Poste, les menaces sur le Code du travail et tous les a priori sur les vertus du libéralisme, libéralisme naturellement à l'américaine, l'Amérique de Reagan et Bush, ont placé notre pays dans une situation spécialement défavorable.
Mais les Français, je crois, ne nous attendent pas là, car il ne sert à rien de soumettre au diagnostic ce qui est désormais passible d'autopsie. Nous devons proposer des remèdes et une autre voie. J'en étonnerai plus d'un, de ceux qui nous ont parfois reproché de faire un peu cavaliers seuls en signifiant la volonté radicale d'une gauche à la fois unie et totalement rénovée par les gages que je veux donner ici et maintenant à des propositions émanant des autres familles progressistes.
À nos amis Verts, je veux dire que nous sommes reconnaissants, et d'ailleurs, Michel Crépeau l'était avant les autres. Nous sommes reconnaissants à la pensée écologiste d'avoir contesté l'équation abusive entre la croissance quantitative et le progrès humain. Cette assimilation venue du positivisme et du scientifisme, alors peut-être justifiée mais qu'il nous faut reconsidérer aujourd'hui, et avec eux, j'estime que les critères des aides publiques à l'économie mais aussi du commerce international doivent être demain des critères environnementaux, sociaux et démocratiques.
J'ai entendu également la proposition des communistes de constituer autour de la Caisse des dépôts, de la Caisse d'épargne et de la Poste un pôle financier d'un type nouveau orienté vers l'aide à la création d'emplois, l'innovation et l'exportation, en clair, vers le gisement de richesses insuffisamment exploité des PME. C'est une idée que les radicaux avaient émis au Sénat au plus fort de la crise financière.
Pour sa part, Jean-Pierre Chevènement dit depuis longtemps que dans sa configuration actuelle, l'Europe ne répond pas aux attentes de nos concitoyens, qu'elle souffre d'insuffisance politique et d'un excès de technicité. Il l'a rappelé avec brio tout à l'heure. Les radicaux, fédéralistes européens convaincus, en sont d'accord et n'ont d'ailleurs cessé de le dire, tout en refusant de jeter le bébé Europe avec l'eau du bain de la Banque centrale. La séquence que nous avons vécue il y a huit jours prouve à l'évidence que la volonté politique peut s'imposer au laisser-aller libéral, mais elle démontre aussi que l'Europe, quand elle parle d'une seule voix, peut faire entendre cette voix dans le monde.
La voix de l'Europe pourrait être plus audible encore si nous choisissions résolument le surplomb de la politique sur l'économie et la finance, et non l'inverse. J'ai compris aujourd'hui que c'est la position du Parti socialiste, qui soutient, comme François Hollande vient de le rappeler, un plan européen pour stimuler un investissement privé pour financer des infrastructures publiques. Nous voilà certes loin de l'acte unique adopté à l'époque par une majorité de socialistes et plus près des solutions de Keynes, classiques, mais une fois de plus, les radicaux pensent que c'est le bon chemin.
J'irai cependant plus loin, parce qu'il faut, nous en sommes tous d'accord, réhabiliter la politique. Pourquoi nous priver de ces moyens par excellence, et notamment du levier budgétaire ? Une politique économique n'est pas seulement une stricte gestion de l'orthodoxie monétaire, et la crise actuelle nous montre la vanité d'une telle conception quand elle s'érige en finalité. Le volontarisme, c'est aussi mobiliser l'instrument financier communautaire en faveur de l'investissement productif et de l'emploi. C'est ne pas renoncer à un déficit budgétaire européen qui doperait nos exportations tout en nous permettant de financer nos aides à l'investissement et nos grands travaux d'intérêt général. Nos alliés américains se gênent-il pour nous faire payer par le pouvoir d'arbitrage de leur monnaie le déficit de la réserve fédérale ?
Ceci m'amène à la question décisive d'un nouvel ordre monétaire international, et d'un nouvel ordre international tout court, le système de Bretton Woods ayant vécu, comme l'ont rappelé tous les orateurs, il vient d'exploser sous nos yeux, fondé qu'il était sur la suprématie militaire et économique d'une seule puissance. Il est tout à fait inadapté à un monde multipolaire où il faudra faire leur place aux pays émergents, discipliner les fonds d'investissement privés ou souverains, taxer les mouvements financiers spéculatifs totalement déconnectés de l'effort productif des vrais travailleurs, entrepreneurs ou salariés, et enfin et surtout, proposer à deux milliards et demi d'hommes vivant sous le seuil de pauvreté et à plus de 900 millions d'humains aujourd'hui frappés par la famine autre chose que les potions mortifères du FMI ancienne manière.
Dans ce nouvel ordre à bâtir sur des fondements de justice et de progrès, les accords de Marrakech, caduques à l'instant même de leur signature, ne sont en somme qu'une conséquence. Nous ne pouvons plus tolérer un commerce international faisant fi de l'environnement, de la justice sociale et des droits de l'Homme.
La gauche a encore beaucoup à dire à nos concitoyens, elle a une voix singulière à faire entendre en France, en Europe et dans le monde, une voix singulière, à la condition de ne pas renoncer à l'essentiel de nous-mêmes. Être de gauche, c'est plus que jamais préférer le mouvement à l'ordre injuste ; c'est faire de l'Homme la finalité de toute notre action politique.
Je voudrais remercier les organisations politiques organisatrices, les syndicalistes, les experts et les universitaires qui sont venus dialoguer avec nous, et toutes et tous qui êtes venus nous voir si nombreux. Merci et à bientôt.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 4 novembre 2008