Interview de Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat à la ville, à "ITélé" le 4 novembre 2008, sur l'élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, et sur les difficultés en France d'avoir des élues femmes ou d'origine immigrée.

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Média : Itélé

Texte intégral


L. Bazin.- On va parler politique maintenant, politique française, politique américaine aussi, avec F. Amara. Bonjour, merci d'être avec nous.

Bonjour.

Secrétaire d'Etat à la Politique de la ville. Vous votez Obama, si vous votiez ?

Eh bien, écoutez, les yeux fermés !

Les yeux fermés ! Vous avez dit tout à l'heure pendant le journal, « il était temps ! ».

Oui, je pense qu'il est temps qu'on tourne une page. Je crois qu'aujourd'hui, en fait, Obama représente beaucoup d'espoirs à travers le monde. On voit bien d'ailleurs dans les quartiers populaires, il est extrêmement populaire justement. Donc, je pense qu'il est temps qu'on tourne une page et qu'on réécrive une nouvelle histoire plus centrée sur l'optimisme, plus centrée sur le progrès de l'humanité, plus centrée sur la construction de la paix à travers le monde, plus centrée sur une Amérique qui est, en fait, une Amérique que tout le monde attend avec ce fameux rêve américain, mais ce fameux rêve américain qui est porteur d'espoirs.

C'est la raison pour laquelle 82 à 93 % des Français, selon les sondages, et pratiquement 100 % des jeunes des quartiers votent Obama. Est-ce qu'ils votent pour les même raisons ? On dit par exemple souvent, "les Français, c'est bien, mais ils votent Obama pour se donner bonne conscience, quand il s'agit de voter pour un député issu d'une minorité visible, ils ne sont pas au rendez-vous".

Moi, je ne dirais pas ça. Je pense que - j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer -, je pense que l'opinion publique en général, les Français sont prêts à voter pour un candidat ou une candidate issus de l'immigration, quel que soit d'ailleurs...

...Ce sont les partis qui ne le leur donnent pas alors ?

C'est le fonctionnement des partis qui, en réalité, bloque les candidatures qui sont susceptibles justement de dépasser tous les freins.

Vingt aux dernières législatives pour le Parti socialiste, douze pour l'UMP.

Oui, mais à des postes souvent dans lesquels on les envoyait dans des terrains où ce n'était pas possible.

« Au casse-pipe », a dit M. Boutih à l'époque...

Oui, M. Boutih, je m'en souviens, il avait une candidate dissidente dont le père était très connu sur le terrain. Donc, voilà, il y a aussi des histoires comme ça. Et je trouve ça dommage, l'opinion publique est prête mais ce sont les partis politiques qui, en réalité, dans leur fonctionnement, ne sont pas tout à fait prêts.

Cela veut dire qu'il pourrait y avoir en France un jour dans votre esprit, enfin de manière simple, naturelle, un Président issu de l'immigration ?

Oui. Le président de la République, N. Sarkozy, par exemple, est déjà issu de l'immigration, il faut le savoir. Mais ce débat-là, on l'avait à l'époque quand ça concernait les femmes. On est dans le même processus, la même dynamique.

18 % de femmes à l'Assemblée nationale, ce n'est pas fameux non plus...

Non, et c'est même honteux, je dirais, c'est même honteux !

Et qu'est-ce qu'on fait pour changer ça ? Qu'est-ce qui se fait dans le Gouvernement auquel vous participez pour changer ces choses-là ?

Ecoutez, si ça ne dépendait que de moi, très franchement, j'enlèverais cette espèce de codicille, qui permet en réalité de détourner l'objectif qu'on s'est fixé dans le cadre de la loi sur la parité. On paie des amendes, et donc on détourne l'objectif. Moi, j'enlèverais cet article-là, qui le permet...

Plus d'amendes ?

Oui, plus d'amendes... (inaud.)

Obligation ?

Oui, oui...

50/50, comme au Gouvernement ?

On l'a bien dans les élections, par exemple municipales, les fameuses listes "chabadabada". Je pense qu'à un moment donné, il faut aussi être capable de le faire à l'Assemblée nationale, au Sénat. Au Sénat, d'ailleurs, je remarque que la dynamique pour les femmes, elle est plus importante, la présence des femmes au Sénat commence à devenir beaucoup plus importante que celle de l'Assemblée nationale.

On vient de parler des Français dans leur ensemble, parlons des "quartiers populaires", comme vous les appeliez tout à l'heure, qui, eux, votent, alors on n'est pas à 92 %, on est souvent à 100 %, Obama. Est-ce que c'est le même vote ? Je vous le demandais tout à l'heure, en particulier est-ce qu'on doit rapprocher ça... On lit dans Le Parisien, ce matin, que dans les mêmes quartiers, des jeunes gens demandent à changer de nom, déposent des dossiers en justice, ils s'appellent Olivier, ils s'appellent Jacques, ils s'appellent François, ils veulent s'appeler Ali, Saïd ou Mohammed parce que ça ne fonctionne pas.

D'abord, il faut préciser que c'était des personnes qui s'appelaient Mohammed pour certains d'entre eux, et qui ont changé, ils ont francisé leur nom. Donc, là, on est à une époque où la question de la discrimination était trop importante et il y avait... C'était un passeport, franciser son nom, c'était un passeport pour réussir son insertion professionnelle parce qu'il y avait trop de difficultés. Aujourd'hui, on est dans une autre dynamique, il reste encore beaucoup de discrimination évidemment, mais nous sommes dans une dynamique de la promotion de la diversité. Ça, on le doit aussi à tout ce qui s'est passé ces dernières années, notamment sur la lutte contre les discriminations, etc. Mais en même temps, je pense que ce sont beaucoup de gens...

Mais n'y a-t-il pas un repli identitaire, parce que quand même, c'est de ça dont il s'agit, là.

Non, je ne dirais pas ça, non. Non, très franchement, je ne dirais pas ça, je ne pense pas. Je poserai la question, je ferai un sondage, parce que comme je vais beaucoup sur le terrain, je demanderai.

Faites un sondage pour nous, oui.

Mais je ne pense pas que ce soit ça. Je pense que tout simplement, c'est une sorte de retour aux prénoms d'origine, c'est-à-dire que quand ils sont nés ils s'appelaient Mohamed ou Mamadou, et puis là ils retrouvent leur identité, parce que beaucoup de personnes qui ont dû changer leur nom l'ont mal vécu aussi. Et c'est vrai que l'entourage - alors là, pour le coup, ça se discute là - mais l'entourage a fait pression aussi en disant "quand même, tu n'aurais pas dû changer ton nom, ça ne se fait pas, c'est honteux, etc.". Bon, ce n'est pas très sympa et ce n'est pas très délicat, mais en tout cas voilà, les pressions elles existent.

Vous m'avez vu arriver : est-ce que le vote Obama des banlieues est un vote racial, identitaire ? D'une certaine manière, est-ce que Obama, Noir, représente quelque chose à cause de ça ?

Oui, évidemment. La couleur peau d'Obama, elle est importante dans le choix du vote des jeunes dans les quartiers, évidemment. Mais ce n'est pas que ça.

Est-ce que ça vous inquiète ou est-ce que, au contraire, ça vous semble logique ?

Non, parce que moi, je vous dis la même chose, et pourtant on connaît mes combats, je suis profondément républicaine, laïque et très attachée à mon pays, universaliste. Mais en même temps, c'est vrai que je pense que c'est... Ce qui s'est passé dernièrement aux Etats-Unis a influé dans le monde, et donc, du coup, les jeunes des quartiers ne sont pas absents, ils regardent la télé, ils sont très au courant de ce qui se passe à travers le monde, et y compris chez nous. Je pense que tout le monde a envie que ça change. Regardez dans les beaux quartiers, vous verrez, il y en a aussi qui votent Obama, et pourtant là, ce n'est pas une question de couleur de peau. C'est vraiment le changement, la rupture.

La rupture ?

Oui.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 novembre 2008