Interview d'Hervé Morin, ministre de la défense, à Canal Plus le 11 novembre 2008, sur l'avenir des commémorations, la réforme de la gendarmerie et sur la défense européenne.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

MAÏTENA BIRABEN
Hervé MORIN bonjour.
HERVE MORIN
Bonjour.
MAÏTENA BIRABEN
Je vous pose la question de La Matinale : est-ce qu'il y a trop de commémorations ?
HERVE MORIN
Il me semble qu'il est important que nous ayons des rendez-vous à la fois avec notre mémoire et ces moments de commémoration pour l'élu local que je suis, l'ancien parlementaire que je suis, sont des moments aussi de rassemblement, d'union et dans un pays qui aime tellement se déchirer, qui aime tellement jouer la division, que je trouve que ces moments-là doivent être préservés.
CAROLINE ROUX
Tous les moments.
HERVE MORIN
Oui, tous les moments. Pourquoi voudriez-vous supprimer la journée dédiée à la Déportation ?
CAROLINE ROUX
C'est le rapport KASPI qui le préconise, commandé par l'Elysée.
HERVE MORIN
Pas commandé par l'Elysée, commandé par le Secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants de l'époque qui s'appelait Alain MARLAIX. Il ne faut pas mélanger les choses. Et donc ce rapport c'est un rapport qui n'engage pas le gouvernement et nous avons besoin de moments de communion, d'identité, de ce que nous sommes, du cheminement qui a été le nôtre pour construire la communauté nationale de demain. Si vous n'avez pas ces racines, si vous n'avez pas cette mémoire vous ne vous projetez pas. Et donc moi je suis pour le maintien de ces journées.
CAROLINE ROUX
Ca veut dire que ce rapport est enterré en fait, avant même d'avoir été remis aux...
HERVE MORIN
Ecoutez, je l'ai reçu hier, comme je venais vous voir ce matin je l'ai lu hier soir pour tout vous dire ; vous voyez j'ai de bonnes lectures le soir. Qu'il y ait eu en effet un certain nombre de journées nouvelles dans les dix dernières années c'est un fait ; mais pourquoi supprimer la journée de la Déportation, pourquoi supprimer la journée de la Commémoration de l'Esclavage...
CAROLINE ROUX
Ca n'était pas un sujet jusqu'à ce rapport ; donc maintenant que vous l'avez vu, que vous avez passé une nuit là-dessus...
HERVE MORIN
Non, toute la nuit, n'exagérons rien.
CAROLINE ROUX
Bon voilà, est-ce que vous nous dites ce matin : ce n'est plus un sujet ? Pour vous ?
HERVE MORIN
Moi je vous donne mon sentiment, voilà, je trouve que nous avons besoin de moments de commémoration, de moment de rassemblement, de moments d'union et ces moments-là il faut les préserver, surtout dans une société éclatée comme la nôtre, segmentée comme la nôtre.
CAROLINE ROUX
Alors, est-ce que vous êtes favorable par exemple à l'instauration d'un jour férié comme le réclame par exemple Jean-Pierre JOYET, pour l'Europe, un jour férié européen, le 09 mai.
HERVE MORIN
Je connais... Jean-Pierre et moi-même avons cette même conviction que l'Europe doit être une puissance publique, une puissance politique, que l'Europe a un projet de société qui est le plus beau projet de société sur la planète ; il est différent du modèle américain, il est différent bien entendu du modèle chinois, du modèle indien, et c'est le modèle qui a su faire la meilleure conciliation entre l'économie de marché et l'humanisme et la solidarité. C'est ce que les Allemands appellent l'économie sociale de marché et ce projet politique là, formidable, que nous le défendions et que nous essayons de le faire partager par la planète toute entière, c'est un projet formidable, c'est pour cela que je me suis battu sur l'Europe de la Défense, mais de là à faire un jour de plus...
CAROLINE ROUX
C'est important ce que vous êtes en train de dire ; est-ce qu'il faudrait par exemple que le 11 novembre, ce soit une commémoration européenne ?
HERVE MORIN
Mais regardez ce que fait le président de la République aujourd'hui ; il lui donne un tonalité européenne puisque, comme vous le savez, il sera accompagné d'un certain nombre de personnalités politiques...
CAROLINE ROUX
Les Allemands ne seront pas là ?
JOURNALISTE
Il y aura le président du Sénat...
HERVE MORIN
Il y aura le président du Sénat et Angéla MERKEL était là pour Colombey, donc, voilà, je pense qu'il faut que sur chacune de ces commémorations on essaie de trouver au-delà du devoir de mémoire, qu'on essaie de trouver une symbolique qui permette de tracer des pistes pour l'avenir.
LEON MERCADET
Bonjour Monsieur le Ministre, une question qui sort de ce problème de commémoration et qui est beaucoup plus, qui vous concerne en tant que ministre. Elle vient d'un gendarme, d'un gendarme qui s'appelle Romain et qui nous dit : voilà, je suis gendarme, ma question est simple : entre dissolution et réduction d'effectifs, nous nous devons de rester muets. La gendarmerie quitte la Défense pour l'Intérieur. Sommes-nous encore des militaires ? Que répondez-vous ?
HERVE MORIN
Je dis à ce gendarme, à Romain si j'ai bien entendu, qu'il reste militaire, que la loi qui va être débattue au Parlement clairement, réaffirme le caractère militaire de la gendarmerie.
LEON MERCADET
Ca sera débattu quand, au Parlement?
HERVE MORIN
Au début de l'année prochaine très probablement ; le projet de loi est déposé, il est en examen au Sénat. C'est un projet de loi qui clairement tire les conséquences d'une décision qui a été prise en 2003. Cette décision c'est celle de mettre la gendarmerie sous l'autorité fonctionnelle du ministre de l'Intérieur. En clair, lorsque la gendarmerie exerce ses missions au quotidien, eh bien elle est sous l'autorité du ministre de l'Intérieur. Et donc la conséquence qu'on en tire c'est que le budget de la gendarmerie est transféré au budget du ministère de l'Intérieur, parce qu'il est cohérent de donner au ministre de l'Intérieur la totalité des moyens qui lui permettent de lutter contre l'insécurité. La police dans tel département, doit être renforcée parce que c'est dans les zones police où se situe l'accroissement de la délinquance. La gendarmerie doit être renforcée dans telle partie ou dans tel autre département, parce que c'est dans cette zone-là et dans une zone gendarmerie où il faut renforcer les moyens et donc il est cohérent qu'au lieu d'avoir le ministre de la Défense qui n'a plus autorité sur ces gendarmes, dans le fonctionnement quotidien, que le ministre de la Défense, en quelque sorte, transfert ce budget au ministère de la l'Intérieur. Il y a une vraie cohérence. Mais lorsque ce même gendarme partira en opération extérieure, lorsqu'il sera avec ses frères d'armes militaires, eh bien là il sera militaire, il sera sous l'autorité du ministre de la Défense et ce gendarme continuera à bénéficier de l'ensemble du soutien du ministère de la Défense, le soutien santé, le soutien social, etc. etc.
MAÏTENA BIRABEN
Caroline, on revient au 11 novembre.
CAROLINE ROUX
Oui on revient au 11 novembre et au cas des Fusillés de 17. Vous savez qu'il y a toute une polémique autour du fait de : est-ce qu'il faut oui ou non, réhabiliter les Fusillés de 17 qui ont été à l'époque fusillés pour l'exemple. Est-ce que vous êtes favorable à cela ?
HERVE MORIN
Ecoutez... je pense que quand on est sur ce devoir de mémoire il faut regarder l'Histoire du pays telle qu'elle est. Après, est-ce qu'il y a besoin d'actes de réhabilitation, de repentance permanents, on n'est pas forcément obligé en permanence d'avoir...
CAROLINE ROUX
Vous n'y êtes pas favorable, donc...
HERVE MORIN
Je veux laisser les historiens faire les choses. L'Histoire... mais non... l'Histoire...
CAROLINE ROUX
... certains nous disent : c'est les politiques qui doivent se mêler de l'Histoire.
HERVE MORIN
Moi j'ai voté contre les lois et les articles qui déterminaient l'Histoire officielle. L'Histoire n'est pas officielle ; elle appartient aux historiens, elle appartient à une communauté nationale qui vit ; elle n'appartient pas à des textes et à des décisions...
CAROLINE ROUX
Pour les Fusillés de 17, Tony BLAIR l'avait fait.
HERVE MORIN
Oui, eh bien écoutez, très bien.
JOURNALISTE
Alors vous évoquiez la question des moyens, hier vous étiez à Bruxelles et avec vos partenaires européens vous avez décidé ensemble de capacités d'armement pour doter l'Europe de moyens pour cette Europe de la Défense, mais est-ce que la crise économique ne va pas remettre en cause les engagements des différents pays ?
HERVE MORIN
Non parce que l'Europe de la Défense c'est un moyen de mutualiser un certain nombre d'instruments ou de capacités. Quand nous décidons comme hier, je vais prendre deux exemples concrets parce que, vous savez, pour ne pas faire après... je connais Caroline ROUX, elle va me reprocher d'être trop technique. Quand vous décidez de faire une flotte commune de A.400.M, de cet avion de transport tactique, quand nous décidons à douze pays et probablement à seize dans quelques mois, de mutualiser cette flotte de transport, pour que nous puissions avoir des moyens complémentaires, au moins peut-être qu'on ne réduit pas les coûts mais au moins on se donne des moyens supplémentaires, en permettant à chaque pays d'avoir un droit de tirage sur une capacité de transport complémentaire. Quand par exemple nous décidons à sept pays dont les Polonais, de lancer un nouveau programme d'observation satellitaire, ce qui est absolument majeur dans le monde instable dans lequel on est, et qu'on le fait à sept, c'est un moyen de mutualiser les choses. Quand on décide de lancer des programmes de recherche communs et que l'on confie ce travail à l'Agence européenne de Défense, c'est un moyen aussi de mutualiser nos efforts. Donc, ça n'est pas source de coût ; ça n'est pas non plus, reconnaissons-le, forcément source d'économie mais au moins c'est source de mutualisation et c'est surtout le développement d'une culture européenne et d'une conscience européenne.
Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 20 novembre 2008