Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur les relations entre la France et l'Afrique en matière d'immigration et de développement, à Paris le 5 novembre 2008.

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Circonstance : Colloque "Réussir le développement solidaire France/Afrique, à Paris le 5 novembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président, Cher Michel Rousseau,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d'abord à rendre hommage à votre initiative. Dans un monde en proie à l'instabilité et aux turbulences financières, parler de développement solidaire entre l'Afrique et la France est plus que jamais d'actualité.
Nous voyons tous aujourd'hui les limites de la dérégulation. La solidarité internationale et la coopération s'imposent à nouveau. C'était, faut-il le rappeler, l'esprit même de la refondation de la communauté internationale au lendemain de la seconde guerre mondiale : "Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire" (1er article de la Charte des Nations unies).
Cette solidarité s'exerce aujourd'hui dans l'urgence entre pays du Nord pour faire face à la crise, contenir ses effets les plus immédiats. Elle doit également, et dès maintenant, intégrer le Sud, et singulièrement l'Afrique.
Je saisis l'occasion qui m'est donnée ici pour dissiper certains malentendus.
Il est faux, tout d'abord, de prétendre que les instruments que nous mettons dès à présent en oeuvre sont autant de moyens qui n'iront pas au développement, ou pour faire court, aux pauvres. La réalité est autre : si la crise n'est pas rapidement jugulée, son onde de choc atteindra également et sans doute plus rapidement qu'on ne le pense les pays en développement. Une récession mondiale, une crise de confiance généralisée, un crédit plus cher, un pouvoir d'achat en berne, ce sont autant de maux qui très vite s'exporteront également sur le continent africain. La priorité était donc bien de tout faire pour éteindre au plus vite l'incendie.
Faut-il pour autant revoir à la baisse nos engagements de solidarité avec les plus démunis d'entre nous ? La réponse du gouvernement français est sans aucune ambiguïté : nous respecterons tous nos engagements. Pour parvenir autour de 2010 à 0,5 % de notre APD rapporté au PIB de la France, nous allons faire un effort budgétaire de 5 % sur les trois prochaines années. Les crédits de paiement des trois programmes qui concourent à la mission "aide publique au développement" passent ainsi de 3,090 à 3,239 milliards d'euros entre 2008 et 2011. J'aurais l'occasion, au nom de l'Union européenne, de réaffirmer cette position à la Conférence de Doha sur le financement du développement.
Ces clarifications faites, je souhaiterais en introduction de vos travaux partager avec vous deux ou trois points qui me paraissent essentiels lorsqu'on aborde la question du développement, de la solidarité et des migrations.
Le premier est peut-être une évidence, mais qui mérite malgré tout d'être rappelée : les migrations ont l'âge de l'humanité. Partis d'Afrique, berceau de l'espèce humaine, les premiers hommes (et femmes) ont parcouru tous les continents où ils ont progressivement essaimé. L'aventure humaine peut être relue, au fond, comme une histoire continue de mouvement, de déplacement, de communication, d'échanges, parfois aussi de confrontation, mais le plus souvent d'enrichissement et de progrès. Cette réalité est aujourd'hui plus forte que jamais avec près de 200 millions de migrants dans le monde. Réunis en un seul pays, ils formeraient ensemble le cinquième pays le plus peuplé au monde !
Cette migration a été également à l'origine des plus belles aventures humaines. De 1492 à nos jours, l'Amérique a été par excellence la terre d'accueil de tous les migrants. Ces migrations ont ainsi contribué à forger l'identité du peuple américain, et la vocation universelle des Etats-Unis trouve sans doute là un de ses fondements. Avec Barack Obama, c'est un migrant de la seconde génération que les Américains ont élu hier.
La migration joue enfin un rôle de premier plan dans le rééquilibrage des échanges, à travers notamment la mobilisation de l'épargne des migrants et la formation des élites. Ces transferts de fonds des migrants, vous le savez, sont aujourd'hui largement supérieurs aux seuls flux de l'APD, même si 80 % de ces fonds vont encore à la consommation courante des ménages, au détriment des investissements productifs.
Second point, essentiel, lorsque l'on aborde la question des migrations et du développement : savoir être à l'écoute de nos partenaires. J'étais invité, la semaine dernière, à un grand rassemblement d'ONG venant de tous les continents, événement organisé avec le soutien de la présidence française de l'Union européenne. Plus de 80 plate-formes d'ONG avaient fait le déplacement. Elles ont porté à ma connaissance leurs principales conclusions. Au premier rang d'entre elles figuraient les questions migratoires.
Il faut, je crois, là encore, sortir du dialogue de sourds. Nos intérêts sont largement convergents. L'Afrique a plus que jamais besoin de ses cerveaux et de ses bras. Une politique de gestion concertée des flux migratoires, pour moi, c'est d'abord et avant tout une politique partagée, une politique partenariale, basée sur le dialogue et le respect des intérêts mutuels.
L'intérêt de la France, c'est de continuer d'être une terre d'accueil des élites africaines, non pas pour les garder chez nous, mais pour contribuer à la formation des métiers et des savoirs qui peuvent encore faire défaut de l'autre côté de la Méditerranée. Ces échanges, cette circularité entre l'Afrique et notre pays est le meilleur gage de compréhension et de connaissance pour l'avenir. Mais cet accueil doit être exigeant, il doit se faire en tenant compte des besoins réels de formation des pays. Dans certains cas, le rôle de la France sera plutôt de privilégier les formations sur place, afin de consolider les systèmes éducatifs et universitaires nationaux.
Au-delà des questions de formation, qui sont essentielles, il nous faut également investir dans la durée. Rien de pire que les mouvements de balancier. La maîtrise des flux migratoires, cela signifie, à mon sens, au premier chef, revenir aux fondamentaux du développement. J'en vois au moins trois, l'agriculture, la ville, l'environnement des affaires.
Les mouvements de population, internes aux pays de migration, sont connus : ils vont des terres vers le littoral. Les bassins de migration sont également des zones rurales d'extrême pauvreté. La récente crise des matières première alimentaires a souligné la faiblesse des investissements dans l'agriculture, moins de 4 % en moyenne des budgets des pays concernés. Le résultat est connu : faiblesse des rendements, extrême fragilité aux intempéries, incapacité à aller au-delà des seules agricultures vivrières, difficulté à trouver des crédits et à organiser des filières de production...Comme l'a rappelé le président Sarkozy, à Rome, en juin dernier, il faut donner un second souffle aux politiques agricoles des pays du Sud. C'est tout le sens de l'initiative prise de création d'une facilité financière internationale. L'Afrique ne peut pas rester en marge de la "révolution verte", qui partout a marqué le décollage des économies en développement.
Parallèlement, du moins si nous souhaitons réellement peser sur les flux migratoires, il nous faut investir là où se joue également la partie de demain. La barre fatidique vient tout juste d'être franchie : 50 % de la population mondiale vis désormais dans les villes. L'Afrique ne fait pas exception. Le mouvement est universel, mais les grandes capitales du continent, de Lagos à Dakar, de Kinshasa à Bamako, de Johannesburg à Abidjan ne sont pas préparées à cet afflux massif de population.
Les aspects positifs d'une urbanisation rapide, comme la baisse de la natalité, une meilleure scolarisation des filles, un meilleur accès aux structures médicales, sont en partie compensés par ses aspects les plus négatifs : précarité des habitats, insalubrité des bidonvilles, rupture des liens de solidarité, atteintes à l'environnement...Autant de contraintes lourdes, qui poussent à terme, les populations à migrer.
Enfin, pour que ces politiques puissent trouver leurs financements, il faut, en plus des fonds publics, attirer des investissements privés. Il ne s'agit pas, comme je l'entends trop souvent de substituer les uns aux autres, mais bien plutôt de jouer sur les complémentarités. Nous disposons de modèles qui ont fait leur preuve, je pense notamment aux partenariats publics privés, à toutes les formes de concessions de services publics qui permettent de financer la construction d'infrastructures, d'hôpitaux, d'écoles...
Cela suppose au préalable des règles du jeu stables, un environnement juridique clair, applicable à tous ; cela suppose le respect du contrat, la transparence dans l'octroi et la gestion des marchés publics...Tout cela peut paraître un peu éloigné de la problématique qui vous intéresse aujourd'hui, celle des migrations et du développement. Mais nous sommes en réalité au coeur même du sujet. Car bien souvent, ceux qui veulent entreprendre, créer de la richesse, des emplois, se découragent au fil des trop nombreux obstacles rencontrés, et n'ont plus comme alternative que l'exil.
Mais, des bonnes nouvelles nous parviennent aussi du continent africain, et je terminerai là-dessus. L'Afrique sub-saharienne est, selon le dernier rapport de "Doing Business" la deuxième région du monde où l'environnement des affaires s'est le plus amélioré. Entre juin 2007 et juin 2008, au moins 58 réformes positives ont été adoptées par environ une trentaine d'Etats africains, la palme d'or revenant à l'île Maurice, classée 24ème sur un total de 181 pays évalués au plan mondial. Elle devance même la majorité des pays de l'Union européenne, dont l'Allemagne, la France et l'Italie !
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2008