Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Direct Matin" le 31 octobre 2008, sur les questions d'actualité internationale, notamment la République démocratique du Congo, la crise russo-géorgienne, les relations avec les Etats-Unis, l'Afghanistan et le rôle de l'UE au Proche-Orient.

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Texte intégral

Q - Vous êtes favorable au déploiement de militaires français en République démocratique du Congo. Sous quel mandat pourraient-ils intervenir?
R - Nous envisageons toutes les hypothèses mais au sein de l'Europe, avec nos amis en liaison avec les forces de l'ONU. Une réunion se tient ce matin à Bruxelles (Cops). Il ne s'agira sans doute pas d'une action purement militaire, pas d'une action exclusivement française. Il faut aider les réfugiés et les victimes. La solution est politique. Nous agirons surtout dans ce domaine.
Q - Vous revenez de Saint-Pétersbourg, où vous avez rencontré votre homologue russe Sergueï Lavrov. Où en sont les relations entre l'Union européenne et la Russie après la crise géorgienne ?
R - Nous n'avions pas connu depuis des années une telle crise avec la Russie. La présidence française a pourtant pu jouer un rôle positif en Géorgie dès les tout premiers jours des affrontements. L'accord signé sous l'égide du président Sarkozy, par le président Medvedev puis son homologue géorgien Mikheïl Saakachvili constitue la seule base sur laquelle les négociations se poursuivent. Les six points du document sont appliqués, avec plus ou moins de rigueur. Une mission de paix dans l'urgence, ce n'est jamais parfait. Je vous rappelle que nous avons tout de même, en un temps record - moins de trois semaines - envoyé 300 observateurs de l'Union européenne en Géorgie. Ces derniers sont des professionnels qui jouent pleinement leur rôle. Ce n'est pas parfait : il y a des tensions, encore des incidents, des blessés et des morts, hélas, mais nous sommes sur la bonne voie. Bien sûr il faut continuer à développer nos relations avec la Russie, c'est notre seule chance de réussir quelque chose qui ressemblera à un espace économique et à un espace de sécurité comme l'ont souhaité le président de la République française et le président Medvedev.
Q - Pensez-vous que les relations avec le nouveau président américain seront moins tumultueuses qu'avec l'administration Bush ?
R - Il fallait rétablir le dialogue avec les Américains. Si vous prenez le Moyen-Orient ou l'Iran, il n'y avait pas de divergences majeures. Mais sur d'autres sujets, comme la Syrie ou la Libye, le changement climatique, l'OTAN, nous n'étions pas toujours d'accord. Puisque maintenant nous nous parlons avec franchise, les choses se passent mieux. Avec les vingt-six autres ministres des Affaires étrangères européens, nous préparons d'ailleurs une sorte de "boîte à outils" qui permettra aux Etats membres de l'Union européenne de s'adresser de manière cohérente sur les principaux dossiers de politique étrangère à la future administration américaine, abordant différents dossiers, que nous remettrons au président élu.
Q - L'Union européenne doit-elle jouer un rôle accru au Proche-Orient ?
R - Absolument. L'Union européenne devrait aider à ne pas abandonner le processus de paix d'Annapolis, sans attendre l'entrée en fonctions du nouveau président américain. Il est vrai que toutes les conditions ne sont pas réunies. Actuellement, il n'y a pas de gouvernement israélien, et la partie palestinienne est également en difficulté. Ce n'est pas idéal, mais justement c'est pour cela que nous n'abandonnerons pas. Nous avons réalisé les ouvertures nécessaires, comme l'assouplissement des relations avec la Syrie, qui vient de décider l'échange, pour la première fois, d'ambassadeurs avec le Liban et qui poursuit avec Israël, par l'intermédiaire de la Turquie, un dialogue nécessaire.
Q - Vous êtes également en faveur du dialogue entre les autorités afghanes et les taliban. Est-ce la solution ?
R - Le président Karzaï a été le premier à l'évoquer. C'est à lui de le faire. Il faut absolument améliorer la sécurité et c'est le sens de notre engagement renforcé.
Mais il n'y aura pas de solution uniquement militaire, nous le savons. Notre stratégie consiste à aider l'Afghanistan à se reconstruire et à transférer l'autorité militaire et logistique aux Afghans eux-mêmes, comme nous l'avons fait à Kaboul en août dernier et comme nous allons le faire dans quelques mois pour la région Centre. Cela prendra encore du temps pour rétablir la sécurité mais nous assurons à nos amis afghans, au gouvernement élu, au Parlement élu, que nous les assisterons. Les Afghans doivent faire la paix entre eux.
Q - L'armée française a-t-elle les moyens d'assurer sa mission là-bas ?
R - Je le crois. N'oubliez pas qu'il y a vingt-cinq pays de l'Union européenne présents là-bas, et l'armée française remplit sa mission de manière efficace et professionnelle. Mais ce n'est pas une mission facile. Les opérations militaires n'ont jamais été simples en Afghanistan.
Q - Quel est le rôle du ministère des Affaires étrangères dans la gestion de la crise financière ?
R - Evidemment, ce dossier est plutôt du ressort du ministère des Finances mais vous voyez bien qu'en raison de sa gravité, il a été immédiatement pris en charge par le président lui-même. Il comporte une forte dimension de politique étrangère qui est celle de la mondialisation, cadre de la réforme que je mets en place au Quai d'Orsay. Cette crise économique s'inscrit évidemment dans la mondialisation, et je ne veux pas, par exemple, parce que la crise est grave et profonde, que l'on oublie les pays en développement. Ce sera, de mon point de vue, l'un des étalons mêmes de la réussite de la réforme du système économique issu de Bretton Woods. Après la réunion de l'Eurogroupe et la rencontre des vingt-sept chefs d'Etat le 7 novembre à Bruxelles, il y aura la réunion de Washington le 15 novembre prochain. La France y joue un rôle majeur, à l'initiative du président de la République.
Q - Quelles sont vos satisfactions en tant que ministre des Affaires étrangères ?
R - J'assume ma tâche avec beaucoup de coeur et de goût. Je le redis, je tiens beaucoup à la réforme du Quai d'Orsay. Je crois avoir entamé ma tâche avec l'énergie nécessaire, même si la période n'est pas aisée. Le Quai d'Orsay doit avoir un rôle affirmé dans bien des domaines de la mondialisation, comme la démocratie et les Droits de l'Homme, l'analyse économique, les religions... tout ce qui n'était pas assez exploré parce que la diplomatie se voulait d'abord "politique". Mais la politique étrangère, c'est aussi de la politique intérieure et européenne. Comme je le redécouvre tous les jours, il y a des gens très compétents au Quai d'Orsay, qui connaissent parfaitement des sujets très complexes, des jeunes diplomates qui s'acharnent à analyser le monde, à négocier, à défendre nos intérêts. Ils sont indispensables et très intéressants ! La mondialisation rend les diplomates plus nécessaires que jamais.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 novembre 2008