Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, au nom de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la commémoration de la "Nuit de Cristal", à Bruxelles le 10 novembre 2008.

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Circonstance : Commémoration de la "Nuit de cristal", le 10 novembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Le souvenir de la Nuit de Cristal n'appartient pas à un seul peuple. Il renvoie à notre humanité commune, par-delà les frontières. Cette Nuit de peur et de feu fait partie des moments singuliers où se condense toute la destinée humaine - l'absurdité de l'histoire, la violence sans raison. Dans les flammes qui ravagèrent les synagogues, viennent se refléter les visages des opprimés de tous les pays, de toutes les religions, de tous les oppresseurs.
Ce souvenir, qu'en faire ? Ne faut-il pas oublier ? Se débarrasser du sentiment de honte devant ce que l'homme - mon semblable, mon frère - a pu commettre et subir ? Après l'horreur, le silence fut souvent une manière de survivre : ce qui est trop douloureux, on le tait, on le dissimule, et on regarde ailleurs. Mais c'est ajouter de l'absurde à l'absurde, et tourner le dos à notre seul salut - qui est dans la résolution de ne pas se mentir.
Le souvenir de la Nuit de Cristal, et de toute l'injustice qui se reflète en elle, place chacun d'entre nous, chaque homme, chaque femme, chaque citoyen d'Europe, devant un choix : céder au mouvement premier de repli, de silence et de haine. Ou bien dépasser ce mouvement, tendre la main, faire avancer l'histoire. Ce souvenir est une promesse, une exigence de justice. Elle nous donne comme un devoir supplémentaire - une conscience.
Et cette conscience est le moteur de l'aventure européenne. C'est elle qui inspira les gestes fondateurs, qui sont autant d'exemples pour les générations futures. Il faut se souvenir, aussi, de Willy Brandt mettant genou à terre dans le ghetto de Varsovie. C'est cette conscience qui inspire encore, aujourd'hui, notre diplomatie. L'Europe s'est bâtie contre les démons du passé, de la haine et de la barbarie. C'est ce qui fait sa force, c'est son plus beau message : la réconciliation est possible, quelles que soient les blessures.
C'était il y a 70 ans. Mais cela peut être encore aujourd'hui. Cela peut être demain. Nous avons un devoir de protéger, et même de prévenir, ici et ailleurs. Je pense à cette conférence qui se tint à Evian quelques mois avant la Nuit de Cristal, en juillet 1938. Le président Roosevelt, alerté par le nombre des Juifs qui fuyaient l'Allemagne, voulait trouver des solutions. 33 pays furent invités. On discuta beaucoup, sans empêcher les déportations et l'Holocauste. Sans doute on ne pourra jamais empêcher les haines stupides, ni la propension de l'homme à persécuter ses semblables. Mais on peut remédier, au moins, à notre silence devant l'injustice - ceci dépend de nous.
Les commémorations de ce soir - à Bruxelles, à Berlin et ailleurs - sont essentielles pour tous les Européens. Commémorer, ce n'est pas s'enfermer dans le passé, ni s'enfoncer dans le ressentiment. C'est aller chercher ce qu'il y a d'éternel au creux du souvenir - ce qui réveille et qui nous fait agir, et donne un peu de prix à notre action :
"Pour qui chanter vraiment en vaudrait-il la peine
Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves souvent
Et dont le souvenir est comme un bruit de chaînes
La nuit s'éveillant dans tes veines,
Et qui parle à ton coeur comme au voilier le vent" (Aragon).
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 novembre 2008