Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, sur les anciens combattants de la Première Guerre mondiale et sur la réconciliation entre Européens, au Hartmannswillerkopf le 10 novembre 2008.

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Circonstance : Rencontres européennes de la mémoire, auHartmannswillerkopf (Haut-Rhin) les 9 et 10 novembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs et les représentants du corps diplomatique,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les représentants du monde combattant,
Mesdames et Messieurs, mes chers amis,
Nous voilà réunis aujourd'hui, en ce 90e anniversaire de l'année 1918, pour commémorer ensemble, entre Européens, la fin des combats de la Première Guerre mondiale. Nous nous retrouvons aujourd'hui au Hartmannswillerkopf, ce lieu d'exception riche d'une histoire non moins exceptionnelle, qui a durablement marqué notre région mais aussi la mémoire collective, de part et d'autre de la frontière franco-allemande.
Car ici, durant quatre années, des hommes qui avaient en commun d'appartenir au même berceau de civilisation, se firent la guerre dans d'atroces conditions, repoussant jusqu'à l'indicible les frontières de la souffrance humaine.
De part et d'autre, la folie de la guerre devait entraîner les hommes dans un long voyage au bout de l'enfer, dont témoignent les croix qui jonchent ce lieu et les versants de la vallée qui s'étend à ses pieds en dévalant vers la plaine d'Alsace.
Alors que les premières unités françaises prenaient position sur les contreforts du Hartmann à l'automne 1914, elles n'imaginaient pas que cette montagne serait leur tombeau. A peine pensaient-elles perturber les communications adverses, entre les villes de Colmar et de Mulhouse. Elles ne pouvaient imaginer que durant plus d'un an, la montagne du Hartmannswillerkopf serait le théâtre de terribles combats, où le massif serait pris et repris sans cesse, avant que le front ne se fige, définitivement, jusqu'à la fin de la guerre. Jusqu'en 1916, les soldats devaient se livrer des combats épuisants, avant qu'aux assauts répétés et infructueux de part et d'autre ne succède un front désespérément immobile.
L'on a peine à imaginer qu'il y a quatre-vingt dix ans, ces lieux aujourd'hui recouverts de silence étaient gouvernés par l'horreur, livrés aux bombardements et aux assauts meurtriers conduits dans des conditions extrêmes. Au milieu de la fournaise de la montagne en feu, le Hartmann était un volcan crachant une lave qui était le sang des combattants.
Dans un ouvrage bouleversant, le 2e classe André Maillet a décrit la guerre sans merci que se livrèrent les soldats français et allemands sur ce massif rocheux. Il a couché par écrit, en un témoignage unique, la peur, le bruit et la mort qui devait lui enlever, les uns après les autres, ses camarades de combat. Il a raconté les hommes fauchés à ses côtés, agonisants, dont les dernières paroles, dans leurs derniers souffles de vie, s'adressaient à leurs mères.
Ecoutons son témoignage : « On ne distingue plus dans l'éternel vacarme ni le tonnerre des centaines de pièces qui crachent la mitraille, ni le bruit d'explosion des projectiles. C'est un vaste roulement de tambours ininterrompu, une débauche de sons amplifiés, multiplié par l'écho... Les hommes glissent sur les rochers, disparaissent dans les trous d'obus, escaladent les troncs d'arbres, les sapins couchés en un enchevêtrement inconcevable, trébuchent, le pied accroché à une ronce métallique, tombent, se traînent, se relèvent, la capote déchirée, les mains ensanglantées, couvertes de terre... La mort est partout : invisibles les morceaux de fer arrachent indistinctement les rochers, les arbres et les têtes humaines... les nerfs sont exaspérés par les continuelles explosions qui se resserrent de plus en plus. Je sens subitement que c'est fini, que je ne sortirai pas de l'engrenage, et que la machine infernale qui broie, autour de moi, les corps par centaines, broiera aussi le mien. La mort ne prend plus forme, je l'attends à chaque seconde... ».
Ce lieu qui nous réunit aujourd'hui, vestige irremplaçable des combats de la Grande Guerre, est depuis longtemps tourné vers la réconciliation. Depuis longtemps déjà, il accueille les visiteurs et les familles de ceux qui ont combattu au Hartmann et ont laissé leur vie dans les tranchées de cette montagne sacrée.
Depuis longtemps, ce lieu de mémoire est parcouru par de nombreux visiteurs venus de toute la région, en particulier d'Allemagne, qui viennent ici emprunter les pas des souffrances de leurs ainés, pour comprendre leur destin tragique et sans doute méditer sur les horreurs de la guerre. Mais le patrimoine mémoriel, comme tout patrimoine, s'entretient.
Depuis 1932 et sa création comme monument national, ce lieu a épousé les vicissitudes du temps. Sous l'impulsion du Comité du monument national du Hartmannswillerkopf, une réflexion s'est engagée sur le devenir de ce site de mémoire exceptionnel.
En est issu un projet global de réaménagement, que nous devons aujourd'hui accompagner jusqu'au bout. Il consistera en la requalification de la crypte, flanquée des majestueuses statues d'Antoine Bourdelle, le réaménagement de l'abri mémoire d'Uffholtz, de la création d'un musée de site, pour accueillir le public et lui fournir les éléments historiques et pédagogiques utiles à la compréhension du lieu et enfin, la construction d'un parcours pédagogique sur les crêtes, afin de valoriser pleinement les 45 km de tranchées préservées par le temps, qui constituent un témoignage inestimable des combats de 1915.
Alors que sont disparus cette année les deux derniers combattants allemands et français de la Grande Guerre, derniers représentants de la génération sacrée des « Poilus », il y avait urgence à engager ce chantier.
La mort des derniers témoins nous a précipités dans le temps de l'Histoire, un temps où nous sommes confrontés à l'appréhension du passé sans l'aide des témoins. Un temps où nos enfants et nos petits-enfants ne connaîtront jamais les protagonistes de ces événements. Un temps où les cérémonies seront désormais orphelines des silhouettes fragiles des derniers combattants qui jadis les animaient. Un temps où l'émotion des témoignages vivants ne viendra plus solliciter l'imagination et l'intelligence des élèves dans les écoles.
Alors, c'est dans le livre de pierre du Hartmannswillerkopf que les générations futures viendront lire l'histoire et la souffrance des hommes qui combattirent en ces lieux.
Nous voilà réunis aujourd'hui entre Européens, alliés et ennemis d'hier, désormais partenaires dans une Europe de la paix qui nous fait cheminer ensemble vers des destinées pacifiques.
Aujourd'hui, en ce 90e anniversaire de l'Armistice de 1918, les représentants de l'Europe se retrouvent et contemplent côte-à-côte l'héritage commun de la Grande Guerre.
Entretemps s'est édifiée l'Europe de la paix, qui nous préserve du fléau de la guerre et qui oeuvre pour la paix dans le monde.
Aujourd'hui, nous voilà rassemblés devant vous pour méditer ensemble sur ce passé douloureux et pour préparer l'avenir. Aujourd'hui, l'Europe se souvient des heures tragiques où ses enfants se déchirèrent sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Aujourd'hui, l'Europe se souvient de ces temps de malheur où son étoile pâlit à travers le suicide collectif des peuples européens, jetés les uns contre les autres dans une guerre fratricide. Aujourd'hui, l'Europe se souvient du chemin parcouru depuis le 11 novembre 1918, où cessèrent soudain les combats de la Grande Guerre. Aujourd'hui, l'Europe se souvient des espoirs déçus et des désillusions profondes de la paix de Versailles. Aujourd'hui, l'Europe se souvient de l'échec de la Société des Nations et des grands principes du Président Wilson. Aujourd'hui, l'Europe se souvient du chemin parcouru depuis la fin de la Grande Guerre, de la boue des tranchées aux traitées fondateurs d'une Europe de la paix. Aujourd'hui, l'Europe se souvient et se retourne sur sa formidable destinée durant ce demi-siècle passé, pour contempler fièrement son oeuvre de paix.
Aujourd'hui, en ce lieu solennel, emblématique des combats fratricides que se livrèrent hier les Européens, nous nous tournons ensemble vers l'avenir, main dans la main, pour faire à nouveau résonner, face aux générations futures, les mots de tous ceux qui revinrent indemnes de la guerre en s'écriant « plus jamais ça ». Aujourd'hui, réunis en ce lieu chargé d'histoire où sont ensevelis tant de souffrances et tant de destructions, nous réaffirmons ensemble les valeurs de paix et de fraternité qui nous rassemblent.
Cheminons ensemble, main dans la main, sur les sentiers de la mémoire européenne partagée. Soyons dignes de l'héritage sacré que nous ont légué nos anciens. Entretenons leur message d'humanité et honorons ensemble leur mémoire, afin qu'elle ne meure jamais.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2008