Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, sur l'Union européenne face au "basculement" géopolitique vers l'Asie de l'Est, à Paris le 13 novembre 2008.

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Circonstance : Premier symposium international de l'IHEDN sur "Tendances stratégiques en Asie de l'Est", à Paris le 13 novembre 2008

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur Yutaka IIMURA (Ambassadeur du Japon à Paris),
Monsieur le Général de corps aérien Laurent LABAYE (Directeur de l'IHEDN, de l'Enseignement Supérieur et du Centre des Hautes Etudes Militaires - CHEM),
Monsieur le Président du Conseil d'administration de l'IHEDN, Olivier DARRASON (ancien député),
Monsieur le Président de l'Union - IHEDN, René OCCHIMINUTI
MM. les Ambassadeurs, les représentants des forces,
Mesdames et Messieurs les Professeurs et Directeurs de centres d'études stratégiques,
C'est avec plaisir que j'interviens dans le cadre du premier symposium international de l'IHEDN portant sur les nouvelles tendances stratégiques en Asie de l'Est.
C'est un plaisir pour moi de retrouver cet amphithéâtre Des Vallières que j'ai fréquenté en tant qu'ancien auditeur de l'IHEDN (51ème session, 1998).
Nous fêtons, en effet, cette année, le 150ème anniversaire du Traité de paix, d'amitié et de commerce entre la France et le Japon (Traité signé le 9 octobre 1858).
Parmi les nombreuses activités culturelles et scientifiques qui sont programmée ,celle-ci revêt un caractère particulièrement important si l'on considère qu'un des piliers de la relation France-Japon concerne une approche commune des questions stratégiques dans la région et au-delà.
Les quatre axes que vous avez fort justement choisis de développer au cours de vos travaux témoignent ainsi parfaitement des nouveaux paradigmes stratégiques qui conditionnent désormais les relations internationales entre l'Asie et le reste du monde. Dans ce cadre, la France, présidant le Conseil de l'UE, entend jouer un rôle particulier.
L'Europe des 27 est bel et bien devenue un acteur géopolitique global. Première puissance commerciale, forte de ses 450 millions d'habitants (soit plus que les Etats-Unis et la Russie réunis), elle entend jouer un rôle plus prégnant dans la nécessaire régulation du système financier international.
Dans ce contexte, les atouts de l'UE sont considérables. Près d'un quart des richesses planétaires y est réuni et quatre de ces membres - Grande-Bretagne, France, Italie et Allemagne - appartiennent au G8.
La France entend d'ailleurs, aux côtés du Japon, promouvoir une réflexion indispensable quant à la gouvernance du système de régulation tant économique (du G8 au G14) ainsi qu'au sein des Nations Unies, à travers la venue de nouveaux membres permanents.
Est-il normal, en effet, que près de la moitié de la planète ne soit qu'invitée qu'en fin de réunions du G8, au moment du dessert ?
Est-il également normal que des grandes puissances telles que le Japon, l'Allemagne, l'Inde, le Brésil, Indonésie, ne soient « partie prenante » des Affaires de ce monde que de manière épisodique, comme c'est le cas actuellement au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, alors que les thèmes qui y sont traités (effets de la mondialisation et des changements climatiques) concernent bel et bien la communauté internationale dans son ensemble ?
Les thèmes de travail vous avez choisis pour vos travaux illustrent parfaitement ce « basculement » géopolitique vers l'Asie orientale :
* L'émergence d'un nouvel ordre régional marqué par un glissement progressif du centre géostratégique mondial vers l'Asie ;
* La mise en exergue des atouts des pays d'Asie
1. Croissance exceptionnelle : 35 % du PIB mondial (USA : 20 % et UE : 20 %)
2. Taux de croissance annuel remarquable de 9 % en moyenne sur les 18 dernières années (10 % pour la Chine qui accroît, malgré la crise, ses exportations à destination des Etats-Unis et de l'UE) ;
et en même temps
* Des nombreux défis économiques auxquels doivent faire face les pays de l'Asie de l'Est, compte-tenu de la crise financière actuelle :
1. crise conjointe des sub primes avec une hausse des prix des matières premières (pétrole, notamment).
Il est sans doute trop tôt pour savoir si le cycle de croissance économique exceptionnelle qui vient de prendre fin avec cette crise aura des effets sur une économie hautement dépendante des débouchés de ses exportations.
L'on peut d'ores et déjà constater que la baisse de la consommation sur les marchés européens et américains entraînera très certainement un ralentissement des exportations chinoises et à travers elles, celui de l'ensemble de l'économie de la zone Asie, dont les industries de nombreux états travaillent en sous-traitance.
Il convient néanmoins de rappeler à ce point que la demande asiatique en bien de consommation et en énergie croît, elle, régulièrement ;
2. constitution de fonds souverains dont les ambitions peuvent être perçues, peut-être à tort, comme une menace pour la souveraineté économique
* Le développement des enjeux sécuritaires régionaux et ses implications internationales, parmi lesquels :
1. Le terrorisme d'origine islamiste qui reste une menace à ne pas négliger pour la stabilité, notamment dans la région de l'Asie du Sud-Est (Indonésie, Philippines) ;
2. La présence d'une criminalité puissante et organisée (trafics et prolifération en tout genre, notamment liés à la drogue) ;
3. La piraterie maritime internationale, notamment dans le détroit de Malacca par lequel transite un tiers du commerce mondial ;
Le ministre de la Défense, Hervé Morin, l'a récemment rappelé : il s'agit d'une priorité sur laquelle la France entend agir avec efficacité pour assurer la sécurité du commerce maritime mondial et la sécurité des biens et des personnes en mer.
C'est ce qu'il a rappelé, à Djibouti, aux côtés de sa collègue espagnole, Carme Chacon, le 2 novembre dernier, en annonçant la création d'une force aéronavale européenne de lutte contre la piraterie, véritable fléau, devenue une menace globale.
4. Les conflits frontaliers rémanents ainsi que les foyers de crises hérités de la Guerre Froide (notamment Corée du Nord ou encore la récente tension entre la Thaïlande et le Cambodge) ;
5. La renaissance d'une forme alarmante de nationalisme régional (cas de l'autisme de la Birmanie lié à la récente crise dite de la « Révolution du Safran ») ;
6. Les nouveaux risques émergents (pandémies : SIDA, grippe aviaire, SRAS en 2003) ;
7. Les effets du réchauffement climatique, qui pourrait voir l'apparition de nouvelles formes de tensions géopolitiques (à l'instar de l'existence de « réfugiés climatiques »). De ce point de vue, la décision du Président des Maldives visant à créer un « fonds souverain » visant à acheter des terres en Inde et au Sri Lanka afin de palier à la montée du niveau des océans - comme le prédit le GIEC (Groupe International d'Etudes sur le Climat) est une réalité qui doit nous faire prendre conscience collectivement de ces effets ;
8. Les menaces écologiques (tremblements de terre réguliers, sans oublier le terrible Tsunami de décembre 2004...) et ses effets sur la stabilité des pays touchés ;
9. La compétition pour l'exploitation des gisements énergétiques et halieutiques qui alimentent les tensions régionales et impactent sur la stabilité des cours ;
10. Les tensions liées à la sécurisation des approvisionnements et du transport de ces matières premières (notamment pétrole et gaz).
L'on assiste en parallèle à
* L'émergence des organisations régionales à vocation d'intégration économique et politique.
Je pense notamment à l'ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) - qui fête cette année son 41ème anniversaire.
Cette dernière regroupant :
- la Birmanie ;
- la Thaïlande ;
- le Vietnam ;
- le Cambodge ;
- le Laos ;
- la Malaisie ;
- Singapour ;
- l'Indonésie ;
- les Philippines ;
- le sultanat de Brunei
représente désormais plus de 10% de la population mondiale et pèse plus de 862 milliards de dollars de PIB.
Je salue ici les représentants venus d'Indonésie, de Malaisie, des Philippines, de Singapour mais également de Chine, autre acteur incontournable avec le Japon dans la région.
Il est important que la communauté de la recherche stratégique française et européenne comprenne votre perception des équilibres fragiles et, en même temps, sache que des perspectives importantes de développement existent toujours dans la région au niveau de ce qu'il convient d'appeler les « dragons » asiatiques.
Je pense également à l'ASEM (Asia Europe Meeting - Forum euro-asiatique créé en 1996 - composé de 45 Etats venant d'Asie et d'Europe) qui, représentant plus de la moitié de la population mondiale, du PIB et 60 % du commerce mondial, est devenu le principal canal de coopération multilatérale.
La récente réunion de l'ASEM à Pékin, les 24 et 25 octobre derniers, a été de ce point de vue, un moment déterminant au cours duquel, bien évidemment, la crise financière a été évoquée et des solutions esquissées.
En guise de conclusion, et comme vos travaux d'aujourd'hui le démontrent, je voudrais rappeler combien il importe de comprendre, vu de l'Europe, les profondes évolutions en jeu en Asie.
Ces derniers peuvent se caractériser par :
* Une imbrication économique croissante Japon / pays d'Asie de l'Est (« Dragons »)/ Chine et pays asiatiques à forte main d'oeuvre ;
* Une prise de conscience régionale quant aux risques communs encourus (terrorisme, pandémies, narcotrafics, sécurité et tensions liées aux approvisionnements énergétiques...) ;
* Une absence de leadership (notion d'Asie éclatée et multipolaire) ;
* Néanmoins, il convient de rappeler la volonté de travailler ensemble (ASEAN) et en particulier dans le cadre d une relation ré-équilibrée envers l'Europe (ASEM) à côté des partenariats traditionnels que sont - notamment - le Japon et les Etats-Unis.
Ce symposium international de l'IHEDN offre ainsi aux principaux acteurs et analystes que vous êtes de ces évolutions profondes qui se jouent en Asie, une occasion importante de mieux comprendre ce qui lie nos deux continents, dans un contexte dans lequel les risques et les menaces - devenues plus diffuses - nous concernent tous à part égale.
C'est ce que je compte redire lors d'un prochain déplacement au Japon et en Corée du Sud.
Je vous remercie pour votre attention.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2008