Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur le dialogue interculturel au niveau européen et la diversité culturelle, Paris le 19 novembre 2008.

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Circonstance : Clôture de l'année européenne du dialogue interculturel à Paris le 19 novembre 2008

Texte intégral


Je suis heureuse de clôturer ces trois journées de réflexion intense, en compagnie de Hans Pottering, et d'Odile Quintin.
Bronislaw Geremek aurait dû être présent parmi nous aujourd'hui. Je voudrais lui dédier ce colloque.
Dans l'un de ses derniers articles publiés en français, en septembre 2007, dans la revue Esprit, il écrivait ceci : « Les défis devant lesquels se trouve l'Europe au seuil du XXIe siècle exigent un changement profond du discours européen. Il faut abandonner le langage des comptables et se décider à reprendre celui de la communication quotidienne, c'est-à-dire savoir ce qui est bon ou mauvais, beau ou laid, juste ou faux. Dans le tournant historique que vit aujourd'hui l'Union européenne, il faut non seulement chercher à définir d'une nouvelle façon les institutions communautaires, mais aussi créer le sentiment d'appartenance à une communauté ».
Une communauté, ajouterais-je, qui est fondamentalement plurielle, diverse, d'un pays à l'autre, mais aussi au sein même de chacun des Etats membres. Et le sentiment d'appartenance à un destin commun ne se construira pas contre cette diversité, mais bien grâce à elle. C'est ce que l'Europe a toujours fait.
La monoculture européenne est une chimère, nous le savons bien. Nos sociétés se sont construites, enrichies, pendant des centaines d'années, à travers des migrations à l'intérieur du continent, migrations souvent forcées, dues à la nécessité économique ou à la persécution religieuse. Notre architecture, notre littérature, notre patrimoine musical, tous nos arts portent les traces de ces rencontres. Et l'Europe, depuis les Lumières - mouvement éminemment européen -, s'est bâtie autour de la liberté de penser, de croire, autour des principes de tolérance et d'ouverture à l'autre.
A l'heure où notre continent connaît un nouveau phénomène important de migrations, qui interroge ses représentations sociales et culturelles, il doit continuer à porter ces valeurs et ces convictions. Sinon, l'Europe se renie elle-même.
Tel est le défi au coeur de l'Année européenne du dialogue interculturel et du colloque qui vous a réunis : comment réaliser la devise européenne « in varietate concordia » au sein de l'Europe, bien sûr, mais aussi au sein de chaque pays de l'Union ?
Le dialogue interculturel est donc un sujet particulièrement crucial pour l'Europe d'aujourd'hui et de demain et je me félicite que le Conseil et le Parlement européen aient choisi d'en faire le thème majeur de cette année 2008.
Ce colloque a permis de prendre la mesure du travail accompli depuis près de onze mois dans les 27 Etats membres de l'Union européenne, qui ont chacun développé de nombreux projets. Il a permis de présenter, de confronter et d'illustrer les stratégies mises en oeuvre dans chaque pays.
Et je crois que ce qui ressort le plus fortement de ce premier bilan, c'est la formidable mobilisation à la fois des élus, des associations et de la société civile dans son ensemble. Ce qui montre bien qu'il y a une vraie envie, je dirais même un vrai besoin d'un tel dialogue aujourd'hui, ressenti à tous les niveaux de nos sociétés.
Je veux d'ailleurs saluer les réseaux d'élus territoriaux européens - le réseau Eurocités représenté par la Ville de Lyon, le comité culture de cités unies représenté par un élu de la ville de Barcelone - et les représentants des collectivités présents parmi nous : la ville de Liverpool, la ville de Varna, la commune de Clichy. Une table ronde a dressé le bilan de la mise en oeuvre au niveau local de l'année du dialogue interculturel.
L'appel à propositions lancé par la Commission européenne a suscité près de 300 initiatives. Des milliers d'évènements ont été organisés sous le label de l'Année, dans les Etats membres de l'UE ainsi que dans de nombreux pays tiers.
Vous avez eu le loisir de découvrir certains de ces projets qui sont présentés, ici même, au Centre Pompidou.
En France, le ministère de la Culture et de la Communication, en lien avec l'ensemble des ministères et organismes concernés, s'est résolument engagé dans cette dynamique européenne et je voudrais remercier tout particulièrement les deux organismes associés, la Cité nationale de l'Histoire de l'Immigration ainsi que l'Etablissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette.
Ces deux établissements nous ont proposé une programmation riche et variée toute au long de l'année 2008. Et je tiens à souligner que cette année n'est pas terminée ! La cité nationale de l'histoire de l'immigration inaugurera ainsi le 15 décembre prochain une exposition coproduite avec le Deutsches Historisches Museum de Berlin. Intitulée « A chacun ses étrangers ? France-Allemange de 1871 à aujourd'hui », qui décryptera les représentations de l'étranger véhiculées depuis 1871 en France et en Allemagne.
A la Villette, le dialogue interculturel se poursuivra en 2009 avec un saison dédiée aux mondes créoles et une réflexion sur les constructions identitaires à travers les expressions artistiques, photographiques, documentaires et le spectacle vivant.
En France, plus de 500 projets ont été labellisés, sur tout le territoire et dans toutes les disciplines :
- A Nevers, l'artiste Ron Haselden, en résidence au Parc Saint-Léger/ centre d'art contemporain, a invité les habitants, toutes générations confondues, à réaliser une oeuvre collective, et c'est tout un quartier qui s'est rassembler pour souhaiter Tous nos voeux des bords de Loire.
- A Toulouse, l'association Taktikollectif a proposé une tournée internationale de son festival « Origines contrôlées » qui a revisité les chansons des travailleurs algériens immigrés. Des projections, des débats et des expositions ont été organisés autour de ces concerts.
- A Lyon, le Défilé de la Biennale de la Danse s'est mis aux couleurs de l'Europe en invitant des artistes et des participants de tous les pays.
- En Martinique, l'Agence d'urbanisme et d'aménagement de organise le 28 novembre prochain un séminaire autour de la thématique « Densité et formes urbaines », en impliquant les populations de différents quartiers.
Je voudrais aussi citer les échanges de musiciens qui ont eu lieu entre l'Orchestre de Picardie et les autres Orchestres du réseau « Orchestra Network for Europe » ; les Semaines européennes de la philosophie organisées par l'association Philolille ; les Rencontres européennes de jeunes et de l'image organisées à Paris par l'Association Kyrnéa International / Passeurs d'images...
Je ne peux malheureusement pas parler de toutes les initiatives, mais je voudrais enfin adresser un coup de chapeau particulier à l'un des ambassadeurs de l'Année du dialogue interculturel, le rappeur français Abd-Al-Malik. Il a apporté son talent au projet Diversidad, qui a rassemblé des artistes des cultures urbaines de toute l'Europe. Ils ont enregistré un titre de hip hop et organisé un festival de trois jours à Vienne en juin. C'est une initiative formidable, propre à réunir les nouvelles générations d'Européens, à créer un nouvel élan, une nouvelle curiosité pour les cultures et les artistes de notre continent.
Je suis convaincue que c'est à travers de tels projets, très concrets et fédérateurs, que nous ferons véritablement vivre l'Europe.
Ils nécessitent, nous en sommes conscients, une meilleure circulation de nos artistes au sein des frontières de l'Union. Cet enjeu fera l'objet d'un colloque lundi prochain, qui réunira des responsables d'institutions culturelles européennes, des parlementaires européens, ainsi que des membres de la Commission et bien sûr des artistes.
C'est un axe important de travail que la France a souhaité mettre en avant au cours de sa présidence du conseil de l'Union européenne. Le dialogue entre les cultures passe en premier lieu par l'échange et la confrontation, dans le bon sens du terme, de ce qui fait le coeur de notre identité, c'est-à-dire notre culture et nos arts.
Pour ma part et à l'issue de vos débats, je retiens quatre grandes orientations :
1. Intégrer systématiquement la notion de dialogue interculturel dans une politique globale respectueuse du pluralisme et de la diversité culturelle.
2. Promouvoir à tous les niveaux des systèmes éducatifs, une conception dynamique et ouverte des notions de différence et d'identité culturelle.
3. Soutenir une politique d'échanges artistiques et culturels à l'intérieur de l'Europe, entre l'Europe et le reste du monde, fondée sur le principe de réciprocité ou accompagnée d'une augmentation de l'effort de coopération culturelle.
4. Développer une politique ambitieuse de promotion du multilinguisme et de soutien à la traduction
Voilà, je crois, ce qui pourrait constituer les grands axes de nos actions au niveau du continent, que ce soit sur le plan national ou sur le plan communautaire.
Chers amis, je vous remercie de votre participation et je remercie également Monsieur Alain SEBAN, Président du centre Georges Pompidou, qui a accepté d'accueillir ce colloque situé dans la grande tradition d'ouverture culturelle du Centre. De la même façon, j'adresse une nouvelle fois mes félicitations à tous les acteurs qui ont oeuvré au succès de cette année européenne. Et je vous souhaite une très bonne fin de séjour à Paris.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 25 novembre 2008