Texte intégral
Q - Charles Josselin, vous êtes ministre délégué à la Coopération et vous avez été chargé de coordonner laide humanitaire aux réfugiés du Kosovo, vous êtes dailleurs allé en Albanie dès le week-end dernier et hier vous avez participé à un Conseil des ministres à Luxembourg doù il nest apparemment pas sorti beaucoup de décisions concrètes. Est-ce quil y en a en réalité ?
R - Je crois quand même quil faut rappeler que cest la première fois depuis le début des frappes que les Quinze ont exprimé de manière aussi claire et aussi solidaire que lengagement de lOTAN au Kosovo était justifiée et juste en quelque sorte.
Q - Cest un peu tard.
R - Non, parce quil ny a pas eu depuis de ce conseil, dit « Affaires générales » qui réunit les ministres des Affaires étrangères. Je crois que cétait un élément positif. La réunion de Luxembourg était également consacrée à laudition des représentants des pays des Balkans :
lAlbanie était présente mais aussi la Macédoine, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Roumanie, bref tous ces pays que lon voit rarement ensemble et qui ont apprécié la proposition allemande dun pacte de stabilité qui concernerait lensemble de ces pays et qui, en resserrant les liens entre eux, pourrait apporter un peu de stabilité dans une région qui en a évidemment beaucoup besoin et lEurope aussi.
Q - Oui, cest encore un peu la gamberge puisque pour linstant...
R - On a parlé aussi, - parce que vous souleviez la question du résultat un peu maigre de cette rencontre des ministres -, de la question des réfugiés et une fois de plus priorité a été reconnue à laccueil sur place de ceux-ci et, par la voie de conséquence à laide quil fallait apporter aux pays daccueil, même sil est vrai aussi que laccueil par nous même, des réfugiés, a été évoqué comme étant une solution, mais jallais dire, de complément.
Q - Finalement, cest la France qui a convaincu ses partenaires quil ne fallait accueillir que les réfugiés volontaires. Alors en ce qui nous concerne, est-ce quil y a beaucoup de demandes pour la France, est-ce quon est prêt à les accueillir, où, comment ?
R - Je crois que les demandes commencent seulement à se manifester, hormis quelques dizaines de réfugiés qui se sont déjà présentés aux frontières et pour lesquels on a utilisé la législation en vigueur, en leur donnant une autorisation de séjour provisoire en attendant peut-être de redéfinir mieux leur statut. La question de lintégration de ces réfugiés est dores et déjà posée mais dores et déjà les directions daction sanitaires et sociales, par exemple, qui sont sur le terrain, en charge de ces questions sociales, ont été sensibilisées et seront prêtes dès lors que ces volontaires se manifesteraient, désignés dailleurs par nos postes diplomatiques mais aussi par les ONG qui sont au contact avec les réfugiés. Nous sommes en mesure des les accueillir surtout sils ont des attaches familiales, nous lavons dit, avec la France.
Q - Est-ce que lon peut dire maintenant, aujourdhui, que les choses sont à peu près organisées sur place ou est-ce quil y a toujours de laide humanitaire, beaucoup daide humanitaire qui reste en rade faut de pouvoir les décharger, faute dorganisation ?
R - Daprès les informations qui nous reviennent de ce grand camp qui a été installé auprès de Blace - et qui a recueilli ces fameux réfugiés disparus en une nuit, dont on a beaucoup parlé -, les besoins continuent dêtre grands, notamment en médicaments. Sagissant de la nourriture, je crois que les mécanismes, de distribution, commencent à se mettre en marche. Je ne parle pas de lAlbanie, où il y a le plus grand nombre de réfugiés, et où les camps continuent de se monter, certains dentre eux, directement sous responsabilité de la France, dautres gérés par le Haut Commissariat aux réfugiés, certains faisant dailleurs objet dun partenariat entre la France et lItalie par exemple ou entre la France et lAllemagne. Le pont aérien que nous avons mis en place continue dassurer, je lai dit les jours derniers, 50 tonnes de matériel divers, de nourriture, de médicaments, de couvertures, de médicaments, de vêtements, et ceci en direction de Skopje et de Tirana. A partir de Tirana ce sont des hélicoptères qui les redistribuent vers la frontière à Kükes. A partir de Skopje, comme vous le savez proche de la frontière, ce sont les camions, en particulier les camions des militaires français qui assurent ce transport.
Q - La manière dont vous expliquez les choses, on a limpression que la France est moteur dans laide humanitaire.
R - Non, mais il est vrai que peut-être que la France a une expérience de plus par rapport aux autres. Les « french doctors », et là Bernard Kouchner y aura joué un certain rôle comme « french doctor » puis plus tard comme secrétaire dEtat à lAction humanitaire, ont une expérience que nont pas forcément les autres et il est vrai que nous avons une capacité dagir en mobilisant la Protection civile, le SAMU international, que tous les pays nont pas.
Q - Alors, vous parlez du camp de Blace, est-ce que vous partagez linquiétude manifestée par le Haut commissariat aux réfugiés et par le ministre des Affaires étrangères allemand, concernant le sort dune dizaine de milliers de réfugiés, dont on est sans nouvelles depuis deux jours. Ce qui parait extraordinaire cest quavec les moyens sophistiqués dont on dispose pour surveiller ces mouvements, on nait pas suivi ce qui se passait ?
R - Je crois que les choses sont un peu compliquées. Il faut savoir quà Blace, il y avait deux concentrations. Une concentration, celle arrivée par le train de Pristina, mis de force dans ce train, en principe en direction de Skopje, arrêtés à la frontière, et qui avaient constitué cette énorme foule de 20 à 30 000 personnes - je lai vu moi même vendredi dernier à la frontière. Ils étaient déjà sortis en quelques sortes, du Kosovo, pas encore entrés en Macédoine. Ceux là, ceux quon appelle à proprement ceux du camp de Blace, ont en effet dans la nuit de mardi à mercredi, été redistribués en quelque sorte, probablement avec un peu de force. Le représentant de la Macédoine, hier, nous a dit quils ont été répartis certains, dans les familles, - on en doute peut-être un petit peu -, certains dans les camps de réfugiés, certains conduits en Albanie, - ce que lAlbanie avait dailleurs un peu tendance à lui reprocher. Puis il y avait une autre concentration qui était un cortège dont certains prétendaient quil faisait jusque 20 km, de gens qui étaient encore au Kosovo, qui attendaient pour rentrer et qui se heurtaient à une frontière macédonienne trop peu ouverte. Ceux là, on ne sait pas ce quils sont devenus. Sont-ils ... comment sont-ils repartis, est-ce par lassitude, est-ce parce quils ont été un peu manipulés par linformation du fameux « cessez-le-feu » offert par M. Milosevic, ont-ils été de force reconduits à Pristina, sur leur sort, en tout cas, nous continuons à nous interroger.
Q - Vous iriez, comme certains, vous interroger sur un abattoir ?
R - Je pense que les brutalités que nous connaissons, ne sont probablement que la partie émergée de liceberg.
Q - Alors, dernière question, ce matin, le Daily Telegraph, qui est un journal britannique, explique que la France na pas accès à certains plans de lOTAN, parce que lon se méfie à Washington et un peu à Londres des connections françaises avec les Serbes.
R - Ecoutez, moi, je découvre cette information, cest peut-être le début dun très joli roman despionnage, en tout cas une oeuvre de fiction, pour moi, pour linstant. Je peux comprendre que certains, accusés de suivisme vis à vis des Américains, reprochent peut-être aux Français dêtre ceux qui demandent en permanence où on va et qui sont peut-être plus exigeants au niveau de linformation que dautres. Voilà en tout cas ma première réaction à cette information qui elle aussi méritera évidemment dêtre vérifiée.
Q - Et, les premiers jours du conflit ont été marqué par des dissensions au sein du gouvernement, on nentend plus les ministres communistes, on nentend plus Jean-Pierre Chevènement : est-ce quils ont regardé les sondages ?
R - Je crois quil y a débat, le débat continue dailleurs, il a eu lieu entre nous. Jobserve, et ce nest pas le moindre, que tous étaient daccord pour condamner Milosevic. Déjà cela. Il y a eu des débats autour des moyens employés. Les sondages, cest vrai, manifestent une adhésion très forte des Français non seulement à limplication de la France dans les frappes aériennes mais aussi à cette perspective non encore à lordre du jour, dune intervention terrestre.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 1999)
R - Je crois quand même quil faut rappeler que cest la première fois depuis le début des frappes que les Quinze ont exprimé de manière aussi claire et aussi solidaire que lengagement de lOTAN au Kosovo était justifiée et juste en quelque sorte.
Q - Cest un peu tard.
R - Non, parce quil ny a pas eu depuis de ce conseil, dit « Affaires générales » qui réunit les ministres des Affaires étrangères. Je crois que cétait un élément positif. La réunion de Luxembourg était également consacrée à laudition des représentants des pays des Balkans :
lAlbanie était présente mais aussi la Macédoine, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Roumanie, bref tous ces pays que lon voit rarement ensemble et qui ont apprécié la proposition allemande dun pacte de stabilité qui concernerait lensemble de ces pays et qui, en resserrant les liens entre eux, pourrait apporter un peu de stabilité dans une région qui en a évidemment beaucoup besoin et lEurope aussi.
Q - Oui, cest encore un peu la gamberge puisque pour linstant...
R - On a parlé aussi, - parce que vous souleviez la question du résultat un peu maigre de cette rencontre des ministres -, de la question des réfugiés et une fois de plus priorité a été reconnue à laccueil sur place de ceux-ci et, par la voie de conséquence à laide quil fallait apporter aux pays daccueil, même sil est vrai aussi que laccueil par nous même, des réfugiés, a été évoqué comme étant une solution, mais jallais dire, de complément.
Q - Finalement, cest la France qui a convaincu ses partenaires quil ne fallait accueillir que les réfugiés volontaires. Alors en ce qui nous concerne, est-ce quil y a beaucoup de demandes pour la France, est-ce quon est prêt à les accueillir, où, comment ?
R - Je crois que les demandes commencent seulement à se manifester, hormis quelques dizaines de réfugiés qui se sont déjà présentés aux frontières et pour lesquels on a utilisé la législation en vigueur, en leur donnant une autorisation de séjour provisoire en attendant peut-être de redéfinir mieux leur statut. La question de lintégration de ces réfugiés est dores et déjà posée mais dores et déjà les directions daction sanitaires et sociales, par exemple, qui sont sur le terrain, en charge de ces questions sociales, ont été sensibilisées et seront prêtes dès lors que ces volontaires se manifesteraient, désignés dailleurs par nos postes diplomatiques mais aussi par les ONG qui sont au contact avec les réfugiés. Nous sommes en mesure des les accueillir surtout sils ont des attaches familiales, nous lavons dit, avec la France.
Q - Est-ce que lon peut dire maintenant, aujourdhui, que les choses sont à peu près organisées sur place ou est-ce quil y a toujours de laide humanitaire, beaucoup daide humanitaire qui reste en rade faut de pouvoir les décharger, faute dorganisation ?
R - Daprès les informations qui nous reviennent de ce grand camp qui a été installé auprès de Blace - et qui a recueilli ces fameux réfugiés disparus en une nuit, dont on a beaucoup parlé -, les besoins continuent dêtre grands, notamment en médicaments. Sagissant de la nourriture, je crois que les mécanismes, de distribution, commencent à se mettre en marche. Je ne parle pas de lAlbanie, où il y a le plus grand nombre de réfugiés, et où les camps continuent de se monter, certains dentre eux, directement sous responsabilité de la France, dautres gérés par le Haut Commissariat aux réfugiés, certains faisant dailleurs objet dun partenariat entre la France et lItalie par exemple ou entre la France et lAllemagne. Le pont aérien que nous avons mis en place continue dassurer, je lai dit les jours derniers, 50 tonnes de matériel divers, de nourriture, de médicaments, de couvertures, de médicaments, de vêtements, et ceci en direction de Skopje et de Tirana. A partir de Tirana ce sont des hélicoptères qui les redistribuent vers la frontière à Kükes. A partir de Skopje, comme vous le savez proche de la frontière, ce sont les camions, en particulier les camions des militaires français qui assurent ce transport.
Q - La manière dont vous expliquez les choses, on a limpression que la France est moteur dans laide humanitaire.
R - Non, mais il est vrai que peut-être que la France a une expérience de plus par rapport aux autres. Les « french doctors », et là Bernard Kouchner y aura joué un certain rôle comme « french doctor » puis plus tard comme secrétaire dEtat à lAction humanitaire, ont une expérience que nont pas forcément les autres et il est vrai que nous avons une capacité dagir en mobilisant la Protection civile, le SAMU international, que tous les pays nont pas.
Q - Alors, vous parlez du camp de Blace, est-ce que vous partagez linquiétude manifestée par le Haut commissariat aux réfugiés et par le ministre des Affaires étrangères allemand, concernant le sort dune dizaine de milliers de réfugiés, dont on est sans nouvelles depuis deux jours. Ce qui parait extraordinaire cest quavec les moyens sophistiqués dont on dispose pour surveiller ces mouvements, on nait pas suivi ce qui se passait ?
R - Je crois que les choses sont un peu compliquées. Il faut savoir quà Blace, il y avait deux concentrations. Une concentration, celle arrivée par le train de Pristina, mis de force dans ce train, en principe en direction de Skopje, arrêtés à la frontière, et qui avaient constitué cette énorme foule de 20 à 30 000 personnes - je lai vu moi même vendredi dernier à la frontière. Ils étaient déjà sortis en quelques sortes, du Kosovo, pas encore entrés en Macédoine. Ceux là, ceux quon appelle à proprement ceux du camp de Blace, ont en effet dans la nuit de mardi à mercredi, été redistribués en quelque sorte, probablement avec un peu de force. Le représentant de la Macédoine, hier, nous a dit quils ont été répartis certains, dans les familles, - on en doute peut-être un petit peu -, certains dans les camps de réfugiés, certains conduits en Albanie, - ce que lAlbanie avait dailleurs un peu tendance à lui reprocher. Puis il y avait une autre concentration qui était un cortège dont certains prétendaient quil faisait jusque 20 km, de gens qui étaient encore au Kosovo, qui attendaient pour rentrer et qui se heurtaient à une frontière macédonienne trop peu ouverte. Ceux là, on ne sait pas ce quils sont devenus. Sont-ils ... comment sont-ils repartis, est-ce par lassitude, est-ce parce quils ont été un peu manipulés par linformation du fameux « cessez-le-feu » offert par M. Milosevic, ont-ils été de force reconduits à Pristina, sur leur sort, en tout cas, nous continuons à nous interroger.
Q - Vous iriez, comme certains, vous interroger sur un abattoir ?
R - Je pense que les brutalités que nous connaissons, ne sont probablement que la partie émergée de liceberg.
Q - Alors, dernière question, ce matin, le Daily Telegraph, qui est un journal britannique, explique que la France na pas accès à certains plans de lOTAN, parce que lon se méfie à Washington et un peu à Londres des connections françaises avec les Serbes.
R - Ecoutez, moi, je découvre cette information, cest peut-être le début dun très joli roman despionnage, en tout cas une oeuvre de fiction, pour moi, pour linstant. Je peux comprendre que certains, accusés de suivisme vis à vis des Américains, reprochent peut-être aux Français dêtre ceux qui demandent en permanence où on va et qui sont peut-être plus exigeants au niveau de linformation que dautres. Voilà en tout cas ma première réaction à cette information qui elle aussi méritera évidemment dêtre vérifiée.
Q - Et, les premiers jours du conflit ont été marqué par des dissensions au sein du gouvernement, on nentend plus les ministres communistes, on nentend plus Jean-Pierre Chevènement : est-ce quils ont regardé les sondages ?
R - Je crois quil y a débat, le débat continue dailleurs, il a eu lieu entre nous. Jobserve, et ce nest pas le moindre, que tous étaient daccord pour condamner Milosevic. Déjà cela. Il y a eu des débats autour des moyens employés. Les sondages, cest vrai, manifestent une adhésion très forte des Français non seulement à limplication de la France dans les frappes aériennes mais aussi à cette perspective non encore à lordre du jour, dune intervention terrestre.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 1999)