Déclaration de M. Hervé Morin, ministre de la défense, en réponse à des questions sur la Défense européenne, à Saint-Malo le 8 septembre 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Université d'été de la Défense, à Saint-Malo les 8 et 9 septembre 2008

Texte intégral

Olivier DARRASON, président de CEIS - Merci Hervé. Le Ministre a accepté, avant de repartir, de se prêter au jeu des questions-réponses qui est le principe de l'Université d'été. Je vous propose de recueillir quelques questions de votre part.
Julio MIRANDA-CALHA, président de la Commission de la Défense du Parlement portugais - Les interventions faites au sujet de la Défense ont été extrêmement intéressantes. Il est très important pour tous les pays que la situation évolue dans ce sens. Je voudrais poser quelques questions sur l'Europe de la Défense.
Je souhaiterais avoir quelques commentaires sur l'évolution des coopérations structurées, qui sont au coeur du Traité de Lisbonne et qui sont un élément essentiel dans l'évolution de l'Europe de la Défense.
Ma question est en relation avec un autre élément de l'évolution de l'Europe de la Défense, le « So called Headline Goals ». Vous avez parlé des groupements de bataille mais quelle est la situation de l'évolution de la construction des forces armées de soixante mille hommes ?
Enfin, à propos de la direction de l'Europe, il est prévu dans le projet de constitution européenne un ministre pour les affaires étrangères et pour la défense. Maintenant, nous avons le traité avec l'idée de nos représentants, qui était la situation actuelle, pour les affaires étrangères mais en même temps pour les affaires de la défense. Ces dispositions sont très importantes pour l'évolution de l'Europe de la Défense. Aussi, il serait souhaitable d'avoir des réunions des Ministres de la Défense qui soient formelles et des réunions qui soient composées par les parlements nationaux. Par exemple, les réunions des présidents des Commissions de Défense, presque informelles, devraient être plus formelles. Ces secteurs et ces situations sont importants pour l'évolution de l'Europe de la Défense mais avec une relation, et je dois renforcer cela parce que mon pays est fondateur de l'OTAN, qui doit être faite avec la coopération et la compréhension entre l'Alliance Atlantique et naturellement l'Europe. Merci.
Hervé MORIN, ministre de la Défense - Monsieur le Député, je n'ai pas parlé des coopérations renforcées parce que le Traité de Lisbonne est pour l'instant dans la situation que vous connaissez. Bien entendu, dans le cadre de la Présidence française de l'Union Européenne, nous avions l'intention d'en faire l'une des avancées. Cependant, compte tenu du vote irlandais, ce point est en stand-by mais il fait partie des points majeurs parce que, comme vous, je pense qu'il y aura d'abord et avant tout une avant-garde qui sera en mesure de pouvoir faire évoluer l'Europe de la Défense et d'aller vers des projets les plus intégrés possibles.
Quant à l'ambition de soixante mille hommes, en effet, c'est une ambition européenne. C'est aussi une ambition française puisqu'elle a été réaffirmée dans le cadre du Livre blanc mais elle ne sera effective que le jour où les Européens auront décidé de se prendre en main et malheureusement, je constate aujourd'hui qu'en dehors du Royaume-Uni et de la France, l'effort de défense des pays européens n'est pas forcément à la hauteur de l'ambition que nous nous sommes fixée.
Enfin, concernant un Conseil des Ministres de la Défense, vous avez parfaitement raison sur le fait que, pour l'instant, nous avons soit des réunions informelles soit des réunions avec les ministres des affaires étrangères dont il faut changer les modalités. En effet, lorsque nous avons 54 ministres autour de la table et que nous avons deux heures pour faire la réunion, vous comprenez bien que la réunion a été préparée par les diplomates et qu'in fine elle perd de son sens. En conséquence, il y a un grand consensus pour qu'il y ait des conseils des ministres de la défense de l'Union Européenne. J'en profite pour vous indiquer que j'ai dit à mes homologues ministres de la défense que nous allions changer les méthodes de travail, parce que les réunions où 22 ou 23 sur 27 lisent le texte qui a été préparé par les cabinets et les diplomates, se transforment en 22 ou 23 monologues et nous avons parfois le sentiment que nous pourrions travailler différemment. Je vais donc préconiser à mes collègues d'une part de travailler à partir de propositions concrètes que nous leur adresserons préalablement afin de pouvoir en débattre, d'autre part de travailler sans papier, à l'exception de ceux qui s'expriment en anglais qui n'est pas leur langue maternelle. En effet, nous ne voulons plus cette succession de lecture de papiers préparés afin d'avoir un système plus réactif et aboutir à des résultats. Mais la mise en place d'un Conseil des Ministres de la Défense me paraît importante.
Un intervenant - Il faudrait peut-être proposer une Université d'été des ministres de la Communauté Européenne. A 27, vous pourriez vous réunir pendant deux jours pour parler librement.
Hervé MORIN - En tout cas, ce sera une Europe sans papier, a capella.
Pierre LELLOUCHE, député de Paris, membre de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées - Merci Monsieur le Ministre. Nous avons tous été impressionnés par la qualité de vos propos, l'enthousiasme et la force de conviction qui est la vôtre. Je pense ici que personne parmi nos collègues européens ne peut mettre en cause la volonté de la France, qui est constante depuis quarante ans, de faire avancer l'Europe de la Défense. Cette Présidence française était très attendue, comme un moment de changement. J'ai pris bonne note de toutes les idées et des propositions très concrètes que vous avez avancées, je les approuve et je les respecte.
Simplement, à la fin de l'année, au mois de décembre, à la conclusion de la Présidence française, nous aurons vu se passer six mois de géopolitique et force est de constater que la situation internationale est sérieusement tendue. Nous avons une guerre dans le Caucase et une Russie qui pose vraiment problème aux Européens, parce que nous allons, ou pas, accepter de vivre avec la nouvelle doctrine Brejnev de la souveraineté limitée pour tout le pourtour de la Russie, y compris les Etats qui sont toujours des membres de l'Union, je pense aux Etats Baltes ou à la Pologne sans parler de l'Ukraine. Quid de l'Afghanistan qui est une affaire très difficile ? Quid du Proche-Orient et de la menace iranienne ? Les sujets ne manquent pas où la sécurité des Européens est vraiment mise en cause. A la fin de l'année, la question sera de savoir si nous aurons vraiment marqué une évolution. Je pense que sur un certain nombre de points, nous sommes très en dessous de ce que les peuples européens ont besoin d'entendre, même si les autres ne nous suivent pas. Par exemple, sur l'argent qui est le nerf de la guerre, nous avons des critères de convergence sur la monnaie. Pourquoi n'y aurait-il pas des critères de convergence sur les budgets de défense ? Même si les autres les refusent mais ouvrons ce débat. Concernant l'article 296 du Traité : est-ce qu'il est patent, cinquante ans après le Traité de Rome, de dire que la défense fait partie du Marché Commun au lieu de servir aux intérêts américains ? Que faisons-nous pour protéger les Européens contre une attaque terroriste ? Le Ministre l'a évoqué mais ce point devrait être une priorité majeure. Quels grands programmes fédérateurs en matière technologique devons-nous annoncer aux Européens ? Enfin, comme l'a dit mon collègue du Portugal, ancien Ministre de la Défense et actuel Président de l'Assemblée de l'OTAN, nous célébrons les dix ans de Saint-Malo mais les « Headline Goals », Helsinki, c'est presque dix ans aussi. Qu'avons-nous fait depuis dix ans pour fabriquer cette armée européenne ? Sur quatre cent cinquante millions d'Européens, comment n'avons-nous pas été capables de faire une armée de soixante mille hommes ? C'est vrai que l'Europe avance, mais la France doit faire des propositions, même si les autres ne les suivent pas, mais au moins le faire savoir aux opinions publiques. Nous sommes très en deçà de ce que les peuples européens sont en droit d'attendre à la fin d'une année où la guerre malheureusement est de retour sur le continent européen.
Hervé MORIN - Nous avons la même ambition européenne mais l'ambition telle que tu l'as décrite doit être une ambition que nous puissions partager avec les autres. Vous ne pouvez imaginer le nombre de déplacements que j'ai effectué durant un an auprès de mes principaux collègues, allemands, britanniques. Il n'y a pas de mois où nous ne nous voyons pas, pas de mois où nous essayons de faire partager des idées. Je crois que nous avons déjà avancé sur l'ensemble de ces sujets, rétabli l'AED, réorganisé les Euro Forces, créé l'embryon d'un centre de commandement et de planification même si au début il sera ciblé sur des opérations plutôt civiles. Mais si nous avons lancé un certain nombre de programmes de recherche, si nous avons une flotte commune d'A-400M que nous pourrions partager en fonction des besoins, toutes ces mesures seraient déjà très importantes compte tenu en effet parfois de l'appétence nouvelle d'un certain nombre de pays européens pour la construction européenne mais aussi de la faiblesse de l'ambition de défense des Européens. Nous avons cette contradiction entre le discours et les réalités budgétaires de certains pays, et aussi des réticences de certains pays comme le Royaume-Uni qui est un pays majeur sur l'évolution de l'Europe de la Défense dans notre contexte politique.
Olivier DARRASON - Précisément James Arbuthnot, Président de la Commission de Défense Britannique, qui est un grand fidèle des Universités d'été, qui est conservateur tout en étant dans une majorité travailliste, va sans doute évoquer ces deux aspects.
James ARBUTHNOT, président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes britannique - Monsieur le Ministre, vos idées sont très intéressantes mais Pierre Lellouche a raison. Nous, Britanniques, ne comprenons pas pour quelles raisons les Européens veulent toujours plus de responsabilités pour la défense tout en réduisant les budgets, ce qui est incompatible.
Olivier DARRASON - Une question de Karl Von Wogau qui est le Président de la Sous-Commission Sécurité et Défense au Parlement Européen.
Karl Von WOGAU, président de la Sous-Commission Sécurité et Défense au Parlement Européen - Merci Monsieur le Ministre pour les propositions extrêmement intéressantes que vous avez faites. Personnellement, je rentre de Géorgie où j'ai passé deux journées pour essayer de savoir ce qui s'est réellement passé sur le terrain. Il est difficile de savoir ce qui s'est passé exactement du 7 au 10 août et ce qui se passe maintenant. Je n'ai pas pu pénétrer dans la partie occupée par les Russes, en conséquence je n'ai pu faire aucun constat. J'ai essayé d'avoir des informations du centre européen de réception satellitaire de Torrejon parce que nous avons cette observation par satellite. A Torrejon, ils travaillent sur le problème mais avec des matériels commerciaux. Ils m'ont indiqué qu'ils avaient Helios et deux autres systèmes, mais j'ai cru comprendre qu'ils ne sont pas à leur disposition. Maintenant, nous sommes en train d'établir une mission d'observateur. J'espère qu'il y aura cette mission d'observateur mais quels sont les moyens d'observation qu'ils auront ? Observation par satellite ? Par des drones ?
Concernant la question très difficile de l'anti-missile, nos amis américains dépensent des milliards de dollars chaque année dans ce projet pour protéger l'Amérique. Est-ce qu'il protège l'Europe ? L'OTAN est en train d'y travailler mais je crois que, dans ce contexte, les Européens doivent définir ensemble leurs intérêts dans ce domaine. Dans quelle enceinte aurons-nous le débat nécessaire des Européens à ce sujet ?
Hervé MORIN - Je vous remercie d'avoir parlé de l'observation que j'ai oublié d'évoquer dans mon exposé. Ce sujet fera partie des grands projets qui normalement seront lancés pendant la Présidence française notamment le programme MUSIS. Les six pays impliqués dans ce programme ont la volonté de le voir démarrer au plus vite. Pour la partie sol du centre de traitement, j'ai obtenu que le segment sol soit géré par l'Agence Européenne de Défense (AED). Ce point fera aussi partie des dossiers dont l'AED pourra se charger. Parmi les questions, se pose celle du partage de l'information qui aujourd'hui est extrêmement encadrée et formatée. Nous y travaillons mais parmi les avancées capacitaires de l'Union Européenne, j'espère que la Présidence française sera le moment du lancement du programme MUSIS.
Quant à l'ABM, les anti-missiles, en guise de réponse, l'OTAN a commencé des réflexions à ce sujet mais je vous livre trois questions que nous nous posons dans le cadre des discussions que nous avons notamment dans le cadre de l'alliance.
Le jour où vous lancez ce programme, votre collègue britannique évoquait la problématique budgétaire, quelle est la clé de financement et qui paie dans les budgets contraints ou très limités des pays européens ? Parce que si c'est pour lancer ce programme au détriment du reste, il ne restera plus rien. Qui décide ? Qui a la clé ? Contre quelle menace ? Quelle est l'analyse de la menace qui correspond au fait d'être obligé de lancer un programme anti-missile ?
Olivier DARRASON - Une dernière question de Jean-Pierre Fourcade. J'ignore si c'est l'ancien Ministre de l'Economie et des Finances ou le Sénateur membre de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées qui pose la question.
Jean-Pierre FOURCADE, sénateur des Hauts-de-Seine, membre de la Commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces armées - J'ai été très intéressé par les propos de notre confrère britannique. Vous avez, dans votre excellent exposé, fait le parallèle entre la modernisation ou l'amélioration de l'alliance et le développement de la politique européenne de défense. Mais justement, le problème budgétaire de l'ensemble des pays qui aujourd'hui sur les 27 consacrent peu d'argent à la défense, ne risque-t-il pas d'être une opposition totale à la modernisation de l'alliance ? Je souhaiterais avoir quelques compléments d'information que vous envisagez de mettre en oeuvre pour que le parallélisme soit complet entre d'une part, la modernisation de l'alliance, et par conséquent, la réorganisation de l'OTAN, et d'autre part, le développement de l'armée européenne. Comme mon collègue britannique, je crois que la plupart de nos collègues européens consacrant peu d'argent à l'effort de défense seront réticents pour nous suivre sur les problèmes de modernisation de l'alliance.
Hervé MORIN - Très clairement, le Président de la République a fixé la participation de la France à la rénovation de l'alliance atlantique à des progrès réels en matière d'Europe de la Défense. Nous avons en quelque sorte déjà un rendez-vous, celui de la fin de l'année, le sommet du mois de décembre où nous pourrons constater l'ambition européenne. Pour répondre à notre collègue britannique, régler la question de la construction de l'Europe de la Défense à une seule problématique budgétaire est une approche un peu limitée parce que, même s'il y a de l'argent, il faut qu'il y ait après une volonté politique. Pour un certain nombre de pays, il y a une volonté politique mais peu d'argent et pour d'autres, il y a plus d'argent mais moins de volonté politique, ce n'est donc pas forcément le plus facile. Clairement, la participation de la France à la rénovation de l'alliance Atlantique est une démarche conjointe avec celle de la construction de l'Europe de la Défense mais je constate que les budgets de la défense sont un domaine strictement national. Il appartient à chaque parlementaire des différentes commissions parlementaires de chaque pays qui sont membres, de nous aider dans un contexte géopolitique et géostratégique qui est troublé et qui doit nous amener à avoir une vraie perception des risques qui existent. Chacun doit prendre ses responsabilités et amener chaque pays à faire progresser l'effort de défense de leur pays et donc de l'Union Européenne.
Olivier DARRASON - Merci Hervé d'être revenu à l'Université d'été de la Défense. Nous te donnons rendez-vous l'an prochain.
Source http://www.universite-defense2008.org, le 28 novembre 2008