Texte intégral
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Q - Il y a énormément de sujets que l'on voudrait aborder avec vous, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères. Vous revenez, je vous le disais, d'une tournée en Afrique mais je voudrais commencer par l'actualité en Afghanistan. Ce week-end, un soldat français a été tué, un autre grièvement blessé au sud de Kaboul. 25 soldats français ont été tués en Afghanistan depuis octobre 2001. Se pose, alors, la question de savoir si dans de telles conditions, il faut renvoyer des troupes supplémentaires européennes et françaises, en particulier, en Afghanistan ?
R - La question ne se pose pas aujourd'hui, nous verrons bien. Il faut - et surtout pour la mémoire de cet homme, de ce soldat français qui a été tué hier - continuer à assurer nos amis afghans de notre détermination. Certes, cette détermination ne durera pas éternellement, un jour ce sera l'armée afghane recomposée qui pourra assurer elle-même ses responsabilités mais, pour le moment, il faut les assurer de notre participation soutenue. Il n'y a pas d'avenir dans cette guerre. Il y a l'avenir des Afghans que nous aidons car nous ne nous battons pas contre les Afghans mais avec eux, contre le terrorisme. Si un jour, ils peuvent prendre en charge à tous les niveaux aussi bien militaire - la question de la sécurité qui est évidemment très importante - que les petits projets qu'on leur donne - que ce soit dans le domaine agricole, même si ce n'est pas encore suffisant, ou éducatif qui fonctionne un peu mieux -, alors on pourra partir.
Q - On comprend bien que la solution ne sera pas que militaire, c'est évident.
R - Elle ne peut pas être que militaire. Cette solution militaire en Afghanistan, cela n'a jamais fonctionné, et nous le savons. Je connais bien ce pays, j'y ai travaillé 8 ans, il faut qu'à un moment donné la confiance regagne les populations, que l'homme ou la femme qui est assis à côté de vous comprenne qu'il (ou elle) peut avoir confiance en vous et de là tout change. Il faut arriver à ce stade. A cet égard, je vous signale que la France a déjà transféré aux autorités locales la responsabilité de la police de Kaboul. Cela va se faire, mais ce sera long. Pour le moment, il n'y a pas de demande d'envoi de troupes supplémentaires, je sais seulement que le président Obama l'a demandé au cours de sa campagne.
Q - Certains commentateurs disent que ce qui se passe en Afghanistan, c'est un peu un scénario presque à la vietnamienne, qu'il y a un vrai risque de s'embourber là-bas. Que dites-vous à cela, est-ce que vous dites : "la solution militaire, oui mais seulement s'il y a aussi une solution politique et diplomatique qui vient ensuite".
R - Oui, je dirais même : la solution militaire, non, mais une solution qui nécessite encore une fois la sécurisation d'un certain nombre d'endroits très précis - sans doute pas de l'ensemble de l'Afghanistan, cela est encore illusoire - pour que les Afghans puissent développer leurs capacités militaires et civiles. Le meilleur exemple c'est la santé, il existe un hôpital français à Kaboul. C'est un lieu formidable, tout le monde le connaît, les Taliban le fréquentent, c'est cela qu'il faut faire. Vous demandez à n'importe quel chauffeur de taxi, dans une ville difficile en taxi - je vous assure, il faut mieux se faire protéger - et bien, il vous conduit à l'hôpital français. Cet hôpital est administré par des Afghans, où travaillent des médecins afghans, des infirmières afghanes et où sont soignés des malades afghans dont la moitié sont des Taliban. Voilà, ce qu'il faut faire.
Q - Monsieur Kouchner, on a l'impression après sept ans de cette guerre qui a été déclenchée à l'automne 2001, que la situation s'aggrave, que ce n'est pas, du tout, de mieux en mieux, au contraire que Al Qaida, que les Taliban sont en train de se réarmer, sont en train de reprendre le pouvoir, enfin sont en train de reprendre du pouvoir. Alors, où est l'erreur malgré 70.000 hommes qui sont déployés, malgré 15 milliards d'aide au développement ? Il y a quelque chose qui n'a pas été fait. Pourquoi cet échec ?
R - Ce n'est pas un échec, pardonnez-moi.
Q - Vous n'avez pas l'impression que c'est un échec ?
R - Vous avez dit un certain nombre de choses négatives, c'est vrai cela existe mais il y a des choses très positives.
Q - Oui, bien sûr, mais en même temps...
R - Mais vous ne les mettez pas en perspective. Par exemple, il y avait 6 millions d'enfants qui n'allaient pas à l'école et qui y vont aujourd'hui dont 2 millions de petites filles. Jamais les petites filles n'étaient allées à l'école. Alors, peut-être me direz-vous qu'après tout c'est une autre culture, laissons-les.
Q - Non, c'est très important, mais des écoles ferment de plus en plus du côté de Kandahar, du côté du Pakistan...
R - Non, des écoles ouvrent encore. Je ne dis pas que c'est bien et que vous avez tort dans les exemples que vous donnez, mais il y a plein de choses qui fonctionnent. Pour la première fois, il y a un gouvernement élu avec des élections contrôlées, avec un tiers de femmes membres du Parlement. Ces dernières ont pu voter pour la première fois en 2004. Encore une fois, ce n'est pas suffisant, personne n'a jamais dompté l'Afghanistan, ni les Britanniques, ni Alexandre, ni les Russes qui nous donnent des conseils quand bien même ils étaient 130.000 hommes et se sont fait chasser.
Q - Ils ne peuvent pas vraiment donner de conseils en effet.
R - Ils savent pourquoi cela s'est passé. La différence avec les Russes, c'est que ce n'est pas un coup d'Etat communiste. Il y a une grande partie de la population, dans les villes et dans les campagnes qui nous soutient mais elles sont terrorisées par les terroristes. Il faut faire cesser ce cercle vicieux dans les endroits où nous pourrons le faire, cela donnera un élan pour les autres mais je ne dis pas que c'est gagné.
Q - Continuez-vous à faire confiance au président Karzaï, en effet, il n'a cessé de tendre la main finalement à ses ennemis, tout d'abord les seigneurs de la guerre qui sont devenus les seigneurs de l'opium, il n'a cessé de tendre la main maintenant aux Taliban en disant même qu'il allait protéger le Mollah Omar ?
R - Il ne va pas le protéger, il va commencer à parler pour faire la paix, c'est autre chose. Si vous voulez faire la paix, il faut parler avec ses ennemis. Ce n'est pas à nous de le faire mais le président Karzaï a dit : "je recevrai le Mollah Omar" - qui était très proche d'Al Qaïda -, c'est un signe d'ouverture...
Q - "et j'assurerai sa sécurité"
R - Bien sûr, mais vous assurez la sécurité des personnes qui parlent pour la paix.
Q - Et l'Arabie Saoudite a dit qu'elle était prête à l'accueillir le cas échéant.
R - Je vais vous dire autre chose, la France qui n'est pas passive, va organiser à Paris, dans peu de temps, une réunion des voisins de l'Afghanistan. Tout le monde est d'accord et nous allons commencer ainsi. Ce n'est pas à nous de dire quel est le bon Taliban par rapport au mauvais. Le mauvais, c'est celui avec lequel on ne peut pas parler parce que, lui, il rêve et il perpètre des attentats au nom d'un djihad mondial. Nous sommes les ennemis de ces personnes. Et puis, il y a les familles qui sont divisées, il y a des partis politiques qui sont du côté des Taliban - ces partis politiques étaient dans les gouvernements en exil qui luttaient contre les Soviétiques. On assiste à une nationalisation de l'attentat, si j'ose dire, c'est un mot horrible. Mais, je n'oublie pas que notre soldat est mort aujourd'hui, que sa famille est dans la peine et que ce sont de gros sacrifices que nous faisons. Mais, si on laisse tomber nos engagements, je crois que l'on se tromperait lourdement.
Q - Mais quelle est, dès lors, la stratégie à moyen et long terme pour les Occidentaux parce que là on n'a pas parlé des zones tribales qui sont entre l'Afghanistan et le Pakistan et qui sont un vrai problème dans la résolution de ce conflit ?
R - Nous l'avons dit à la Conférence de Paris, qui, je vous le rappelle était une Conférence beaucoup plus politique qu'une simple conférence de donateurs. Nous avons dit qu'il fallait une autre stratégie. Et ce n'est pas une victoire militaire. Il s'agit donc à la fois d'une sécurisation nécessaire des régions par des militaires qui se sacrifient et qui sont fort courageux, et à côté une société civile qui permettra un dialogue et une avancée avec une stratégie qui ne sera pas celle de remporter une victoire militaire dans un endroit précis.
Q - Bernard Kouchner, cette stratégie de la société civile, peut-elle être possible en Afghanistan ?
R - Elle commence.
Q - Mais, est-elle possible aussi dans les zones tribales qui sont en territoire pakistanais, ce qui sera beaucoup plus compliqué ?
R - Si vous croyez, que ce n'est pas compliqué l'Afghanistan ! C'est très compliqué.
Q - C'est compliqué parce qu'il faudra aussi passer par l'option militaire ?
R - Il y a, maintenant au Pakistan, un président, M. Zardari, qui a été élu et qui est le mari de Mme Benazir Bhutto - que je respectais infiniment et dont je vous rappelle que j'ai été le seul à être allé m'incliner sur sa tombe. Le PPP, Parti Populaire Pakistanais, avec à sa tête M. Zardari est décidé à lutter. Ils ont changé les chefs de l'armée, ils ont changé les chefs des services secrets.
Q - Qui sont noyautés en partie par les islamistes, on le sait, du moins, ils sont accusés de soutenir le terrorisme en Afghanistan.
R - Ils étaient accusés. Avec M. Zardari, on ne peut pas dire la même chose. Ils ont fait des opérations eux-mêmes dans cette zone tribale en territoire pakistanais, c'est donc un bon signe. Il y a des opérations communes. Vous savez que dans cette zone tribale il n'y a pas de frontière - c'est l'un des seuls endroits du monde où la frontière n'est pas tracée -, or, si l'on installe du côté afghan - il faut que les Afghans et la coalition l'acceptent - des postes de douane, ce sera un début pour prouver qu'il y a une volonté commune et ce sera, je crois, un signe démontrant notre détermination. Quant à la zone tribale, elle-même, c'est en effet très difficile mais je pense qu'à un moment donné il faut l'incorporer dans notre stratégie.
Q - Par rapport aux discours ambiants qui sont plutôt pessimistes, je vous sens assez optimiste.
R - Parce que vous avez commencé par me dire : "Y aura-t-il une victoire militaire ?" Non, ce n'est pas possible, ce n'est pas ce que nous cherchons. On ne va pas éradiquer les Taliban mais on va donner les conditions qui sont, nécessairement, militaires dans un premier temps pour qu'une paix puisse s'installer entre les Afghans. C'est cela le changement de tactique, et d'ailleurs quand la gauche française, l'opposition, nous expliquait qu'il fallait définir une autre stratégie, elle est à l'oeuvre. Ce n'est seulement pas du jour au lendemain que l'on constatera les changements, ne soyons pas naïfs. On ne peut pas changer une telle situation en six mois.
Q - Que pensez-vous de la volonté du futur président américain, Barack Obama, de redéployer une partie des soldats américains stationnés en Irak pour les déployer en Afghanistan ?
R - Oui, il a dit cela. On verra bien. Je ne crois pas que ce soit la solution, excepté dans des lieux précis avec une mission précise parce que lorsque je vous disais il faut sécuriser un seul endroit pour permettre aux Afghans de prendre leurs affaires en main, je crois que c'est cela la solution.
Q - Est ce que les Etats-Unis pourraient être le bâton et l'Union européenne la carotte c'est-à-dire aider la société civile ?
R - Il faut le faire ensemble, bien entendu, nous ne pouvons pas nous décréter les ennemis, et particulièrement, de M. Obama. C'est ensemble qu'il faut conduire la stratégie en Afghanistan. D'ailleurs, dans ce projet de conférence pour écouter les populations, les personnes que l'on n'écoute jamais, car on n'écoute jamais ni les Afghans, ni les populations de la zone tribale, les Américains seront présents.
Q - Plus de troupes françaises, plus de troupes américaines ?
R - Pas pour le moment.
Q - Si c'est ce que l'on a annoncé tout de même, plus de troupes françaises en Afghanistan ?
R - Non, c'est M. Obama qui a demandé cela.
Q - M. Obama aussi, mais de toute façon, on en a envoyé davantage, c'était dans le discours de M. Sarkozy, appelez-vous à une redéfinition de ces missions tout de même aux populations qui sont sur place, à cette conférence que vous annoncez, allons nous redéfinir les missions sur place ?
R - Mais elles sont redéfinies. La Conférence de Paris a eu lieu, elle a rencontré un succès considérable. C'était une conférence très politique, il y a eu des discours, nous avons écouté les ONG, nous avons parlé des Droits de l'Homme, de la corruption. Tout cela a été résumé et une stratégie est née, celle que nous appliquons. Ce ne sera pas visible d'ici un an ou deux mais c'est cette stratégie que nous appliquons plus proche des populations, donnant des responsabilités aux Afghans le plus vite possible. Les soldats dont le nombre a été augmenté, vous avez raison, sont sur place maintenant pour le faire.
Q - L'Iran est au coeur de cette région dont nous venons de parler et région à haut risque, l'Iran qui chercherait à se doter de l'arme nucléaire sous couvert de nucléaire civil. Au cours de sa campagne électorale, Barack Obama s'est dit prêt à dialoguer avec l'Iran. Vous dites : "attention danger". Ne croyez-vous pas, Monsieur Kouchner, à un dialogue possible avec l'actuel régime iranien ?
R - Encore une fois, quelle interprétation ! J'ai dit cela à côté d'une phrase puis avant une autre qui indiquait qu'il fallait dialoguer.
Q - J'essayais de résumer !
R - Mais il ne faut pas résumer en disant cela. Je sais que cela a été publié ainsi, j'ai vu les dépêches. C'est le contraire, je disais que nous avons dialogué très longuement. Les responsables sont venus en France, nous avons envoyé des responsables en Iran, nous les avons rencontrés mais, malheureusement, ce dialogue n'a conduit à rien. Il faut donc faire attention, je suis certain que les Iraniens souhaitent parler avec les Etats-Unis plus qu'avec les autres et je disais qu'il fallait mettre en garde, non pas les Américains, mais contre n'importe quelle forme de dialogue qui mettrait en péril l'unité du camp - pas occidental - mais de l'ensemble des P5, c'est-à-dire des cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU plus l'Allemagne qui depuis six ans travaillent et ont produit des résolutions, y compris des résolutions avec des sanctions.
C'est cette unité qu'il faut conserver. C'est ce que je voulais dire, le reste, je trouve très bien qu'enfin, un dirigeant américain, M. Obama, dise qu'il faut dialoguer. Je vous rappelle qu'à Genève, à la dernière réunion qui n'a pas permis de dégager une grande avancée sur le dossier, les Américains étaient présents et c'était déjà un grand succès de nos diplomaties.
Q - Finalement, ce qui gêne les Européens n'est-il pas que Barack Obama est prêt à parler, non seulement directement mais aussi sans précondition. Est-ce ce terme "sans précondition" qui gêne ?
R - Cela ne me gêne pas du tout.
Nous avons dialogué et il n'y avait pas de " précondition " puisque les Iraniens n'avaient pas arrêté l'enrichissement. Il faut que les téléspectateurs se souviennent que nous n'avons d'autre certitude que celle de l'enrichissement de l'uranium. Il y a des milliers de centrifugeuses, mais rien ne prouve qu'elles répondent à un besoin civil.
Au contraire, tout prouve et tous les services secrets s'entendent pour dire qu'il faut faire attention car, dans quelque temps, ils seront capables de fabriquer une bombe atomique.
C'est la raison pour laquelle nous nous élevons contre cette situation. Les Iraniens ont tout à fait le droit au nucléaire civil. Nous sommes, d'ailleurs prêts, avec les Russes à les y aider. Mais le nucléaire militaire, c'est exclu. Et les intentions ne sont pas claires, loin de là.
Q - Un document est publié ce matin par le journal Haaretz à Jérusalem qui montre qu'il existe une grosse inquiétude des Israéliens, ce qui n'est évidemment pas nouveau, mais dans lequel les experts font état d'une nécessité, du moins, d'envisager l'option militaire, disant qu'il y a une fenêtre très courte avant l'éventualité pour l'Iran d'avoir réellement l'arme nucléaire, l'arme atomique. Qu'en pensez-vous ? Est-ce une possibilité selon vous ?
R - Je crois qu'il faut tout faire pour l'éviter mais je sais que les Israéliens pensent que dans un délai d'un an environ, les choses pourraient être dangereuses.
Q - A la fin de l'année 2009 ?
R - Maintenant, c'est un peu plus allongé car cela fait un an et deux mois. Les autres optent pour trois ou quatre ans.
Il faut donc faire très attention et il faut absolument qu'une négociation commence, si elle est possible. Parce que, encore une fois, nous avons tenté de le faire avec les Etats-Unis qui jusque-là n'y étaient pas disposés.
Dans cette période d'un an, il faut tout faire pour éviter la guerre.
Il faut comprendre que les Israéliens le feront si nous-mêmes ne sommes pas actifs en faveur de la paix et de l'arrêt de la construction d'armes nucléaires en Iran. Les Iraniens disent bien sûr qu'ils ne le feront pas mais tous les services secrets pensent qu'ils peuvent le faire. Vous avez vu les essais des missiles, ce qui indique également qu'ils peuvent la transporter. Tout cela est très dangereux.
Q - Quelle est l'alternative ? Est-ce le dialogue ou quoi d'autre ?
R - Non, c'est le dialogue et rien d'autre. Il faut dialoguer.
On voulait que les Iraniens cessent l'enrichissement. Maintenant, on se demande s'ils ne pourraient pas geler le processus et on pourrait alors parler.
Quoiqu'il en soit, il faut parler même s'il y a des menaces très précises. Il ne faut pas oublier les propos de M. Ahmadinejad disant qu'il rayerait l'Etat d'Israël de la carte. Ce n'est pas acceptable.
L'Iran est un grand pays, situé à un carrefour de l'Asie. On parlait de l'Afghanistan, et si on organise cette réunion au sujet de l'Afghanistan, il faut inviter l'Iran. C'est évident.
Si on veut régler le problème en Irak et au Moyen-Orient, il faut parler avec l'Iran. Tout cela fait qu'il ne faut pas oublier la portée historique et le poids de ce pays.
Q - Justement, est-ce que le fait que le président Obama, dans quelques semaines ou dans quelques mois renoue le dialogue avec les autorités iraniennes, cela ne pourrait-il pas affaiblir le président Ahmadinejad en interne et donc, cela bloque aussi tous ceux qui soutiennent le président iranien pour ne rien lâcher vis-à-vis des Américains.
R - C'est dans le dialogue que l'on trouvera une solution et pas dans l'affrontement. S'il suffit de préparer l'affrontement, alors cela devient triste. Je crois plutôt que c'est une donnée très nouvelle, tout d'abord que le président Obama soit élu.
Je sais qu'il sera un grand président américain. Mais quel beau souffle, n'est-ce pas, qui a été manifesté par ce pays, les Etats-Unis. S'il est partisan du dialogue, cela change beaucoup par rapport à l'Administration sortante.
Q - Comme vous le disiez, sur la fin, cela avait commencé de changer un petit peu.
R - En effet, regardez en ce qui concerne la Libye. Alors que nous étions avec le président Sarkozy en Géorgie, Mme Rice se trouvait à Tripoli et a rendu visite à M. Kadhafi. Nous avons fait changer beaucoup de choses.
Q - Monsieur Kouchner, concernant l'Administration américaine, un mot sur la nomination éventuelle d'Hillary Clinton au poste de Secrétaire d'Etat, ce serait comment ?
R - Welcome dear colleague !
Q - Serait-ce une bonne nouvelle selon vous ?
R - Ce sera ma collègue. Je vous parlais précédemment de la réunion des 5+1. Nous nous sommes rencontrés régulièrement avec Mme Rice, je serai donc heureux de voir Mme Clinton. Mais cela relève du choix du président Obama.
Q - Quels sont ses atouts, vous qui la connaissez bien ?
R - Je crois que son atout a été tout de même d'apporter beaucoup à la campagne de M. Obama. A un moment, ils se sont réconciliés et en joignant leurs forces, ils l'ont emporté. C'est une femme très intelligente dont l'expérience internationale est très importante. Elle a eu l'occasion de beaucoup voyager et je pense que ce serait un bon choix.
Q - N'irions-nous pas alors vers un retour à l'Administration de Bill Clinton, son mari ?
R - Ce sera tout son problème que de s'en dégager car la période a changé. Pouvoir se dégager de l'expérience de son mari et de se dégager d'une réalité qui a beaucoup évolué. Maintenant, nous en sommes à la mondialisation et il faut comprendre que rien ne doit être fait pour faire semblant de retourner à la guerre froide.
Q - Vous venez de citer la Géorgie, cet après-midi, la présidence géorgienne, le président Saakachvili a accusé les forces russes d'avoir perpétré des tirs, pendant le passage d'un cortège. Le président Saakachvili était avec le président polonais dans une région qui borde l'Ossétie du Sud. Comment réagissez-vous à ces accusations géorgiennes ?
R - Il y en aura, hélas, d'autres. Je réagis mal évidemment, car il ne faut pas qu'ils tirent et particulièrement sur les présidents polonais et géorgien réunis. Il faut savoir que cette région est disputée. Le président Sarkozy l'a même citée lors de notre dernière rencontre avec M. Medvedev. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a dit que 90 % était fait mais pas 100 %.
Cette région, la vallée d'Akhalgori, est une région qui a été annexée mais l'argument est que lorsque Staline a dessiné l'Ossétie, la vallée d'Akhalgori y figurait. Alors, si maintenant, les nouveaux dirigeants russes se réfèrent à Staline, on ne comprend plus rien.
Je vous signale, tout de même, que la deuxième réunion de Genève s'est tenue et de bonne manière. Il y a donc un dialogue politique qui commence.
Q - Il y a d'ailleurs des négociations qui ont eu lieu la semaine dernière à Genève, sous l'égide de l'Union européenne !
R - Absolument.
Q - Donc les Géorgiens et les Russes se parlent ?
R - En effet, ils se parlent mais il y avait aussi des Ossètes et des Abkhazes. Ce n'est pas facile car nous ne reconnaissons ni l'Abkhazie, ni l'Ossétie du Sud et ils ont parlé plus spécifiquement de cette vallée d'Akhalgori disputée. Une telle négociation internationale prend forcément beaucoup de temps.
Q - Il y a ce pays, la Géorgie, mais il y a aussi l'Ukraine. Ils sont toujours candidats à l'OTAN. Les choses ne se font pas facilement, il y a quelques mois, la France et l'Allemagne avaient émis des réserves sur cette adhésion.
R - Nous n'avions pas émis de réserve, nous avions voté contre.
Q - Restez-vous contre aujourd'hui ? Les Américains sont-ils toujours pour et quelle est la position de la diplomatie française ?
R - Je ne vous répondrai pas mais elle n'a pas changé.
Q - C'est-à-dire que vous n'y êtes toujours pas favorable ? Mais pourquoi ?
R - Parce que nous ne pouvons pas considérer notre voisin la Russie comme un ennemi a priori et encore moins l'entourer d'un siège, du moins ressenti comme tel.
Je vous parlais du peuple iranien, la comparaison ne s'impose pas, mais il y a aussi un peuple russe qui a occupé dans l'histoire et qui occupe encore.
N'oublions pas qu'il y a 20 ans, ils étaient le coeur du communisme, ils ont changé très vite. Mais nous avons feint de les oublier et après tout, profits et pertes, c'était fini tout cela. Non. On leur a imposé des frontières, MM. Gorbatchev et Eltsine les ont "découpés au couteau" si j'ose dire. Alors, c'est difficile pour eux de les accepter. Je ne dis pas qu'ils ont raison bien sûr de les modifier par la force.
Q - Il y a malgré tout comme un sentiment d'encerclement.
R - Je le comprends et je pense que ce n'est pas juste, ce n'est pas ainsi qu'il faut s'y prendre. Lorsque j'ai dit qu'il ne fallait pas retourner à la rhétorique de la guerre froide, c'est en particulier ce que je voulais dire.
La mondialisation impose des réflexions différentes sur la religion, son rôle, la démographie, l'extrémisme, le retour du nationalisme! Oui, mais certainement pas un retour à la guerre froide.
Q - Mais ne pas intégrer l'Ukraine et la Géorgie à l'OTAN, n'est-ce pas céder aux pressions russes ?
R - Ce serait céder aux pressions américaines. Ce n'est pas ainsi que la France se détermine.
La France ainsi que l'Europe se détermine d'abord par sa proximité géographique, il y a une vision européenne. Il faut comprendre que les pays qui sortent du bloc de l'Est, ont souffert sous le communisme, - et nous ne les avons pas aidés-. Les pays de la Baltique, ceux de l'Europe centrale et orientale ont une vision complètement différente de la Russie. Ils se souviennent de cette oppression particulière alors il faut les comprendre aussi. Ce n'est pas facile et cela prendra du temps. C'est une vision globale, c'est pouvoir expliquer aux gens et rester fermes.
Ce que nous avons fait en Géorgie avec le président Sarkozy, - et nous n'étions pas concurrencés! Les Américains n'étaient pas là, le reste de l'Europe non plus, c'était le mois d'août -, nous l'avons fait et nous avons fait cesser la guerre. Je crois que c'est ainsi qu'il faut pratiquer, avec de l'activisme, de la volonté mais aussi de la vision.
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Q - Une question sur le Dalaï-Lama. Nicolas Sarkozy n'avait pas rencontré le Dalaï-Lama lors de sa visite en France, c'était au mois d'août dernier. Y aura-t-il bien une rencontre, elle est en tout cas annoncée, en Pologne le 6 décembre prochain entre le président français et le Dalaï-Lama ? Et cela ne fait pas plaisir aux Chinois et ils l'ont dit.
R - Le président a annoncé une telle rencontre à l'occasion de rencontres avec d'autres prix Nobel. Cela ne peut pas offenser les Chinois. On ne peut pas gommer le fait que cet homme de paix qui est le Dalaï-Lama - que je connais très bien et que j'ai rencontré régulièrement depuis près de 20 ans ...
Q - Vous l'aviez rencontré d'ailleurs au mois d'août...
R - ... je l'ai rencontré au mois d'août dernier. Il faut expliquer que c'est un chef religieux très important, une religion qui compte en France et que c'est à l'occasion d'une rencontre avec des prix Nobel que le président de la République française pourra saluer le Dalaï-Lama.
Q - Vous confirmez donc que cette rencontre aura lieu ?
R - Je ne peux pas infirmer, il n'y a que le président qui puisse l'infirmer mais il ne l'infirmera pas.
Q - En tout cas, elle est toujours prévue à l'heure où l'on se parle ?
R - Ce n'est pas une rencontre avec le Dalaï-Lama seulement, c'est une rencontre en Pologne sur des sujets différents et, à cette occasion, à moins qu'il ne se passe quelque chose d'ici là, le président de la République rencontrera...
Q - ... Vous savez que le Dalaï-Lama est considéré par les Chinois comme un dangereux séparatiste. Donc, cela ne leur fera pas plaisir, cette image...
R - Oui. Mais, avec beaucoup de respect pour les Chinois, je pense que les Chinois ont tort, que le Dalaï-Lama, que je connais bien, n'a jamais eu de menées séparatistes, il n'a jamais dit qu'il voulait l'indépendance du Tibet. Il suffit de lire ses textes. D'autres la demandent, mais pas lui, il ne faut pas attribuer au Dalaï-Lama des pensées violentes, il n'en a pas. Je le connais, je ne crois pas à Bouddha mais je connais les hommes : c'est un homme de paix.
Q - "La voie moyenne" vient de l'emporter finalement à Dharamsala, c'est-à-dire...
R - Oui, heureusement, mais vous avez vu qu'il y avait des tentations qui étaient des tentations séparatistes. Mais ce n'est pas le cas du Dalaï-Lama. Nous sommes pour l'intégrité du territoire chinois. Je prie les Chinois qui nous entendent et en particulier les autorités, de comprendre qu'il ne s'agit pas d'une provocation.
Q - Une question sur les actes de piraterie qui se multiplient au large de la Somalie. L'Union européenne va lancer ce qu'elle appelle l'"Opération Atalante". Alors, concrètement, comment cela va-t-il se passer ? Qui va y participer ? Et qui va payer surtout, car cela va coûter cher ?
R - D'abord, ce n'est pas une opération de l'Europe - elle a commencé en Europe et encore une fois cela prouve que l'Europe existe et qu'il y a un numéro de téléphone. En effet, les Canadiens sont déjà impliqués et je ne doute pas une seconde que d'autres pays, par exemple l'Arabie Saoudite, vont certainement s'y mettre. C'est, du moins, ce qu'a déclaré le prince Saoud, ministre saoudien des Affaires étrangères.
Il y a, au large non seulement du Yémen, mais de la Somalie, du Golfe d'Aden entre autres, des attaques quotidiennes qui sont insupportables...
Q - ... de plus en plus risquées, de plus en plus impressionnantes : un tanker de plus de 230 mètres...
R - ...Oui, ce sont des attaques très violentes, avec des personnes déterminées disposant de matériel. C'est la vieille piraterie internationale renforcée de moyens modernes. Nous ne pouvons, donc, pas tolérer cela.
La France a commencé en accompagnant les bateaux du Programme alimentaire mondial (PAM). C'est un aviso escorteur venu de Djibouti, qui participe à une opération de lutte contre le terrorisme, qui a accompagné pendant deux mois les bateaux du PAM, chargés de distribuer de la nourriture.
On m'a vu avec le sac de riz : dérisoire critique ! On m'embrasse dans les rues en Afrique ; et on continue d'avoir besoin de riz en Somalie - c'était une opération des Enfants de France dont je suis le plus fier au monde. Qui attaquait ? Les Somaliens eux-mêmes attaquaient les bateaux qui délivraient le riz. Cela n'était pas tolérable, nous l'avons fait... Cela nous a pris du temps, ensuite un bateau canadien, puis un bateau danois sont venus. Désormais, ce ne sont plus seulement les bateaux du PAM qu'il faut protéger mais tous les bateaux qui croisent dans ces eaux.
Dans cette opération "Atalante" - avec les Britanniques qui la dirigeront pour le moment à partir d'un port britannique -, sept pays y participent. C'est l'opération " Atalante " des Nations unies - et non pas de l'Europe, mais proposée par l'Europe, faite par l'Europe, prouvant non seulement que l'Europe existe mais qu'il faut développer sa force de défense et c'est un début.
Je vous signale que l'opération EUFOR au Tchad préfigure l'opération des Nations unies qui viendra. Cela devient presque une pratique politique très significative que l'Europe commence et que les Nations unies viennent ensuite.
Q - Vous étiez au Tchad il y a encore quelques heures. Vous avez discuté justement de la transformation de l'EUFOR en Force des Nations unies à partir du 15 mars 2009 ? Où en est-on ?
R - Nous avons mis en place cette force. C'est la plus grande opération militaire de l'Europe. Cela a permis - c'est ce que l'on voulait - que les réfugiés puissent revenir chez eux. Il faut savoir que les réfugiés sont protégés par cette opération EUFOR, mais que les personnes déplacées ne le sont pas: eux, ce sont des Tchadiens au Tchad. La communauté internationale ne les prend pas en charge. On voulait qu'ils reconstruisent leur village et un quart déjà de ces gens qui étaient déplacés sont revenu dans leur village grâce à l'EUFOR. C'est formidable ! J'ai rencontré ces personnes et j'ai rencontré les représentants de la MINURCAT.
Q - ...Vous jugez la situation suffisamment pacifiée sur le terrain pour que ces personnes puissent revenir dans leur village ?
R - Oui, mais hélas, pas partout ! Un quart est déjà revenu...
Q - ... Ce n'est pas dangereux qu'on les renvoie... ?
R - Non, ce n'est pas dangereux. Nous continuons de les protéger. C'est par exemple le cas à Lobotiké, un village qui a été recomposé et bien reconstruit. Nous avons un projet de 230 puits dont trois ont déjà été construits et 3.000 personnes sont revenues. Mais il y a d'autres endroits, sur la frontière elle-même avec le Soudan et en particulier le Ouaddaï, où ils ne veulent pas revenir parce que c'est trop dangereux.
Faut-il, donc, leur reconstruire des villages un peu éloignés de la frontière, autour des projets de creusement de puits que nous allons faire ou est-ce qu'il faut les laisser ? Il faut les laisser choisir eux-mêmes, mais il y en a certains qui ne veulent pas retourner chez eux. Je pense que la moitié des personnes déplacées seront revenue chez elles à la fin du transfert aux forces des Nations unies, c'est-à-dire en mars.
Q - Un mot sur le Rwanda. Où en sommes-nous de nos relations avec le Rwanda ? La mise en examen des proches de M. Kagamé a déclenché un peu les foudres du gouvernement rwandais. Et vous avez l'air de dire - vous avez fait une déclaration il n'y a pas tellement longtemps - que finalement cela ne va pas du tout aggraver nos relations. Alors, on a besoin d'un décryptage...
R - J'espère que cela va même permettre qu'enfin elles se rétablissent.
Q - Alors, pourquoi ?
R - J'y travaille depuis le début de ma prise de fonction, évidemment en accord avec le président Sarkozy. On m'oppose parfois à l'Elysée ! Mais à l'Elysée, il y a un travail avec les équipes qui entourent le président. Il y a le Quai d'Orsay qui propose, qui met en oeuvre et qui, bien sûr, propose des initiatives. Celle-là, depuis le début, devait nous amener à reprendre des relations normales avec le Rwanda.
Les accusations de participation au génocide portées contre l'armée française sont inacceptables. Mais je sais qu'il y a eu des difficultés de compréhension, de lourds malentendus.
Q - Les Français n'ont pas participé au génocide, je vous entends. Le président Kagamé n'est pas celui qui est l'instigateur de l'assassinat du président Habyarimana ?
R - Je ne sais pas. Je n'en sais rien du tout et je ne veux pas le savoir. Mais, ce dont je suis sûr - je le sais parce que j'étais l'un des seuls français encore présents lors du génocide - c'est qu'il était préparé et qu'il a été planifié. Je ne sais pas si c'est l'attentat contre l'avion du président Habyarimana qui l'a déclenché, mais il aurait été déclenché de toute façon. C'est ce que dit toute l'Afrique qui, en particulier, a enquêté notamment avec Jimmy Carter. Hier au Mali, j'ai rencontré le président Touré, il était dans cette commission, tout le monde sait cela.
Ce que je souhaite c'est que Mme Rose Kabuye, qui a été assez courageuse pour faire face à tout le monde et qui est maintenant en liberté chez nous, ce que j'espère c'est que, ayant accès au dossier, elle pourra, grâce à ses avocats, dissiper ces énormes malentendus. Je le souhaite infiniment, il faut que l'on rétablisse, avec ceux qui ont subi le génocide, avec ce Rwanda qui renaît, des relations normales et qu'il n'y ait plus de mandats d'arrêt.
Q - Ces accusations contre le président Kagamé sont graves, car cela voudrait dire qu'il aurait provoqué volontairement cet attentat pour contribuer à un génocide afin de prendre le pouvoir...
R - Je n'ai jamais dit que c'était lui qui l'avait fait. Mais ce n'est pas cela qui compte. C'est le génocide ! Le génocide, est-ce qu'on le conteste ou non ? Il y a une théorie chez les révisionnistes qui s'appelle "le deuxième génocide", je ne peux pas la supporter. J'ai vu ces personnes qui ont été massacrées, j'ai vu ces enfants de douze ans équipés de machettes qui avaient été achetées - deux millions de machettes achetées -. On sait tous ce qui s'est passé. C'est cela la réalité du génocide rwandais et nous n'avons rien fait.
Nous avons, ensuite, mené l'opération Turquoise, à laquelle j'ai cru. C'est moi-même qui suis allé la proposer à M. Kagamé. Je ne suis, donc, pas suspect et je n'accuse pas l'armée française du tout, comme je n'accuse pas les politiques français qui ont été menacés par M. Kagamé.
Ce que je souhaite, c'est que cela s'arrête et que l'on refasse, comme tous les pays d'Afrique le souhaitent - et moi, j'ai avec les pays d'Afrique une relation presque charnelle. J'ai parlé avec tous les dirigeants africains à propos de ce problème, je souhaite que cela s'arrange et que l'on n'accuse pas ceux qui ont été victimes - 800.000 - de l'avoir fait.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2008