Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur l'harmonisation des droits des femmes dans l'Union européenne, à Paris le 27 novembre 2008.

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Circonstance : Colloque sur la clause de l'Européenne la plus favorisée, à Paris le 27 novembre 2008

Texte intégral

Chère Maître, Madame Gisèle Halimi,
Madame la Présidente, Madame Margot Wallström,
Madame la Ministre, Madame Valérie Létard,
Chers Amis,
Lorsque Gisèle Halimi est venue me voir en mars dernier pour me parler de son projet, j'ai tout de suite été enthousiaste. Nous préparions à l'époque le programme de notre Présidence.
Il y avait bien quelques pistes sur lesquelles nous pouvions travailler. Je pense à la révision de la directive sur le congé parental, à la directive sur les discriminations ou encore, à un projet de règlement sur les divorces. Mais tout ceci était éparpillé et péchait par manque de vision d'ensemble.
Chère Gisèle, c'est vous qui nous avez apporté ce que nous cherchions.
Votre ambition était d'autant plus séduisante que, pour la première fois, on s'intéressait non pas au thème classique - qui reste au demeurant essentiel - des inégalités entre hommes et femmes, mais à celui plus novateur des inégalités entre Européennes.
L'idée même que les Européennes n'ont pas toutes les mêmes droits paraîtra étonnante à ceux qui ne connaissent pas l'Europe.
Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans ces domaines souvent très sensibles, je pense à l'avortement, je pense à la définition même de ce qu'est une famille, les Etats veulent garder la maîtrise de leurs législations. Les cultures politiques nationales sont loin d'être homogènes. Ici, on pourra, au Parlement travailler de façon transpartisane sur des grands sujets de société. Ailleurs, ces mêmes sujets feront l'objet de débats passionnés, voire passionnels, entre l'opposition et la majorité. Pour avoir travaillé et continuer à travailler à l'adoption du Traité de Lisbonne, je peux témoigner de la sensibilité très vive de nombreux Etats membres à ces sujets.
Il faut aussi rappeler que ce ne sont pas toujours ceux que l'on peut appeler les plus "traditionnalistes" qui freinent l'action communautaire et en appellent au respect du principe de subsidiarité.
J'en veux pour exemple un Etat membre qui considère que sa législation en matière de divorce permet les séparations les plus rapides et les plus consensuelles.
Pour cette raison, ce pays s'oppose à ce que ses ressortissantes puissent, d'un commun accord avec leur conjoint, choisir de divorcer en se conformant à la législation d'un autre Etat, par exemple celui du pays où ce couple a habité et a eu des enfants.
Est-ce que cela signifie que votre ambition d'harmoniser vers le haut les législations, de tendre vers une "clause de l'Européenne la plus favorisée", restera une belle utopie ? Je ne le crois pas.
Les choses ne se feront pas en un jour. Mais nous pouvons, patiemment, conjuguer ambition et conscience des réalités européennes, qui ne sont pas immuables.
Maître, ce que les gouvernements peuvent faire aujourd'hui, c'est suivre plusieurs orientations.
Premièrement, identifier, ensemble, les bonnes pratiques ou les expériences positives que l'on peut piocher dans plusieurs Etats membres, et en tirer quelques principes directeurs. C'est ce que vous avez fait dans votre ouvrage, notamment sur la prise en charge des victimes de viol. Dans votre bouquet législatif, vous avez mis en valeur la législation espagnole qui est très complète, mais vous avez aussi cité quelques bonnes pratiques au Danemark, en France et en Finlande.
Dans un deuxième temps, les Etats membres peuvent définir, ensemble, sur la base du volontariat, les paliers de progression vers les statuts les plus protecteurs.
Il ne s'agit pas de décréter l'abolition du partage des compétences entre ce qui relève de la compétence communautaire et ce qui relève de la compétence nationale. Le principe de subsidiarité n'est pas abandonné. Ce n'est d'ailleurs pas souhaitable et ce n'est pas souhaité par les citoyens européens, qui n'attendent pas de l'Europe qu'elle intervienne en tout, mais qu'elle soutienne les Etats et agisse là où elle est efficace et où il y a un intérêt commun.
Pour autant, la subsidiarité, ce n'est pas un prétexte à l'inaction.
On peut très bien, du moment où une volonté politique commune a été affirmée, progresser, dans un même mouvement, à la fois sur le terrain communautaire et sur celui de la compétence nationale.
Si vous me permettez cette comparaison qui vous étonnera peut-être, c'est ni plus ni moins ce que nous faisons aujourd'hui dans la lutte contre la crise économique et financière. Chacun est juge des meilleures modalités d'intervention, car les structures économiques et bancaires sont très différentes d'un Etat à un autre.
Mais il y a un intérêt commun à agir pour préserver la stabilité et la croissance européenne, et il y a une intervention coordonnée, selon des principes communs, et, sur certains points, sur la base d'une législation communautaire.
Cette même méthode peut être appliquée aux droits des femmes.
A titre personnel, je souhaiterais que dans vos réflexions, vous puissiez avancer dans deux domaines qui me tiennent à coeur, celui des violences conjugales - chère Valérie Létard, j'ai pu apprécier votre engagement et votre détermination sur ce point - et celui du congé parental.
Merci, Chère Gisèle, Cher Maître, d'avoir organisé cette conférence dans le cadre de la Présidence française, au surplus, avec une ambition méditerranéenne. Je suis particulièrement honoré d'y participer.
C'est par votre méthode ouverte et novatrice que l'on fera avancer la cause des femmes au niveau européen, mais aussi, plus généralement la cause du droit et du droit des gens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2008