Déclaration de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur l'Europe de la Défense et sur la réforme des armées, à Paris le 24 novembre 2008.

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Circonstance : Intervention devant la 16e promotion du Collège interarmées de Défense, à Paris le 24 novembre 2008

Texte intégral

Mon Général,
Mesdames et Messieurs les officiers stagiaires du collège interarmées de défense,
Je suis très heureux de pouvoir rencontrer la 16ème promotion du Collège interarmées de défense. Je salue en particulier les officiers représentant les forces armées des pays partenaires et amis de la France ici présents.
Le CID est l'école militaire de formation la plus internationale de toutes, tant par le nombre de nations représentées que par la proportion très élevée d'officiers stagiaires non français. Vous venez de 74 pays différents, représentant toutes les régions du monde : Asie, Afrique, Maghreb/Moyen Orient, Amérique et Europe bien sûr.
Demain, c'est vous qui assumerez les plus grandes responsabilités pour la défense de vos pays respectifs. Si vous me le permettez, je voudrais vous parler d'avenir. Dans un monde qui change et qui change vite, dans un monde où la menace évolue constamment et où l'incertitude est la règle, c'est la responsabilité suprême de la défense que de s'adapter en permanence, c'est sa responsabilité non « pas de prévoir, mais de permettre » l'avenir, selon le mot d'Antoine de SAINT-EXUPERY. Et permettre l'avenir, qu'est-ce que c'est ?
I - Permettre l'avenir, c'est d'abord construire une Europe de la Défense complémentaire à l'OTAN. L'Europe, c'est le plus beau des projets politiques du XXIème siècle.
L'Europe, par son histoire, par ses valeurs, est une construction unique au service de la paix. Elle a su, depuis 50 ans, construire peu à peu un modèle qui soit à la fois un modèle de développement économique et une école de la paix. Elle a su, en créant un marché unique, en supprimant ses frontières internes, en se dotant d'une monnaie commune, créer cette « solidarité de fait » chère aux pères fondateurs et devenir un acteur économique incontournable de la scène mondiale.
Elle a su, en promouvant des valeurs communes, en dépassant des rivalités ancestrales et dévastatrices, en s'élargissant au centre et à l'Est, conférer à son idéal de paix et de dignité de l'Homme une réalité qui était inimaginable il y a seulement 60 ans. Elle a su devenir une école du droit, renonçant aux instruments traditionnels de la puissance pour mettre en place un ordre. C'est pour ça d'ailleurs que pendant des années le terme même d'Europe de la Défense était tabou. L'étape d'après, l'avenir justement, c'est de pouvoir mieux projeter ce modèle, c'est d'être à même de le défendre sur la scène internationale pour forger une véritable conscience européenne.
Cette conscience européenne permettra à terme une puissance européenne qui dépasse la seule influence que lui confère son poids économique. C'est cela l'Europe de la défense : l'expression d'un destin et d'intérêts communs des pays européens, l'expression d'une Europe qui aille largement au-delà d'une simple zone de libre-échange. Depuis 10 ans et le lancement de la Politique européenne de sécurité et de défense, nous avons engagé plus d'une vingtaine d'opérations civiles et militaires dans les Balkans, en Afrique, en Asie, au Proche-Orient, dans le Caucase ou bientôt dans l'Océan Indien. Dans la gestion des crises, l'UE est aujourd'hui un acteur reconnu et sollicité. Pourtant, il faut aller plus loin et donner à l'Europe les outils pour pouvoir assumer à la fois ses ambitions et ses responsabilités sur la scène mondiale. C'est dans cet esprit que nous avons placé la relance de l'Europe de la défense au rang de priorité de notre présidence. Pour cela, il fallait d'abord dissiper un certain nombre de malentendus, notamment vis-à-vis de l'OTAN.
C'est ce qu'a fait le Président de la République lors du Sommet de Bucarest en avril dernier, en rappelant la nécessaire complémentarité entre l'UE et l'OTAN. Le président Bush a dit la même chose. Avec l'Alliance, nous marchons main dans la main. A aucun moment, je dis bien à aucun moment, nous n'avons voulu remplacer l'OTAN par la défense européenne. Opposer ou mettre en concurrence l'OTAN et l'Europe de la défense, ce serait une hérésie stratégique, et c'est absurde ! L'OTAN fonctionne depuis 1949, et a le même réservoir de forces que l'Europe de la Défense. Plus de moyens au service de l'Europe de la Défense, c'est aussi plus de moyens au service de l'Alliance. Ce préalable levé, nous avons pu travailler à relancer une Europe de la défense fondée d'abord sur des projets pragmatiques et concrets. L'an dernier, ici même, j'avais présenté à vos camarades de la 15ème promotion du CID nos projets pour l'Europe de la Défense.
Aujourd'hui, tout ce que nous avons proposé, nous sommes en train de le faire. Je pense en particulier au projet d'Erasmus militaire, que j'avais présenté ici il y a un an :
- des capacités militaires européennes renforcées : nous avons posé les bases d'une flotte multinationale européenne autour de l'A 400M, et de la constitution d'un groupe aéronaval européen. Nous allons aussi développer de nouvelles capacités d'observation spatiale européennes (MUSIS) et moderniser ensemble nos flottes d'hélicoptères ;
- la création d'un véritable marché intérieur de l'armement, fondé sur une base industrielle de technologies et de défense solide et autonome. Dans ce cadre, l'Agence européenne de défense jouera un rôle plus important dans la définition des programme de recherche et d'armements européens : MUSIS, nanotechnologies, futurs drones ;
- une meilleure coordination entre les Etats membres.
Nous allons mettre en place des échanges entre jeunes officiers européens, sur le modèle d'Erasmus. En outre, nous avons pris des initiatives sur la coordination des évacuations de ressortissants européens et la surveillance de nos espaces maritimes. La présidence française n'est que la première étape de la relance de l'Europe de la défense. Il reste beaucoup à faire pour bâtir une Europe capable d'assumer au plan politique le poids cumulé de ses membres, capable de défendre ses intérêts et ses valeurs d'une seule voix sur la scène mondiale. On l'a vu cet été avec la crise géorgienne, ou encore récemment avec le lancement de l'opération piraterie : l'Europe est capable d'agir, d'influencer le cours du monde lorsqu'elle est unie.
II - Permettre l'avenir, pour la défense, c'est aussi pouvoir disposer du meilleur outil de défense possible, en permanence. Un outil de défense qui n'est pas en mouvement, c'est un outil de défense obsolète à court terme. Nous avons donc engagé, depuis 18 mois, une réforme qui est l'une des plus importantes que nos armées aient connues depuis 1882. Cette réforme, elle repose sur deux piliers.
1- l'ambition. La France doit tenir son rang, elle a le devoir de peser sur les équilibres du monde. C'est notre responsabilité, parce que nous ne sommes pas un pays comme les autres. Tenir notre rang dans le monde, c'est nous adapter sans cesse pour ne pas reculer, c'est être en mesure de répondre aux défis que pose la planète : terrorisme, prolifération nucléaire, catastrophes naturelles ou sanitaires, crises humanitaires, cyber-attaques, réchauffement climatique, approvisionnement énergétique,... C'est l'ambition, mais c'est aussi
2- la responsabilité.
Le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, a lancé une importante réforme de l'Etat, la Révision Générale des Politiques Publiques.
Le ministère de la défense, comme l'ensemble des ministères, y prend toute sa part. C'est notre devoir de contribuer à l'effort de la nation pour une saine gestion des deniers publics. Très concrètement, cela signifie qu'il nous faut dégager nos propres marges de manoeuvre financières, et donc rationaliser notre fonctionnement. Cette réforme extrêmement ambitieuse, elle a été pensée sans aucun tabou, avec en ligne de mire la seule efficacité opérationnelle.
Cette réforme, elle a un unique objectif : disposer du meilleur outil possible pour assurer la défense des Français et de nos intérêts. Elle s'articule autour de trois principes :
1er principe : clarifier les responsabilités. Nous avons créé un comité exécutif autour du ministre de la défense. Il oblige les différentes instances du ministère à travailler ensemble et à décider collégialement. De même, nous sommes en train d'améliorer le pilotage des programmes d'armement, aujourd'hui trop confus. C'est le but du CMI. Le symbole de cette cohésion renforcée sera le regroupement, en partenariat public-privé, des états-majors et de l'administration centrale à Balard autour du ministre, à l'horizon 2014.
2e principe : rationaliser les soutiens et l'administration générale. Pour cela nous allons : - mutualiser en construisant des fonctions de soutien intégrées (finances, achat, paie, recrutement,...) en s'appuyant bien entendu sur les armées ; - recourir à l'externalisation pour les fonctions qui n'appartiennent pas au coeur de métier, tout en préservant notre capacité de projection (alimentation, soutien de l'infrastructure).
3e principe : mettre fin à la dispersion excessive du stationnement militaire. Notre « carte militaire » était trop fondée sur des considérations historiques, politiques ou d'aménagement du territoire.
Nous avons donc décidé de densifier nos implantations en créant environ 90 bases de défense. Ces bases seront expérimentées dès 2009, ce qui permettra de prévoir les adaptations nécessaires avant leur généralisation. Depuis un an, le chemin parcouru est déjà important :
- nous avons fait un état des lieux et une revue des programmes : ils ont permis d'évaluer nos besoins ;
nous avons adopté le Livre Blanc : il définit les grandes orientations stratégique pour les 15 ans à venir ;
nous avons engagé la RGPP ;
j'ai annoncé les redéploiements de nos implantations militaires le 24 juillet dernier et leur mise en oeuvre dès l'été prochain.
Cette réforme, les décisions que nous avons d'ores et déjà prises, sont cohérentes. Elles permettront de dégager les marges de manoeuvre indispensables pour l'équipement de nos forces et l'amélioration de la condition du personnel. Le budget 2009 est lui aussi cohérent avec nos ambitions. Il correspond à l'effort demandé à la défense :
- le budget de la mission défense est en augmentation de 5,4% ;
- les économies réalisées grâce à la modernisation du ministère reviennent intégralement à la défense ;
- les dépenses d'équipement sont en hausse de 10%.
C'est parce que nous faisons cet effort que nous pouvons redéployer. Maintenant que le cadre est dessiné, la prochaine échéance, c'est la nouvelle Loi de Programmation Militaire. C'est le dernier acte des décisions. Elle assurera la mise en oeuvre effective des conclusions du Livre Blanc pour la période 2009-2014. Les deux priorités de cette LPM seront donc l'amélioration de la condition des personnels et la modernisation des équipements. Au sein des équipements, nous porterons une attention particulière à la fonction stratégique connaissance et anticipation ainsi qu'à la protection des forces et à l'aéromobilité.
Avec cette réforme, la France disposera d'un outil de défense professionnel, bien équipé, moderne, capable d'assurer au mieux des missions dont le champ ne cesse de s'élargir.
Mesdames et messieurs, Ce que nous faisons aujourd'hui, nous le faisons pour vous. La France restera une des grandes puissances respectées sur la planète.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er décembre 2008