Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale à France-Inter le 21 novembre 2008, sur l'accueil des élèves et le droit de grève des enseignants et les suppressions de postes au budget 2009 de l'éducation nationale.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
E. Delvaux.- Vous êtes en duplex de Bruxelles, où vous présiderez dans moins d'une heure le Conseil des ministres de l'Education de l'Union européenne. On vous entend depuis plusieurs jours stigmatiser "une culture de la grève" chez les enseignants. Mais ce n'est pas justement ça, en fait, que vous reprochent les enseignants, au-delà des réformes, comme un mépris qui radicaliserait un peu plus les syndicats ?
Mais écoutez, vous savez bien que je ne méprise personne. Quand je dis qu'il y a eu 33 grèves en huit ans, je constate un fait avéré. Quand je dis également que la grève d'hier a été importante, certes, mais qu'il y avait en moyenne générale sept professeurs sur dix qui n'étaient pas en grève, je ne méprise personne, je ne fais aucune provocation, j'indique des chiffres objectifs. Et en particulier, je pense que les Français qui nous entendent ne trouveront pas absolument incongru que je dise qu'il y a des grèves très régulières à l'Éducation nationale depuis de nombreuses années ; que les ministres de gauche soient de gauche, qu'ils soient de droite, quelle que réforme qu'ils engagent, ou même qu'ils n'en fassent pas du tout d'ailleurs... Je me souviens d'une grève du 24 janvier 2002, J. Lang étant assis sur la cagnotte et ne faisant pas grand-chose, qui a été très supérieure en moyenne à la grève que nous avons eue hier. Donc, ce n'est pas mépriser que dire cela, c'est dire des choses objectives, et ça ne veut pas dire pour autant que je ne souhaite pas dialoguer, réformer, avancer. Mais simplement, je dis les choses comme elles sont.
Et vous maintenez donc ce matin, que les grévistes sont "rétrogrades et résistants au changement" ?
Je dis simplement que, lorsque l'on voit les motifs, j'entendais tout à l'heure, par exemple, une personne qui intervenait sur votre chaîne, qui disait que mon objectif "c'est la régression sociale, la casse du service public"...
Vers une privatisation de l'Education nationale...
..."privatiser l'école", "favoriser les riches", "faire en sorte que la difficulté scolaire ne soit surtout pas soignée". Vous voyez bien évidemment que tout ceci est tout à fait excessif et qu'on ne pourrait honnêtement dire que le mépris ne va pas toujours dans le sens qu'on croit. Pourquoi croirait-on que le ministère de l'Education nationale n'a pour but que de favoriser les riches et de martyriser les pauvres ? Ce sont des propos qui sont excessifs, qui n'ont pas de sens, et qui, dans une certaine mesure même, empêchent de raisonner calmement sur la situation de l'école française, qui a besoin de se réformer, c'est évident, tout le monde le sait, personne ne le conteste.
Ah si, c'est contesté, on l'a entendu hier dans la rue !
Personne ne conteste que l'école ait besoin de se réformer. Ce que contestent les syndicats, c'est la manière dont je le fais, sans doute, c'est peut-être un certain nombre de décisions que nous prenons, qui ne semblent pas correspondre à leurs options, mais personne ne dit qu'il faut le statu quo, qu'il faut regarder passer les trains, qu'il ne faut rien faire. Vous voyez bien que, l'école française ne produit pas les résultats qu'elle devrait donner.
Mais ce que vous reprochent les syndicats, c'est ce manque de concertation. D'ailleurs, les trois principaux syndicats du Primaire vous demandent ce matin d'ouvrir des négociations avant cinq jours, faute de quoi ils vont relancer des actions. Que leur répondez-vous ce matin ?
Je leur réponds - en particulier j'ai été très frappé de voir que parmi les signataires il y a les deux syndicats majoritaires du premier degré - je leur réponds que lorsqu'ils me demandent d'ouvrir des négociations, que j'ai signé un grand nombre de documents avec eux. Je vois par exemple, sur la réforme des lycées... On va prendre un exemple, on va prendre par exemple le syndicat UNSA, dont l'animateur principal est monsieur Bérille, que je connais bien, qui est un syndicaliste tout à fait respectable avec qui je travaille très régulièrement. J'ai signé avec lui quatre protocoles d'accord, que j'ai sous les yeux : un sur les principes directeurs de la réforme du lycée ; un sur les principes relatifs à la réforme de l'IUFM, un sur le principe de l'organisation de la semaine scolaire nouvelle, et en particulier de l'utilisation des deux heures qui ont été supprimées au titre du samedi matin ; un sur la discussion du baccalauréat professionnel. Alors, quand on me dit ensuite "mais on ne parle pas, on ne négocie pas, on ne signe rien", et c'est vrai pour les autres syndicats, eh bien tout simplement on exagère, pour ne pas dire des choses plus désagréables. Ne donnons pas l'impression aux Français que nous ne parlons pas. Et puis, vous le savez bien, parce que - mais je veux le dire aux auditeurs - la montée de tension qu'il y a actuellement est quand même liée à quelque chose de très important, qui sont les élections professionnelles qui se tiennent au début du mois de décembre. On voit bien que...
Les prud'homales...
Oui. On voit bien que tous ces syndicats font un peu du maximalisme, ils veulent montrer qu'ils sont les plus résistants, les plus courageux, que ce sont ceux qui poussent le plus à affronter le ministre, parce qu'il y a une logique intersyndicale. Tout le monde voit bien.
On entend bien ce matin, que vous niez de votre côté qu'il y ait un manque de dialogue. C'est pourtant ce que vous reprochaient hier les syndicats dans la rue... Mais à quel ministre ne l'ont-ils pas reproché, permettez-moi de vous le dire ! Mais justement, est-ce que vous ne sentez pas poindre comme "un syndrome Allègre", un conflit personnalisé avec vous ?
Non, je ne crois pas. Parce que, je le répète : évidemment, il y a les slogans, il y a les défilés, il y a les contestations, mais il y a en même temps, de manière continue, un travail de fond. J'ai signé quinze accords avec les partenaires syndicaux, 15 accords en dix-huit mois ! Est-ce que un ministre a fait plus que moi dans ce domaine ? Mais par ailleurs, disons les choses, j'entends évidemment la grève, j'entends les manifestations, je ne suis ni sourd, ni aveugle, et je vois bien qu'il faut que nous retrouvions des moyens de nous parler différemment puisque les protocoles que nous signons ne suffisent pas. Donc, évidemment, il faut que nous avancions, que nous parlions différemment, et nous allons trouver des moyens de nous reparler, évidemment.
Vous disiez un peu le contraire tout à l'heure, vous restiez un peu droit dans vos bottes lorsque je vous demandais si vous alliez répondre favorablement à une nouvelle rencontre avec les syndicats du Primaire.
Mais je viens de vous dire, je ne dis pas du tout des choses différentes, je répète, au contraire, ce que j'ai dit. Je dis, un, je n'ai pas cessé de parler avec les syndicats du primaire, je viens de vous montrer que nous avons signé avec eux de nombreux accords et que nous continuerons. Deux, que par ailleurs, évidemment, je vais continuer à les rencontrer, et que leur demande d'être entendus sera évidemment reçue.
Très bien. Concernant, par exemple, les nouvelles suppressions de postes prévues l'an prochain, votre argument c'est de dire que ce qui compte dans l'école, ce n'est pas le nombre mais l'efficacité. Or, comment être efficace avec moins de personnels, et puis des programmes, en même temps, qui changent tout le temps ?
Les programmes n'ont pas changé tout le temps, ce sont ceux du Primaire qui ont été recentrés sur les fondamentaux. Je rappelle d'ailleurs que la plupart des décisions que nous prises sur le premier degré reçoivent l'assentiment des familles, très largement. Et d'ailleurs aussi d'une grande partie des enseignants. Quant à la question du nombre de postes, j'ai déjà dit plusieurs fois que si c'était le nombre de poste qui devait faire le succès ou l'échec d'une école, nous serions les premiers du monde, car nous avons un système scolaire qui est extrêmement généreux. Nous dépensons 60 milliards d'euros par an, nous avons à peu près 1,2 millions de fonctionnaires qui s'occupent de 12 millions d'élèves, c'est-à-dire 1 pour 10. AU milieu desquels nous avons 900.000 enseignants. Le système, quand même, est un système assez généreux. Et sans aucun doute, ce qu'il faut, c'est mieux travailler, travailler différemment. Et en particulier, offrir des services. Ce qu'on oublie toujours de dire, quand on parle des postes, c'est tout ce qui a été mis en place en si peu de temps : les heures de soutien à l'école primaire, les stages en CM1-CM2, la reconquête du mois de juin, l'accompagnement éducatif pour tous les élèves de collège. Je pourrais vous donnez des chiffres qui montrent à quel point tous ces dispositifs fonctionnent. Pour le seul accompagnement éducatif, le seul soutien à l'école primaire, cela concerne aujourd'hui plus d'un million d'élèves qui reçoivent - 19,13 % d'entre eux exactement - un million d'élèves qui reçoivent un soutien dans leur classe. Donc voilà, c'est ça qu'il faut faire, offrir de nouveaux services travailler différemment, être à l'écoute des problèmes qui se posent à nous. L'accompagnement éducatif : est-ce que vous savez qu'en ce moment, il y a 700.000 collégiens du public, c'est-à-dire près de 30 % des effectifs qui bénéficient de l'accompagnement éducatif dans plus de 5.000 collèges ? C'est 4 millions d'heures qui leur sont consacrés ! Bref, je trouve qu'on oublie de dire tout cela, et on oublie d'autant plus de le dire que, je le répète, ce sont des services qui sont rendus aux élèves et aux familles, car je ne pense qu'aux élèves et que ces services sont largement approuvés par les utilisateurs.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 novembre 2008