Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à RMC le 21 novembre 2008, sur la grève dans l'enseignement, la réforme du lycée et la situation sociale et politique.

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Texte intégral


 
J.-J. Bourdin.- On va parler évidemment des universités et on va parler d'actualité. Qui a dit : désormais quand il y a une grève, personne ne s'en aperçoit ?
N. Sarkozy.
C'était quand ?
L'année dernière...
C'était en juillet dernier devant le conseil national de l'UMP. On s'est aperçu hier de la grève dans l'enseignement, non, V. Pécresse ?
Je crois que vraiment les enseignants devraient être au contraire rassurés, rassurés d'avoir un Gouvernement qui se préoccupe de l'éducation...
Ils n'ont pas l'air d'être rassurés...
...et qui en fait une vraie priorité, parce que vous savez moi je récupère, si je puis dire, ou j'accueille les jeunes qui ont le bac aujourd'hui. Eh bien, je peux vous dire que cela me rend absolument une fervente supportrice de la réforme du lycée de X. Darcos, de la réforme du primaire de X. Darcos, de la réforme de la formation des maîtres de X. Darcos, parce que je crois que nous avons besoin aujourd'hui d'améliorer notre système de formation et que le pari d'éducation, c'est un pari que nous devons faire au XXI siècle.
Est-ce qu'il y a une culture de la grève à l'Education nationale, franchement ? C'est ce qu'a dit X. Darcos, hier. Vous, vous êtes d'accord avec lui ?
Je crois surtout que ce n'est pas le bon mode de dialogue, le conflit. Je crois que le bon mode de dialogue, c'est la concertation. Le bon mode de dialogue c'est d'essayer de faire évoluer le projet.
La concertation, avant les décisions ou après ?
Mais bien sûr, mais c'est ce qui se fait aujourd'hui dans la réforme du lycée. C'est ce qui se fait aujourd'hui dans la réforme de la formation des maîtres. Nous sommes en train de proposer une revalorisation considérable aux enseignants de leur métier en les recrutant désormais à bac +5. Les professeurs des écoles, les professeurs du secondaire. Ils vont désormais avoir un vrai rôle, être reconnu comme des bac + 5. C'est une revalorisation formidable de leur métier et nous le faisons dans la concertation. Donc je crois vraiment qu'il faut passer d'une culture du conflit à une culture de la négociation.
Est-ce que vous pensez que les organisations syndicales, que beaucoup d'enseignants organisent la résistance aux changements, franchement ?
Je crois que le changement fait peur à tout le monde, il ne fait pas peur que dans l'Education nationale, il fait peur à tout le monde, parce qu'on a toujours peur, quand les choses changent, que ce soit moins bien après. Mais la vérité, et T. Blair était venu aussi à ce congrès, à un congrès de l'UMP et il avait dit : vous savez, la réforme, tenez bon, parce que la réforme quand on en parle, ça fait peur, quand on la fait, ça râle et quand on l'a faite, les gens s'aperçoivent que le système va beaucoup mieux et tout le monde est content, et on se dit : on aurait dû aller plus loin. C'est cela le message de T. Blair à la France.
Oui peut-être, le message de T. Blair. Peut-être mais enfin la crise financière est passée...
Il n'est pas complètement à droite !
La grève à a SNCF. Bon, les grèves on ne sait pas si elles auront lieu ou pas, mais là, la direction a reporté sa réforme. Tenez bon ! D'accord mais pas au prix d'une grande grève ?
Je crois que le problème de la grève, et ça, c'est vraiment un problème auquel vraiment les agents du service public doivent faire face aujourd'hui, sont confrontés aujourd'hui, c'est qu'ils prennent en otages les usagers. Et que malgré tout, il y a des Français qui vont travailler. Moi je suis élu de la Grande couronne, vous le savez. On a 80 minutes en moyenne de transport par jour en Ile-de-France, et quand il y a une grève, quand il y a une grève des trains de banlieue, quand il y a une grève des RER, c'est vraiment une nuisance pour tout le monde, une fatigue extraordinaire.
Donc, cela vaut le coup qu'on reporte la réforme ?
Je crois qu'il faut concerter, je crois qu'il faut rassurer, l faut prendre ce temps de la concertation, ce temps pour rassurer et je crois qu'il faut avancer, il faut faire les réformes. Pourquoi ces réformes ? Pour mieux utiliser l'argent public, pour qu'il soit plus efficace. C'est des armes anti crise les réformes, contrairement à ce qu'on pense. En améliorant le fonctionnement du service public, en améliorant l'efficacité du service public, eh bien, c'est de l'argent qu'on rend aux Français, c'est de l'argent qu'on réinjecte dans l'économie, c'est plus d'emplois, demain. On va parler de l'université... Un mot sur la crise encore. Beaucoup de PME, j'entends beaucoup de chefs d'entreprise m'appeler sur RMC ou appeler BFM TV et nous dire : on n'a pas besoin de liquidités, on n'a pas besoin d'aller voir notre banquier, on a besoin qu'on reporte la taxe professionnelle, on a besoin que l'Etat face un effort sur les charges sociales. Voilà ce dont on a besoin aujourd'hui. Cela veut donc dire qu'ils ont besoin de réformes, ils ont besoin de réforme des services publics, parce que c'est quand on aura réformé et qu'on aura amélioré, diminué le coût des services publics... (...) ...oui mais diminuer le coût des services publics, cela veut dire diminuer après l'impôt.
Mais là, faut-il reporter le versement de la taxe professionnelle qui doit intervenir, prochainement, là, dans les jours qui viennent, avant le 15 décembre ?
Mais ce ne serait pas responsable, Monsieur Bourdin. Nous avons à faire face à des dépenses, des dépenses de l'Etat, des dépenses obligatoires et ces dépenses pour les financer il faut des recettes, et c'est pour cela qu'il faut baisser ces dépenses, c'est pour cela qu'il faut utiliser correctement les euros d'argent public dont nous disposons.
Si j'étais militant du PS, je rendrais ma carte. C'est ce que vous avez dit.
Oui, parce que je crois que le psychodrame continue. On a aujourd'hui une élection au Parti socialiste, qui est absolument incompréhensible pour les Français. Pourquoi ?
Vous ne choisiriez pas ?
Mais parce qu'il n'y a pas de ligne claire. Les Français sont aujourd'hui dans la mouise. Il y a une crise ; ils ont peur ; ils ont des interrogations et au lieu de proposer un certain nombre de pistes de lutte contre la crise, au lieu de faire peut-être l'union nationale avec le Gouvernement dans la lutte contre la crise...
Vous aimeriez cela ?
Mais enfin, c'est ce que font un certain nombre de pays.
L'union nationale, elle pourrait se traduire comment, V. Pécresse ?
Par exemple, par un Parti socialiste qui voterait les lois de N. Sarkozy, un plan de relance de N. Sarkozy.
Oui mais vous ne pouvez pas demandé au Parti socialiste de voter les lois, sans participer à la préparation de ces réformes.
Que font les autres partis sociaux-démocrates en Europe ? Ils approuvent.
Ils sont alliés au pouvoir, notamment en Allemagne.
Pas tous, pas tous. Il y a les Tories, les conservateurs britanniques ont voté avec les travaillistes sur le plan de restructuration des banques, de garantie des banques, d'aide aux banques. Cela prouve en réalité que l'on peut face à une situation exceptionnelle, d'urgence, s'entendre et faire de la politique intelligemment et faire de la politique autrement. Ce n'est pas du tout la voie dans laquelle s'engage le PS.
Vous ne choisiriez pas donc entre S. Royal et M. Aubry ?
Non parce que, ce...
Si vous aviez un choix à faire ?
Je pense que S. Royal est durablement affaiblie, on le voit bien, elle a perdu 17 points par rapport à la primaire de l'an dernier. On ne sait pas quelle est sa ligne politique. Quant à M. Aubry, elle est obligée de faire des alliances contre-nature pour battre S. Royal, elle est obligée de créer un "Tout sauf Ségolène" avec B. Delanoë qui est un social libéral. On ne sait plus du tout où on en est. C'est vraiment illisible ce Parti socialiste, il est émietté. Ça va être la cohabitation des quatre courants. On n'y comprend rien.
Au passage, vous aimeriez être maire de Paris ?
Malheureusement, je suis banlieusarde et je suis fière de l'être.
Mais on peut, de la banlieue, venir à Paris.
Non, je suis fière de l'être. Moi je suis pour construire un Grand Paris, et ce Grand Paris, c'est l'Ile de France, et une Ile de France qui tiendrait compte à la fois de son centre, Paris, qui est exceptionnel, et aussi de tous ceux qui habitant en dehors du périphérique, périphérique qui est une véritable saignée urbaine et qu'il faudrait couvrir le plus vite possible.
Ah bon ! Si vous êtes présidente de la région, un jour, ce sera l"un de vos premiers objectifs : couvrir le périphérique ?
Le couvrir symboliquement, et le couvrir concrètement.
Non, mais attendez ! Symboliquement, c'est...
Symboliquement, ça veut dire faire le Grand Paris, offrir à tous les Franciliens la même qualité de transport, la même qualité de sécurité, la même qualité de perspective et la même qualité de vie.
Et le couvrir ?
Et le couvrir concrètement...
Concrètement ?
Concrètement, avec j'espère l'aide de la Ville de Paris, qui se rend compte que vraiment cette autoroute qui sépare la banlieue de Paris, de Paris Centre, est un outil de ségrégation.
On va parler université dans deux minutes...
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V. Pécresse, vous partez pour Bruxelles tout à l'heure.
Oui.
Vous allez parler mobilité.
Oui.
Mobilité, ça veut dire mobilité des étudiants à travers l'Europe, dans l'Union européenne ?
Cela veut dire, faire une partie de ses études ou bien un stage, à l'étranger. Aller à l'étranger...
Je crois savoir sue vous êtes en train de préparer une mesure importante, c'est-à-dire vous allez obliger toutes les universités françaises et européennes à envoyer leurs étudiants faire des stages à l'étranger ?
Je suis en train d'essayer convaincre les 27 Etats membres que toutes les universités européennes doivent inscrire dans leur cursus des périodes à l'étranger. Des périodes, cela veut dire un stage d'été, cela veut dire une université d'été ou alors, vraiment, un semestre à l'étranger.
Je serais étudiant dans une université française, je serais dans l'obligation de partir en stage ou en camp d'été à l'étranger ?
Voilà. A l'horizon, évidemment, 2015, parce que pour l'instant, ce n'est pas possible, et on commencera par les diplômes de master, bac + 5, mais il faut aussi qu'on le fasse pour les licences professionnelles, pour les diplômes à bac +2, bac +3.
Est-il vrai que les étudiants français sont de moins en moins mobiles ?
C'est malheureusement le constat, j'allais dire affligeant, que nous avons fait cette année. 4.000 bourses Erasmus n'ont pas trouvé preneur cette année.
4.000 bourses Erasmus ! Bourses Erasmus, rappelons-le, c'est une bourse qui permet d'aller étudier à l'étranger.
Exactement. C'est une bourse de l'ordre de 150 ou 200 euros, pour aller faire une partie de ses études à l'étranger. Alors, nous avons décidé de réagir contre cela. D'abord, on a regardé pourquoi, pourquoi les jeunes Français ne partent pas.
Oui, pourquoi ?
C'est psychologique : ils ne connaissent pas les universités des autres pays, et souvent, dans leur cursus - et c'est l'objet du Conseil de Bruxelles - souvent dans leur cursus, ce n'est pas valorisé. Ils partent un semestre, ils reviennent, on ne leur donne même pas l'équivalence d'un semestre dans leurs études. Alors que c'est en Europe, dans une autre université équivalente à la leur. Donc, c'est psychologique, c'est linguistique : ils ne parlent pas l'anglais.
Alors, justement, tiens, je m'arrête sur l'anglais.
Est-ce que vous rendez obligatoire l'apprentissage de l'anglais à l'université ?
J'ai dans mon Plan licence demandé que l'anglais soit obligatoirement proposé. Pourquoi obligatoirement proposé ?
Proposer ce n'est pas la même. Mais vous savez pourquoi ? Parce que j'ai des jeunes étudiants qui arrivent, qui sont totalement bilingues en anglais, ceux-là il faut évidemment qu'ils aillent faire autre chose, qu'ils aillent apprendre l'allemand ou le russe. Parce que si on met des bilingues avec des monolingues totaux, si je suis dire, c'est-à-dire des jeunes qui ne parlent pas du tout l'anglais dans le même groupe, cela décourage les bilingues et cela décourage les monolingues. Pardonnez-moi, mais c'est une faillite de l'Education nationale, non ? Des étudiants qui arrivent et qui ne connaissent pas un mot... non enfin pas un mot, qui parlent très mal anglais. L'étudiant qui entre à l'université, des lycéens, des bacheliers, qui ne parlent pas anglais !
Je crois surtout qu'il faut qu'on ait une approche très pragmatique dans l'enseignement des langues. Très pragmatique, cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'il faut qu'on les fasse parler, et pas seulement écrire. [...]
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 novembre 2008