Texte intégral
Q - Ce dimanche, en Russie où M. Poutine a été élu dès le premier tour. Est-ce une sorte de plébiscite ?
R - Non, on ne peut pas employer le mot "plébiscite " à propos d'une élection au premier tour, avec 52 % des voix, alors que le candidat communiste a près de 30 %, c'est-à-dire un score plus important quand même que ce à quoi nous nous attendions, ce que d'ailleurs M. Poutine a reconnu dans son premier commentaire. L'élection au premier tour est, cela dit, une sorte d'exploit quand même.
Q - Un exploit qui a été repris par la télévision, télévision qui fonctionne un peu comme un organe de propagande ?
R - Vous savez que l'Union soviétique s'est effondrée il y a moins de dix ans.
Q - Il y a des habitudes qui restent.
R - Je ne dirai pas exactement cela, mais construire une grande démocratie moderne est une affaire qui se déroule sur des années et le peuple russe a bien réagi à ce qui lui est arrivé depuis cette période 1989-1991 et le travail fait par M. Gorbatchev qui est d'importance historique, le travail fait par M. Eltsine qui s'est, dans l'ensemble, comporté comme un démocrate, il faut le reconnaître. Tout cela, ce sont des étapes très importantes pour la Russie. Il est évident que cette démocratie russe doit être encore consolidée et perfectionnée, et notre désir et notre intérêt est de les aider dans cette tâche. Mais cette élection du deuxième président de la Russie consécutivement et les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée sont globalement satisfaisantes. Ce qui est important, c'est de savoir ce qu'il va faire et de redire ce que nous avons dit, la relation entre la Russie et l'Europe et la France est très importante pour la paix et la stabilité sur l'ensemble de notre continent.
Q - Précisément, il y a eu des attitudes diverses à l'endroit de la Russie. Vous avez souvent fait remarquer que la France parmi les pays européens était sans doute le pays qui avait été le plus exigeant sur la situation notamment en Tchétchénie. On a vu récemment Tony Blair aller à Saint-Petersbourg et avoir des propos particulièrement orageux sur Vladimir Poutine qui vous ont peut-être choqués, je n'en sais rien.
R - Oui, comme l'a fait le président Clinton un peu avant et ceux de la plupart des autres occidentaux en effet.
Q - Et qui vous ont semblé parfois excessifs ?
R - C'est une question de proportion et de mesures car vous disiez que nous avions été les plus exigeants, le terme est exact. C'est par rapport à la situation en Tchétchénie, la France a dit avec plus de netteté, plus de franchise qui est liée à l'importance que nous attachons à notre relation avec la Russie et à une amitié franco-russe ancienne. Nous pensons que nous avons le droit à une sorte de devoir à parler vrai avec eux. Nous avons, je crois, plus nettement je crois que les autres dit que nous ne pouvions pas admettre les procédés employés en Tchétchénie, que c'était une question qui devait avoir une solution politique et non une répression purement militaire. Nous l'avons dit plus nettement que les autres.
Mais si vous prenez le volet coopération entre l'Occident et la Russie, là on se retrouve tous et la question est donc de savoir comment les choses sont proportionnées, comment faire sur les deux sujets.
Q - Ce soir, M. Poutine est élu, nous ne savons pas très bien quels sont ses projets à la fois en politique étrangère et en politique intérieure, mis à part sur la Tchétchénie puisque c'est là-dessus qu'il s'est fait élire, c'est là-dessus qu'il a été clair, très clair. Sur le reste, il a été très flou, qu'attendez-vous, qu'espérez-vous de lui dans le cadre des relations entre la France et la Russie, l'Europe et la Russie ?
R - Ce que nous attendons de lui, ce que nous espérons, c'est qu'il réponde à nos attentes qui sont aussi des propositions en ce qui concerne la coopération à long terme entre l'occident, l'Europe, la France et la Russie. Nous avons un intérêt commun, les uns et les autres à ce que la démocratie se consolide en Russie, que l'Etat puisse se renforcer dans le bon sens du terme. Un Etat moderne qui soit un Etat de droit et qui soit en même temps capable d'exercer ses fonctions de régulation par l'économie et la société. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons donc intérêt à ce que cette économie se développe, que la société russe souffre moins, que ce pays apprenne plus que cela n'est le cas aujourd'hui à régler les différends de façon pacifique et entre autres, que l'affaire tchétchène soit traitée de façon moins contradictoire avec cette ambition de modernité et de relations avec l'occident. Et nous sommes prêts, à coopérer plus avec la Russie. Nous avons peut-être le devoir de faire à la Russie, des offres de coopérations plus adaptées à ses vrais besoins mais nous aurons aussi le droit d'être plus exigeants quant à la façon dont nous coopérerons, en tenant compte des leçons des dernières années.
Voilà les éléments de la relation future entre l'occident et la Russie et c'est aujourd'hui un M. Poutine très attendu, notamment après cette victoire spectaculaire au premier tour, c'est à lui de dire ce qu'il veut faire. Nous le sommes.
Q - Mais aujourd'hui, sommes-nous davantage dans une situation de climat de retour à ce que nous avons connu il y a 10 ou 15 ans, une "guerre froide " ou un climat qu'avait fait espérer M. Gorbatchev qui était celui de la construction de la maison commune européenne ?
R - Ni l'un ni l'autre, je ne crois absolument pas au moindre retour en arrière à l'époque de l'URSS et surtout à l'époque de la guerre froide. Je ne crois pas du tout à un retour en arrière sur ce plan. Je ne crois pas non plus, M. Gorbatchev lui-même l'a vu, que ce rêve qu'il avait, qui était un rêve sympathique dans lesquels tous les pays étaient sur le même plan, pour coopérer amicalement, pacifiquement, toutes les questions étant déjà résolues. Nous voyons bien que nous ne sommes pas encore dans cette situation. Nous sommes dans un travail plus progressif, plus fastidieux, plus astreignant, qui doit être conduit par les Russes. Ils ont des décisions difficiles à prendre et là aussi, nous espérons que M. Poutine sera le président qui prendra ces décisions et qui précisément qui saura construire un Etat russe. Les seuls éléments d'état qui existaient dans ce pays se sont effondrés avec la disparition du parti communiste et l'Etat au sens où nous l'entendons n'a pas été reconstruit. Ils ont donc absolument besoin de cela et c'est ce que nous sommes prêts à encourager comme évolution.
Voilà la situation d'aujourd'hui et c'est pour cela que ce moment est tout à fait capital pour l'avenir de notre continent.
Q - Je voudrais prendre un exemple pour illustrer notre échange, le retour à un concept nouveau ; en cas d'agression, la Russie s'autorise désormais à utiliser l'arme nucléaire, concept de défense national défini il y a quelques temps. C'est quelque chose de nouveau quand même ?
R - je ne pense pas que cela change grand chose.
Q - Alors comment interprétez-vous cela ?
R - Je l'interprète comme un signal la Russie disant qu'il ne faut pas oublier qu'elle est une puissance importante militairement, que nous sommes encore une puissance nucléaire, que nous disposons de cette arme et que par conséquent, nous appliquons les concepts qui vont avec. Je l'interprète plutôt comme une volonté des autorités russes actuelles de faire respecter leur pays, leur patrie comme ils le disent tout le temps. Nous l'entendrons beaucoup, cela s'entendra sur le plan de la stratégie, sur le plan de la politique étrangère. Je ne crois pas que cela nous pose des problèmes insolubles, dès lors que les conditions de la relation et de la coopération entre l'occident et la Russie sont claires.
Q - D'autant plus que le 5 mars, Vladimir Poutine a dit qu'il n'excluait pas d'entrer un jour dans l'OTAN.
R - Il répondait à une question, il a dit "pourquoi pas ? ". En fait, mis à part la question de la Tchétchénie, enfin, c'est une question grave et préoccupante et c'est pour cela que nous en parlons tellement, mais les autorités russes et M. Poutine insistent beaucoup sur cette vision de modernité, ils ont accepté de relancer la coopération avec l'OTAN dans le cadre d'un accord que la France avait d'ailleurs inspirée à l'époque. M. Poutine lui-même m'a parlé d'un rapprochement nécessaire entre les législations de la Russie et les législations européennes dans un sens de modernité et nous verrons dans les jours qui viennent qu'à l'occasion de ces contacts nombreux et prévisibles avec ces pays occidentaux, en attendant la rencontre du G8, nous verrons se développer ce volet.
C'est très important, il faut faire le bilan des années passées et voir comment on redémarre cette coopération en étant clair et sans ambiguïté sur nos demandes envers la Tchétchénie.
Q - En tout cas, vous ne craignez pas aujourd'hui qu'il y ait une sorte de repli de la Russie sur elle-même ?
R - Je ne sens pas de repli, cela ne me paraît pas compatible avec la situation de la Russie d'aujourd'hui, cela ne me paraît pas compatible avec ses besoins, avec les besoins qu'elle a d'une coopération avec l'occident, mais en même temps, je sens, et cela s'est vu dans la campagne électorale, ce besoin d'être respecté, d'être considéré comme un partenaire qui compte et pas simplement comme un pays que l'on va aider. Je ne pense pas que le président Poutine oriente les choses vers un renfermement de la Russie sur elle-même, je crois que ce n'est plus possible aujourd'hui, même si certains Russes en avaient la tentation.
Q - Vous avez invité Vladimir Poutine à venir en France, viendra-t-il bientôt ? Y a-t-il des dates ?
R - J'ai transmis au président par intérim à l'époque, une lettre du président de la République, Jacques Chirac, qui l'invitait à venir en France. Mais, rien n'est déterminé, aucune des visites ou rencontres potentielles entre Vladimir Poutine et ses partenaires occidentaux n'est fixée aujourd'hui. Mais elles se développeront dans la période qui s'ouvre maintenant et durant les rencontres du G8. A chaque fois, nous nous poserons ces questions d'une solution politique pour la Tchétchénie et les modalités et les conditions de notre coopération à long terme pour la modernisation de la Russie.
Q - J'imagine que vous avez évoqué ce sujet à Lisbonne, ce n'était pas le propos de la conférence européenne, son propos était l'emploi. L'emploi dans les prochaines années avec notamment la révolution technologique et la nouvelle économie.
R - C'est depuis le gouvernement de Lionel Jospin et à la demande du Premier ministre lui-même qu'il y a chaque année au moins un Conseil européen qui est spécifiquement concentré et consacré à ce point.
Q - Le premier ayant eu lieu à Luxembourg. C'est à la demande de Lionel Jospin que cette initiative a été prise mais on a dit qu'à ce sommet, même si au départ, c'était une initiative de Lionel Jospin, cela a été le véritable triomphe des idées de Tony Blair et d'un certain libéralisme de Tony Blair. Est-ce vrai ou faut ?
R - Je ne sais pas qui a dit "on a dit",
Q - Les observateurs, les commentateurs, car ces principes sur la flexibilité, l'accompagnement social aussi souple que possible dans la démarche de l'emploi sont des idées qui ont triomphé à Lisbonne.
R - Ce qui m'a frappé, ce n'est pas cela. Je n'ai pas senti de clivage aussi net. J'ai d'abord senti que, tous les dirigeants européens aujourd'hui trouvaient formidable l'idée d'avoir une fois par an, une rencontre annuelle où l'on fait le point de ce qui marche, et de ce qui ne marche pas sur ces questions d'emplois, de croissance de hautes technologies et de formations. Comment peut-on faire un tronc commun en Europe pour utiliser les meilleures politiques et aller de l'avant pour faire de l'Europe un continent e croissance, d'expansion, d'innovation et de modernité. C'est la ligne générale. Et plusieurs pays se retrouvent là-dessus. Ensuite, plus on parle, plus on travaille, plus on voit que les clivages sont souvent exagérés dans la façon dont ils sont présentés.
Q - Pourtant, on a bien souligné les clivages qui pouvaient exister entre, d'un côté, Tony Blair et de l'autre Lionel Jospin. Ce sont des approches différentes.
R - Justement, et d'ailleurs, c'est une classification de l'extérieur que Lionel Jospin a toujours contesté en tout cas sous cette forme, ce sont des analyses qui simplifient par force. Moi, je vois plutôt une palette, un éventail des positions et plus on travaille au sein de l'Union européenne aujourd'hui sur ces questions et pas uniquement sur les questions de compétence communautaire classique, plus on s'aperçoit que ce n'est pas si net, qu'il y a des solutions intéressantes à prendre partout, que chaque pays à sa spécificité et d'ailleurs, les conseils européens n'ont pas le pouvoir de dire que chaque pays va abandonner son approche particulière et sa façon particulière d'avancer dans la modernité, de s'adapter et de progresser tout en dialoguant. Nous reconnaissons cette diversité mais il y a une sorte d'échange qui se fait.
Q - Mais, finalement, tout cela convergerait, une attitude centre gauche, centre droit.
R - Il faudrait y regarder de plus près, mais là aussi c'est une simplification et cette personnalisation en plus ne rend pas tout à fait compte de l'économie et de la société de grands pays comme l'Espagne, la Grande Bretagne. C'est plus compliqué que cela. Je sens plutôt que l'on a mis en marche un processus créatif et qui va permettre à chacun d'avancer.
Q - Bon connaisseur de ces sommets, vous en avez suivi beaucoup, à la fois comme ministre des Affaires étrangères mais auparavant de l'Elysée lorsque vous étiez Secrétaire général, le couple franco-allemand est-il en panne ? Il n'a pas été très reluisant, très présent dans ce sommet ?
R - Très reluisant, c'est péjoratif cette formule.
Q - Très présent...
R - Il n'y a pas eu de couples en particulier dans ce sommet car il y a un accord général, un désir de travailler d'avancer sur l'ensemble de ces points. Il n'y avait pas de situation de blocage où l'on attendait que quelqu'un débloque le Conseil européen, cela ne se présentait pas ainsi. Il y a eu un travail tout à fait remarquable avant, durant des mois, par M. Guterres le Premier ministre portugais. La question ne se posait pas en ces termes. La France et l'Allemagne ont une relation étroite, elle continue de l'être et nous travaillons beaucoup à une réflexion commune sur l'avenir de l'Europe à long terme : l'élargissement, l'approfondissement, la CIG, ce sont d'autres questions qui n'étaient pas dans l'actualité du sommet.
Q - A Lisbonne, on au aussi parlé du Kosovo. Au cours de cet échange sur les Balkans, on a chargé Javier Solana de porter une meilleure coordination si j'ai bien compris à l'aide qu'apporte l'Union européenne aux Balkans et notamment au Kosovo avec, si j'ai également bien compris, une certaine déception par rapport à la masse de l'aide apportée par rapport à son effet.
R - En tout cas, un désir d'adapter cette aide pour qu'elle soit la plus efficace possible.
Sur les Balkans, la question est de savoir si on abandonne les Balkans à leur sort ou bien est-ce que l'on s'en occupe : la réponse est que nous nous sommes engagés et nous nous sommes engagés pour aussi longtemps que ce sera nécessaire. Alors, ensuite, toutes sortes de problèmes, le Kosovo, la Bosnie, l'Albanie etc. et il faut apporter à chaque pays la meilleure réponse possible, beaucoup d'initiatives, beaucoup de personnalités et beaucoup de voyages.
A Lisbonne, nous avons dit qu'il fallait mettre de l'ordre dans nos propres initiatives qui sont nombreuses, inspirées par de très bons sentiments. Il faut rationaliser tout cela et la conclusion logique a été de dire que nous avons créé un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.
Q - C'est M. Solana qui coordonne ?
R - Oui, c'est logique que M. Solana qui ait choisi pour ce poste qui doit animer la partie commune de nos politiques étrangères, il y a des politiques étrangères nationales dont il faut préserver le dynamisme et cette partie commune. Et M. Solana est chargé, c'est logique, de faire ce travail et il sera assisté par la Commission qui a le budget, car il faut combiner la définition politique et les moyens et le commissaire compétent est M. Patten.
Les chefs d'Etats et de gouvernements l'ont nommé comme un patron collectif, la priorité en ce moment étant d'avancer dans cette affaire des Balkans, nous savons que c'est très difficile, nous ne sommes pas déçus car nous savons que c'est compliqué mais il faut tout de même s'organiser mieux pour la suite.
Q - Javier Solana a dit qu'il était prêt à assumer cette tâche et toutefois, il a dit qu'il n'y aurait pas de stabilité dans les Balkans aussi longtemps que Slobodan Milosevic restera au pouvoir. Est-ce votre sentiment ?
R - Je pense et nous pensons qu'un changement de régime à Belgrade faciliterait énormément tous les problèmes que nous rencontrons dans le traitement des questions de la Serbie elle-même, de la Serbie et le Kosovo et le Monténégro, les autres pays voisins et même la question de la Bosnie.
Q - Vous vous demandez parfois si finalement, ce qui s'est passé n'a pas conforté les pouvoirs de Slobodan Milosevic ?
R - Mais, je crois que ce qui s'est passé ne remet pas en cause le fait que nous avons fait ce que nous devions faire. Malheureusement, il fallait le faire, le président Milosevic avait barré toutes les autres issues. Mais nous avons également décidé à Lisbonne de maintenir la pression sur les gouvernements, sur les responsables serbes et Yougoslaves et d'adopter une politique différente concernant la société serbe. Et M. Solana, puisque vous parlez de lui, a repris l'idée française à l'origine consistant à dire qu'il faut ouvrir la Serbie et contribuer à développer les relations avec le monde culturel, avec la société sur tous les plans. Nous avons plus de chances de bouger en faisant cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 2000)
Interview à RTL :
Q - Quelle est votre réaction de la France après cette victoire de M. Poutine au premier tour ?
R - M. Poutine vient en effet d'être élu dès le premier tour. Pour nous, la relation avec la Russie est très importante et la coopération entre la France et la Russie, l'Europe et la Russie est un élément essentiel de notre politique pour la stabilité et la paix sur le continent européen. Dans cette perspective, il est très important pour nous d'avoir des partenaires à Moscou avec lesquels on puisse coopérer sur des bases claires et utilement, pour accompagner la Russie dans sa démarche de modernisation, pour que ce pays se développe économiquement et socialement. Il faut aussi que l'Etat puisse remplir efficacement ses fonctions mais que ce soit un Etat de droit et bien sûr, que nous puissions travailler ensemble à la paix. Par exemple, à la paix dans les Balkans où les Russes sont des partenaires importants pour nous, que ce soit en Bosnie ou au Kosovo.
L'élection d'un nouveau président russe est un événement majeur et nous souhaitons pouvoir coopérer avec lui sur les bases que je viens d'indiquer.
Q - Comment interprétez-vous cette déclaration du patron de la politique étrangère M. Ivanov qui indique déjà qu'il y aura des modifications à la politique étrangère russe. A quel type de modification pouvez-vous vous attendre ? A plus de fermeté ?
R - Avant de commenter, le mieux est d'attendre de voir ce qu'il entend par là. Je pense que M. Poutine sera également attentif à ce que les occidentaux attendent et à ce qu'ils expriment. Sur le plan interne, c'est donc la modernisation de la Russie sur tous les plans et j'ajoute la Tchétchénie naturellement. Nous ne cessons de dire qu'en Tchétchénie, une solution militaire, surtout aussi brutale et indiscriminée que celle que nous avons vu n'est pas tenable, n'est pas viable, de plus elle est choquante. Nous attendons donc de M. Poutine des initiatives pour résoudre politiquement l'affaire de la Tchétchénie.
Sur le plan externe et en matière de politique étrangère, il y a de très nombreux domaines dans lesquels la coopération entre la Russie et les Occidentaux est importante pour le monde. A nouveau, je cite donc la Bosnie, le Kosovo, l'ensemble des Balkans, tout ce qui concerne la coopération et la sécurité en Europe, les accords de désarmement, avec toute la dimension entre les Etats-Unis et la Russie, mais cela nous concerne aussi par contrecoup, la négociation sur les antimissiles. La Russie est au Conseil de sécurité, la Russie fait partie du G8, donc une partie de l'équilibre et de la stabilité du monde dépend de la qualité de cette relation. Au moment où M. Poutine va prendre ses fonctions non pas par intérim mais comme président, il est très important qu'il sache quelles sont les attentes, les espérances et les demandes de ses partenaires occidentaux.
Q - Aviez-vous déjà reçu M. Poutine, une visite pourrait-elle se faire rapidement ? Soit de vous, soit de M. Poutine en France ?
R - J'avais été en effet reçu par M. Poutine à Moscou, comme l'ont été à peu près tous les ministres des Affaires étrangères des pays occidentaux et nous avions parlé de la modernisation de la Russie et de la Tchétchénie. Concernant les visites futures, rien n'est tout à fait arrêté. A l'époque, je lui avais transmis une invitation du président de la République pour se rendre en France ultérieurement et donc, pour le moment, nous en sommes là./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2000)
R - Non, on ne peut pas employer le mot "plébiscite " à propos d'une élection au premier tour, avec 52 % des voix, alors que le candidat communiste a près de 30 %, c'est-à-dire un score plus important quand même que ce à quoi nous nous attendions, ce que d'ailleurs M. Poutine a reconnu dans son premier commentaire. L'élection au premier tour est, cela dit, une sorte d'exploit quand même.
Q - Un exploit qui a été repris par la télévision, télévision qui fonctionne un peu comme un organe de propagande ?
R - Vous savez que l'Union soviétique s'est effondrée il y a moins de dix ans.
Q - Il y a des habitudes qui restent.
R - Je ne dirai pas exactement cela, mais construire une grande démocratie moderne est une affaire qui se déroule sur des années et le peuple russe a bien réagi à ce qui lui est arrivé depuis cette période 1989-1991 et le travail fait par M. Gorbatchev qui est d'importance historique, le travail fait par M. Eltsine qui s'est, dans l'ensemble, comporté comme un démocrate, il faut le reconnaître. Tout cela, ce sont des étapes très importantes pour la Russie. Il est évident que cette démocratie russe doit être encore consolidée et perfectionnée, et notre désir et notre intérêt est de les aider dans cette tâche. Mais cette élection du deuxième président de la Russie consécutivement et les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée sont globalement satisfaisantes. Ce qui est important, c'est de savoir ce qu'il va faire et de redire ce que nous avons dit, la relation entre la Russie et l'Europe et la France est très importante pour la paix et la stabilité sur l'ensemble de notre continent.
Q - Précisément, il y a eu des attitudes diverses à l'endroit de la Russie. Vous avez souvent fait remarquer que la France parmi les pays européens était sans doute le pays qui avait été le plus exigeant sur la situation notamment en Tchétchénie. On a vu récemment Tony Blair aller à Saint-Petersbourg et avoir des propos particulièrement orageux sur Vladimir Poutine qui vous ont peut-être choqués, je n'en sais rien.
R - Oui, comme l'a fait le président Clinton un peu avant et ceux de la plupart des autres occidentaux en effet.
Q - Et qui vous ont semblé parfois excessifs ?
R - C'est une question de proportion et de mesures car vous disiez que nous avions été les plus exigeants, le terme est exact. C'est par rapport à la situation en Tchétchénie, la France a dit avec plus de netteté, plus de franchise qui est liée à l'importance que nous attachons à notre relation avec la Russie et à une amitié franco-russe ancienne. Nous pensons que nous avons le droit à une sorte de devoir à parler vrai avec eux. Nous avons, je crois, plus nettement je crois que les autres dit que nous ne pouvions pas admettre les procédés employés en Tchétchénie, que c'était une question qui devait avoir une solution politique et non une répression purement militaire. Nous l'avons dit plus nettement que les autres.
Mais si vous prenez le volet coopération entre l'Occident et la Russie, là on se retrouve tous et la question est donc de savoir comment les choses sont proportionnées, comment faire sur les deux sujets.
Q - Ce soir, M. Poutine est élu, nous ne savons pas très bien quels sont ses projets à la fois en politique étrangère et en politique intérieure, mis à part sur la Tchétchénie puisque c'est là-dessus qu'il s'est fait élire, c'est là-dessus qu'il a été clair, très clair. Sur le reste, il a été très flou, qu'attendez-vous, qu'espérez-vous de lui dans le cadre des relations entre la France et la Russie, l'Europe et la Russie ?
R - Ce que nous attendons de lui, ce que nous espérons, c'est qu'il réponde à nos attentes qui sont aussi des propositions en ce qui concerne la coopération à long terme entre l'occident, l'Europe, la France et la Russie. Nous avons un intérêt commun, les uns et les autres à ce que la démocratie se consolide en Russie, que l'Etat puisse se renforcer dans le bon sens du terme. Un Etat moderne qui soit un Etat de droit et qui soit en même temps capable d'exercer ses fonctions de régulation par l'économie et la société. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons donc intérêt à ce que cette économie se développe, que la société russe souffre moins, que ce pays apprenne plus que cela n'est le cas aujourd'hui à régler les différends de façon pacifique et entre autres, que l'affaire tchétchène soit traitée de façon moins contradictoire avec cette ambition de modernité et de relations avec l'occident. Et nous sommes prêts, à coopérer plus avec la Russie. Nous avons peut-être le devoir de faire à la Russie, des offres de coopérations plus adaptées à ses vrais besoins mais nous aurons aussi le droit d'être plus exigeants quant à la façon dont nous coopérerons, en tenant compte des leçons des dernières années.
Voilà les éléments de la relation future entre l'occident et la Russie et c'est aujourd'hui un M. Poutine très attendu, notamment après cette victoire spectaculaire au premier tour, c'est à lui de dire ce qu'il veut faire. Nous le sommes.
Q - Mais aujourd'hui, sommes-nous davantage dans une situation de climat de retour à ce que nous avons connu il y a 10 ou 15 ans, une "guerre froide " ou un climat qu'avait fait espérer M. Gorbatchev qui était celui de la construction de la maison commune européenne ?
R - Ni l'un ni l'autre, je ne crois absolument pas au moindre retour en arrière à l'époque de l'URSS et surtout à l'époque de la guerre froide. Je ne crois pas du tout à un retour en arrière sur ce plan. Je ne crois pas non plus, M. Gorbatchev lui-même l'a vu, que ce rêve qu'il avait, qui était un rêve sympathique dans lesquels tous les pays étaient sur le même plan, pour coopérer amicalement, pacifiquement, toutes les questions étant déjà résolues. Nous voyons bien que nous ne sommes pas encore dans cette situation. Nous sommes dans un travail plus progressif, plus fastidieux, plus astreignant, qui doit être conduit par les Russes. Ils ont des décisions difficiles à prendre et là aussi, nous espérons que M. Poutine sera le président qui prendra ces décisions et qui précisément qui saura construire un Etat russe. Les seuls éléments d'état qui existaient dans ce pays se sont effondrés avec la disparition du parti communiste et l'Etat au sens où nous l'entendons n'a pas été reconstruit. Ils ont donc absolument besoin de cela et c'est ce que nous sommes prêts à encourager comme évolution.
Voilà la situation d'aujourd'hui et c'est pour cela que ce moment est tout à fait capital pour l'avenir de notre continent.
Q - Je voudrais prendre un exemple pour illustrer notre échange, le retour à un concept nouveau ; en cas d'agression, la Russie s'autorise désormais à utiliser l'arme nucléaire, concept de défense national défini il y a quelques temps. C'est quelque chose de nouveau quand même ?
R - je ne pense pas que cela change grand chose.
Q - Alors comment interprétez-vous cela ?
R - Je l'interprète comme un signal la Russie disant qu'il ne faut pas oublier qu'elle est une puissance importante militairement, que nous sommes encore une puissance nucléaire, que nous disposons de cette arme et que par conséquent, nous appliquons les concepts qui vont avec. Je l'interprète plutôt comme une volonté des autorités russes actuelles de faire respecter leur pays, leur patrie comme ils le disent tout le temps. Nous l'entendrons beaucoup, cela s'entendra sur le plan de la stratégie, sur le plan de la politique étrangère. Je ne crois pas que cela nous pose des problèmes insolubles, dès lors que les conditions de la relation et de la coopération entre l'occident et la Russie sont claires.
Q - D'autant plus que le 5 mars, Vladimir Poutine a dit qu'il n'excluait pas d'entrer un jour dans l'OTAN.
R - Il répondait à une question, il a dit "pourquoi pas ? ". En fait, mis à part la question de la Tchétchénie, enfin, c'est une question grave et préoccupante et c'est pour cela que nous en parlons tellement, mais les autorités russes et M. Poutine insistent beaucoup sur cette vision de modernité, ils ont accepté de relancer la coopération avec l'OTAN dans le cadre d'un accord que la France avait d'ailleurs inspirée à l'époque. M. Poutine lui-même m'a parlé d'un rapprochement nécessaire entre les législations de la Russie et les législations européennes dans un sens de modernité et nous verrons dans les jours qui viennent qu'à l'occasion de ces contacts nombreux et prévisibles avec ces pays occidentaux, en attendant la rencontre du G8, nous verrons se développer ce volet.
C'est très important, il faut faire le bilan des années passées et voir comment on redémarre cette coopération en étant clair et sans ambiguïté sur nos demandes envers la Tchétchénie.
Q - En tout cas, vous ne craignez pas aujourd'hui qu'il y ait une sorte de repli de la Russie sur elle-même ?
R - Je ne sens pas de repli, cela ne me paraît pas compatible avec la situation de la Russie d'aujourd'hui, cela ne me paraît pas compatible avec ses besoins, avec les besoins qu'elle a d'une coopération avec l'occident, mais en même temps, je sens, et cela s'est vu dans la campagne électorale, ce besoin d'être respecté, d'être considéré comme un partenaire qui compte et pas simplement comme un pays que l'on va aider. Je ne pense pas que le président Poutine oriente les choses vers un renfermement de la Russie sur elle-même, je crois que ce n'est plus possible aujourd'hui, même si certains Russes en avaient la tentation.
Q - Vous avez invité Vladimir Poutine à venir en France, viendra-t-il bientôt ? Y a-t-il des dates ?
R - J'ai transmis au président par intérim à l'époque, une lettre du président de la République, Jacques Chirac, qui l'invitait à venir en France. Mais, rien n'est déterminé, aucune des visites ou rencontres potentielles entre Vladimir Poutine et ses partenaires occidentaux n'est fixée aujourd'hui. Mais elles se développeront dans la période qui s'ouvre maintenant et durant les rencontres du G8. A chaque fois, nous nous poserons ces questions d'une solution politique pour la Tchétchénie et les modalités et les conditions de notre coopération à long terme pour la modernisation de la Russie.
Q - J'imagine que vous avez évoqué ce sujet à Lisbonne, ce n'était pas le propos de la conférence européenne, son propos était l'emploi. L'emploi dans les prochaines années avec notamment la révolution technologique et la nouvelle économie.
R - C'est depuis le gouvernement de Lionel Jospin et à la demande du Premier ministre lui-même qu'il y a chaque année au moins un Conseil européen qui est spécifiquement concentré et consacré à ce point.
Q - Le premier ayant eu lieu à Luxembourg. C'est à la demande de Lionel Jospin que cette initiative a été prise mais on a dit qu'à ce sommet, même si au départ, c'était une initiative de Lionel Jospin, cela a été le véritable triomphe des idées de Tony Blair et d'un certain libéralisme de Tony Blair. Est-ce vrai ou faut ?
R - Je ne sais pas qui a dit "on a dit",
Q - Les observateurs, les commentateurs, car ces principes sur la flexibilité, l'accompagnement social aussi souple que possible dans la démarche de l'emploi sont des idées qui ont triomphé à Lisbonne.
R - Ce qui m'a frappé, ce n'est pas cela. Je n'ai pas senti de clivage aussi net. J'ai d'abord senti que, tous les dirigeants européens aujourd'hui trouvaient formidable l'idée d'avoir une fois par an, une rencontre annuelle où l'on fait le point de ce qui marche, et de ce qui ne marche pas sur ces questions d'emplois, de croissance de hautes technologies et de formations. Comment peut-on faire un tronc commun en Europe pour utiliser les meilleures politiques et aller de l'avant pour faire de l'Europe un continent e croissance, d'expansion, d'innovation et de modernité. C'est la ligne générale. Et plusieurs pays se retrouvent là-dessus. Ensuite, plus on parle, plus on travaille, plus on voit que les clivages sont souvent exagérés dans la façon dont ils sont présentés.
Q - Pourtant, on a bien souligné les clivages qui pouvaient exister entre, d'un côté, Tony Blair et de l'autre Lionel Jospin. Ce sont des approches différentes.
R - Justement, et d'ailleurs, c'est une classification de l'extérieur que Lionel Jospin a toujours contesté en tout cas sous cette forme, ce sont des analyses qui simplifient par force. Moi, je vois plutôt une palette, un éventail des positions et plus on travaille au sein de l'Union européenne aujourd'hui sur ces questions et pas uniquement sur les questions de compétence communautaire classique, plus on s'aperçoit que ce n'est pas si net, qu'il y a des solutions intéressantes à prendre partout, que chaque pays à sa spécificité et d'ailleurs, les conseils européens n'ont pas le pouvoir de dire que chaque pays va abandonner son approche particulière et sa façon particulière d'avancer dans la modernité, de s'adapter et de progresser tout en dialoguant. Nous reconnaissons cette diversité mais il y a une sorte d'échange qui se fait.
Q - Mais, finalement, tout cela convergerait, une attitude centre gauche, centre droit.
R - Il faudrait y regarder de plus près, mais là aussi c'est une simplification et cette personnalisation en plus ne rend pas tout à fait compte de l'économie et de la société de grands pays comme l'Espagne, la Grande Bretagne. C'est plus compliqué que cela. Je sens plutôt que l'on a mis en marche un processus créatif et qui va permettre à chacun d'avancer.
Q - Bon connaisseur de ces sommets, vous en avez suivi beaucoup, à la fois comme ministre des Affaires étrangères mais auparavant de l'Elysée lorsque vous étiez Secrétaire général, le couple franco-allemand est-il en panne ? Il n'a pas été très reluisant, très présent dans ce sommet ?
R - Très reluisant, c'est péjoratif cette formule.
Q - Très présent...
R - Il n'y a pas eu de couples en particulier dans ce sommet car il y a un accord général, un désir de travailler d'avancer sur l'ensemble de ces points. Il n'y avait pas de situation de blocage où l'on attendait que quelqu'un débloque le Conseil européen, cela ne se présentait pas ainsi. Il y a eu un travail tout à fait remarquable avant, durant des mois, par M. Guterres le Premier ministre portugais. La question ne se posait pas en ces termes. La France et l'Allemagne ont une relation étroite, elle continue de l'être et nous travaillons beaucoup à une réflexion commune sur l'avenir de l'Europe à long terme : l'élargissement, l'approfondissement, la CIG, ce sont d'autres questions qui n'étaient pas dans l'actualité du sommet.
Q - A Lisbonne, on au aussi parlé du Kosovo. Au cours de cet échange sur les Balkans, on a chargé Javier Solana de porter une meilleure coordination si j'ai bien compris à l'aide qu'apporte l'Union européenne aux Balkans et notamment au Kosovo avec, si j'ai également bien compris, une certaine déception par rapport à la masse de l'aide apportée par rapport à son effet.
R - En tout cas, un désir d'adapter cette aide pour qu'elle soit la plus efficace possible.
Sur les Balkans, la question est de savoir si on abandonne les Balkans à leur sort ou bien est-ce que l'on s'en occupe : la réponse est que nous nous sommes engagés et nous nous sommes engagés pour aussi longtemps que ce sera nécessaire. Alors, ensuite, toutes sortes de problèmes, le Kosovo, la Bosnie, l'Albanie etc. et il faut apporter à chaque pays la meilleure réponse possible, beaucoup d'initiatives, beaucoup de personnalités et beaucoup de voyages.
A Lisbonne, nous avons dit qu'il fallait mettre de l'ordre dans nos propres initiatives qui sont nombreuses, inspirées par de très bons sentiments. Il faut rationaliser tout cela et la conclusion logique a été de dire que nous avons créé un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.
Q - C'est M. Solana qui coordonne ?
R - Oui, c'est logique que M. Solana qui ait choisi pour ce poste qui doit animer la partie commune de nos politiques étrangères, il y a des politiques étrangères nationales dont il faut préserver le dynamisme et cette partie commune. Et M. Solana est chargé, c'est logique, de faire ce travail et il sera assisté par la Commission qui a le budget, car il faut combiner la définition politique et les moyens et le commissaire compétent est M. Patten.
Les chefs d'Etats et de gouvernements l'ont nommé comme un patron collectif, la priorité en ce moment étant d'avancer dans cette affaire des Balkans, nous savons que c'est très difficile, nous ne sommes pas déçus car nous savons que c'est compliqué mais il faut tout de même s'organiser mieux pour la suite.
Q - Javier Solana a dit qu'il était prêt à assumer cette tâche et toutefois, il a dit qu'il n'y aurait pas de stabilité dans les Balkans aussi longtemps que Slobodan Milosevic restera au pouvoir. Est-ce votre sentiment ?
R - Je pense et nous pensons qu'un changement de régime à Belgrade faciliterait énormément tous les problèmes que nous rencontrons dans le traitement des questions de la Serbie elle-même, de la Serbie et le Kosovo et le Monténégro, les autres pays voisins et même la question de la Bosnie.
Q - Vous vous demandez parfois si finalement, ce qui s'est passé n'a pas conforté les pouvoirs de Slobodan Milosevic ?
R - Mais, je crois que ce qui s'est passé ne remet pas en cause le fait que nous avons fait ce que nous devions faire. Malheureusement, il fallait le faire, le président Milosevic avait barré toutes les autres issues. Mais nous avons également décidé à Lisbonne de maintenir la pression sur les gouvernements, sur les responsables serbes et Yougoslaves et d'adopter une politique différente concernant la société serbe. Et M. Solana, puisque vous parlez de lui, a repris l'idée française à l'origine consistant à dire qu'il faut ouvrir la Serbie et contribuer à développer les relations avec le monde culturel, avec la société sur tous les plans. Nous avons plus de chances de bouger en faisant cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 2000)
Interview à RTL :
Q - Quelle est votre réaction de la France après cette victoire de M. Poutine au premier tour ?
R - M. Poutine vient en effet d'être élu dès le premier tour. Pour nous, la relation avec la Russie est très importante et la coopération entre la France et la Russie, l'Europe et la Russie est un élément essentiel de notre politique pour la stabilité et la paix sur le continent européen. Dans cette perspective, il est très important pour nous d'avoir des partenaires à Moscou avec lesquels on puisse coopérer sur des bases claires et utilement, pour accompagner la Russie dans sa démarche de modernisation, pour que ce pays se développe économiquement et socialement. Il faut aussi que l'Etat puisse remplir efficacement ses fonctions mais que ce soit un Etat de droit et bien sûr, que nous puissions travailler ensemble à la paix. Par exemple, à la paix dans les Balkans où les Russes sont des partenaires importants pour nous, que ce soit en Bosnie ou au Kosovo.
L'élection d'un nouveau président russe est un événement majeur et nous souhaitons pouvoir coopérer avec lui sur les bases que je viens d'indiquer.
Q - Comment interprétez-vous cette déclaration du patron de la politique étrangère M. Ivanov qui indique déjà qu'il y aura des modifications à la politique étrangère russe. A quel type de modification pouvez-vous vous attendre ? A plus de fermeté ?
R - Avant de commenter, le mieux est d'attendre de voir ce qu'il entend par là. Je pense que M. Poutine sera également attentif à ce que les occidentaux attendent et à ce qu'ils expriment. Sur le plan interne, c'est donc la modernisation de la Russie sur tous les plans et j'ajoute la Tchétchénie naturellement. Nous ne cessons de dire qu'en Tchétchénie, une solution militaire, surtout aussi brutale et indiscriminée que celle que nous avons vu n'est pas tenable, n'est pas viable, de plus elle est choquante. Nous attendons donc de M. Poutine des initiatives pour résoudre politiquement l'affaire de la Tchétchénie.
Sur le plan externe et en matière de politique étrangère, il y a de très nombreux domaines dans lesquels la coopération entre la Russie et les Occidentaux est importante pour le monde. A nouveau, je cite donc la Bosnie, le Kosovo, l'ensemble des Balkans, tout ce qui concerne la coopération et la sécurité en Europe, les accords de désarmement, avec toute la dimension entre les Etats-Unis et la Russie, mais cela nous concerne aussi par contrecoup, la négociation sur les antimissiles. La Russie est au Conseil de sécurité, la Russie fait partie du G8, donc une partie de l'équilibre et de la stabilité du monde dépend de la qualité de cette relation. Au moment où M. Poutine va prendre ses fonctions non pas par intérim mais comme président, il est très important qu'il sache quelles sont les attentes, les espérances et les demandes de ses partenaires occidentaux.
Q - Aviez-vous déjà reçu M. Poutine, une visite pourrait-elle se faire rapidement ? Soit de vous, soit de M. Poutine en France ?
R - J'avais été en effet reçu par M. Poutine à Moscou, comme l'ont été à peu près tous les ministres des Affaires étrangères des pays occidentaux et nous avions parlé de la modernisation de la Russie et de la Tchétchénie. Concernant les visites futures, rien n'est tout à fait arrêté. A l'époque, je lui avais transmis une invitation du président de la République pour se rendre en France ultérieurement et donc, pour le moment, nous en sommes là./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2000)