Texte intégral
N. Demorand.- Le RMI, Revenu minimum d'insertion, a 20 ans et il cède la place au RSA, Revenu de solidarité active. Le télescopage des dates est symbolique. Le RSA, c'est une approche radicalement différente de l'exclusion ?
Non, je ne dirais pas "radicalement différente". Et d'ailleurs, effectivement, symboliquement, on a voulu que la loi instaurant le Revenu de solidarité active, réformant les politiques d'insertion, soit datée du 1er décembre, elle sera promulguée aujourd'hui et on a voulu en même temps honorer les créateurs du RMI. Pourquoi ? Parce que c'est une approche différente, parce que la pauvreté est extrêmement différente, que la situation est différente, qu'il y a 20 ans de recul derrière, avec des succès et des échecs. Mais c'est la continuité, il y a quelque chose qui a été acquis il y a 20 ans, heureusement, c'est le principe que personne dans ce pays ne doit dépendre uniquement de la charité, publique ou privée, mais de droit, et ça il ne faut jamais jamais le remettre en cause. C'est ça la grande révolution du RMI d'il y a 20 ans, qui est toujours valable, et qui va être valable maintenant dans toute l'Europe, c'est de dire : "votre minimum de ressources, il n'est pas lié à la générosité d'untel ou d'untel", il est un lié à un droit. Votre appartenance à la société, c'est votre possibilité d'avoir des ressources minimum.
Alors, le RSA, c'est quoi, du coup, très précisément, c'est un changement malgré toute de philosophie ? C'est-à-dire qu'il va falloir travailler, pour le dire autrement ?
En fait, le RSA, c'est un renversement par rapport à la situation actuelle. Pourquoi ? Parce que le RMI a été conçu il y a vingt ans, en disant : il y a des gens qui sont dans cette société, n'ont pas de ressource, pas de couverture maladie, des droits à rien, parce qu'ils sont incapables de travailler. Et donc, on vient remplir une fonction, le filet pour les quelques, j'allais dire, "marginaux de la société" - c'est comme ça qu'on disait il y a 20 ans. Et aujourd'hui, on s'aperçoit que la grande majorité des personnes qui sont concernées par le RMI mais aussi par l'allocation de parent isolé, sont des gens qui peuvent travailler, qui veulent travailler. Donc il n'est pas question de les obliger à travailler, il est une question que la société s'oblige à tenir compte de leur demande, de leur besoin de travail. Et qu'est-ce que ça veut dire, très, très concrètement ? C'est que jusqu'à présent, dès que l'on avait un allocataire du RMI qui, par hasard, par chance ou par volonté, arrivait à travailler quelques heures, eh bien on lui déduisait l'ensemble de son salaire de son allocation. Donc il y avait des gens qui travaillaient pour des prunes, et pas peu de gens, beaucoup de gens. Donc, le RSA, ça consiste à dire : maintenant, cette allocation, elle va venir compléter les revenus du travail. On cherche à faire que tout le monde puisse avoir les revenus du travail comme socle de ses revenus, et il n'est pas honteux de les compléter par une allocation, qu'on soit passé par le RMI ou qu'on soit aujourd'hui une personne à mi-temps avec peu de ressources.
La clef de voûte, c'est donc le travail. Pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent travailler, est-ce que le RMI existe encore, en quelque sorte ?
Oui, la clef de voûte est double, c'est pour ça que ça s'appelle "solidarité active". Il n'y a pas une seule clef de voûte, la clef de voûte c'est le travail et c'est la solidarité. Donc pour quelqu'un qui aujourd'hui est au RMI et qui ne travaille pas. Qu'est-ce qui va changer ? Effectivement, à partir de juin prochain, son RMI s'appellera Revenu de solidarité active. A priori, le montant ne bougera pas, ça sera le même montant que celui qu'il connaît aujourd'hui, de 447 euros par mois. En revanche, s'il fait quelques heures de travail, dès ce moment-là, au lieu que ce soit déduit, il verra son activité augmenter. Mais surtout, au lieu de laisser les personnes pendant des années, quelquefois sans qu'elles aient de contacts avec la possibilité d'orientation professionnelle, il y a un principe qui est mis dans le texte, qui consiste à dire que tous les six mois on fait le point, et sur la dimension sociale et sur la dimension professionnelle, et que tous les acteurs s'organisent autour de cela. C'est pour ça qu'on va dans tous les départements, que l'ont fait le point avec tout le monde.
Mais l'acquis social d'il y a 20 ans demeure, à savoir le filet de sécurité ?
Bien évidemment, bien évidemment. Le RSA, ce n'est pas retour en arrière, ce n'est pas des restrictions sociales, le RSA c'est plus et c'est pour ça qu'on rajoute 1,5 milliard d'euros aux dépenses actuelles.
Alors, l'une des clefs de voûte, on l'a dit, c'est l'emploi. Le chômage remonte, l'emploi se raréfie, est-ce que ce n'est pas une hypothèque très lourde sur le RSA, aujourd'hui ?
C'est un besoin très fort de RSA. Pour deux choses. Ce que l'on a vu, et c'est comme ça, le RSA, on ne l'a pas fait sortir de notre tête, d'un carton, d'un coup de baguette magique, en improvisant, on a travaillé. On s'est fondé sur ce qu'on regardait au cours des dernières années. Quand l'emploi allait bien, il y avait des gens qui n'en profitaient pas, notamment les Rmistes, c'est-à-dire que quand l'emploi allait mieux, ça allait mieux beaucoup pour les gens, mais pas pour les Rmistes, la courbe ne suivait pas. Donc première chose qu'on se dit, c'est que quand ça va mieux, il faut que les Rmistes en profitent et le RSA permettra d'en profiter. Mais à l'inverse, quand l'emploi allait mal, ça chutait, alors, immédiatement, irrémédiablement, pour les gens aux minima sociaux, dont les Rmistes. Donc cette chute était brutale. Le Revenu de solidarité active, en période où ça va mal, il joue le rôle, j'allais dire "d'amortisseur" - ce n'est pas joli, mais c'est quand même mieux - à la fois en matière de revenu et à la fois en matière d'attention portée aux personnes. Imaginons une seconde que l'on arrive face à la crise et à la remontée du chômage, aujourd'hui, sans le Revenu de solidarité active, on se retrouverait avec des situations de perte de revenu qui seraient insupportables. De la même façon que quand on reprend du travail, on a la garantie d'en garder un peu dans sa poche, de la même façon que si on passe au chômage ou si on a moins d'heures de travail, la réduction de revenu est moins forte avec le RSA.
Combien va coûter le RSA en rythme de croisière ?
L'ensemble du RSA, c'est à peu près 10 milliards d'euros, parce qu'on y regroupe justement le RMI, etc. c'est 1,5 milliard d'euros nouveaux - qui a fait couler un petit peu d'encre, vous l'avez vu - supplémentaires. Et ce sera plus ou moins, suivant le recours à ce dispositif.
C'est vrai qu'il a fallu l'arracher, ce million et demi d'euros...
Milliard, milliard et demi ! Voyez, toujours ce mépris pour les plus faibles.
Ce milliard et demi, pardon, ce milliard et demi, milles excuses. Il a fallu l'arracher. Comment ressentez-vous la facilité avec laquelle, aujourd'hui, on a pu trouver par exemple 10 milliards pour les banques, alors qu'il vous a fallu arracher ce milliard et demi ?
Eh bien je la ressens d'une manière extrêmement simple, et de deux façons. La première, je me dis : je ne m'imagine pas être debout, avoir la moindre possibilité de venir à un micro, si on n'avait même pas eu le milliard et demi pour les plus faibles. Première chose. Et puis, deuxième chose, c'est : qu'est-ce que l'on fait depuis cinq semaines ? C'est de se dire dans le plan de relance, et les plus démunis, et les plus modestes, et donc est-ce que l'on sera à la hauteur ? On ne s'arrête pas, ce n'est pas pour solde de tout compte, c'est-à-dire qu'à partir d'un moment où le contexte change, il faut effectivement aussi les aider. Donc on n'est pas là à se demander, à faire de la jalousie de milliards, on est là simplement à se dire que quand il y en a besoin, et aujourd'hui je pense qu'il faut renforcer la solidarité vis-à-vis des plus faibles, il ne faudra pas hésiter à ce que ce soit une dimension importante du plan de relance. C'est mon boulot de maintenant.
On va y venir, mais il vous a fallu tout de même batailler, pour avoir votre milliard et demi.
Oui, absolument.
Et ce devait être trois milliards, si je ne m'abuse, avant. On vous l'a coupée en deux, la poire, là...
J'avais dit entre deux et trois milliards, il y a eu 1,5 milliard. Et puis, par ailleurs, on a rajouté 500 millions d'euros pour les départements. Donc on est dans le bas de la fourchette, plutôt en dessous, mais dans des moyens dans lesquels on a vu qu'on pouvait le faire.
Justement, mercredi, discours attendu du président de la République sur la grande pauvreté. D'autres mesures peuvent être annoncées, dans le contexte très particulier de cette crise économique, où toutes les associations qui ont en charge l'aide sociale tirent la sonnette d'alarme.
Oui, elles tirent la sonnette d'alarme, et on a fait régulièrement le point avec elles, ce n'est pas les associations d'un côté et nous qui regarderions passer les trains. Bien sûr qu'il faudra dire d'autres choses, à partir d'une donnée qui est très simple, qui m'obsède. Quand on regarde l'évolution des dépenses contraintes des 20 % les plus modestes, c'est-à-dire juste de 12 millions de Français, qu'est-ce qui se passe ? Les dépenses contraintes, c'est-à-dire uniquement logement, assurance, impôts, remboursement d'emprunt. En 2001, cela représentait la moitié de leurs ressources, en 2006, dernière année connue, ça représente les trois quarts de leurs ressources, c'est-à-dire ce que l'on appelle le reste à vivre, a été divisé par deux, divisé par deux ! Donc il n'y a pas à s'étonner qu'il y ait des gens qui ne sont pas forcément les plus exclus, qui aillent prendre quelques repas dans les banques alimentaires, aux Restos du Coeur ou au Secours Catholique, il n'y a pas à s'en étonner. Il n'y a pas à s'étonner qu'il y a des personnes qui soient prises à la gorge par le surendettement parce que plus on est pauvre, plus on paie le crédit cher, parce que ce n'est pas aux pauvres que l'on va prêter à 4 %, on va plutôt leur prêter à 18 %, 19 %, par rapport à des crédits à la consommation. Donc si votre question est : est-ce que je plaide pour que ceci soit pris en compte dans le plan anti-pauvreté et que les digues soient montées, la réponse est oui.
Et ma question était : est-ce qu'on vous entend plaider et est-ce qu'on va vous donner satisfaction ?
D'abord, merci de m'avoir invité, j'espère que les auditeurs m'ont entendu plaider et...
Ce n'est pas eux qui ont les cordons de la bourse...
Non, mais ils y contribuent, parce que si les responsables politiques sentent que l'opinion publique a conscience de cela, ça aide à prendre des décisions. Il ne faut jamais être manichéen de ce point de vue là. Oui, moi j'ai eu l'occasion d'en discuter avec le Premier ministre, avec le président de la République de ça, et puis vous verrez, on n'est jamais complètement entendu mais on essaie de l'être suffisamment.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er décembre 2008