Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Il a son franc-parler, il dit ce qu'il pense. M. Hirsch est avec nous. Bonjour.
Bonjour.
Vous êtes Haut commissaire aux Solidarités Actives contre la pauvreté, ancien président d'Emmaüs France. Une question toute simple : un SDF dans la rue, sans tante c'est toléré, c'est risqué mais c'est toléré. Et un SDF avec tante ça embarrasse la voix publique. C'est ce que dit la justice. Oui, je sais effectivement... Vous faites allusion à la condamnation du DAL, etc.... Oui, je fais allusion à la condamnation du Droit au logement et de à la condamnation de l'association les "Don Quichotte".
Moi, je plaiderais pour une chose très simple. Les associations comme Emmaüs, comme DAL, etc. ont eu l'habitude de secouer les pouvoirs publics par des actions spectaculaires.
Oui, pas toujours bien comprises mais spectaculaires.
Pas toujours bien comprises. Quelquefois...
Excessives parfois.
Excessives, mal réalisées. Excessives quand elles prennent un petit peu en otages les personnes en difficulté. J'ai eu l'occasion de le dire, moi je le dis comme je le pense. En revanche, on ne met pas à genoux des associations en les condamnant à des amandes, parce qu'elles ont fait ce type d'action. Pour moi, vous ne m'ôterez pas l'idée que cela fait partie d'un mode d'action d'un certain nombre d'associations, qui sont nécessaires et sur lesquelles, encore une fois...
Vous condamnez ces condamnations ?
Non, mais je plaiderais pour que soit l'Etat ne demande pas les produits de ces amendes, soit passe l'éponge, mais cela ne me paraîtrait pas normal qu'on aille leur demander de l'argent...
Faire payer des associations qui défendent les plus modestes, ceux qui sont sans abri, tout simplement parce qu'ils sont installés dans la rue. Ces associations sont consacrées à aider les familles plutôt qu'à revendiquer... Vous allez demander ça à l'Etat, donc ?
Comme j'en fais partie...
Oui, évidemment...
Ce n'est pas moi tout seul. Je ne peux pas le décider tout seul, mais c'est ma position et je la défendrai mordicus.
""Plus personne ne sera obligé de dormir dehors sur les trottoirs d'ici deux ans". C'est N. Sarkozy qui avait fait cette promesse...
Oui, oui, je me souviens.
Vous vous souvenez ? Il lui reste six mois. Il vous reste six mois.
Je me souviens très bien parce que j'avais eu une discussion très vive avec le candidat de l'époque sur ce sujet, en disant : attention, ce type d'engagement il faut être capable de le tenir. Et donc ça passe par toute une stratégie de réduction de la pauvreté, parce que souvent une partie des gens qui sont à la rue, c'est la fin de tout un processus. Donc si on ne s'intéresse qu'à la fin du processus, on n'est pas sûr d'y arriver. Donc, c'est pour cela qu'il y a toute cette stratégie. Moi je pensais qu'on ne pouvait pas y arriver en 18 mois ou en deux ans. Je pense qu'on doit se fixer cet objectif-là et l'atteindre et qu'il y a toute une série d'étapes qu'il faut mettre en oeuvre. Je pense qu'aujourd'hui on doit faire mieux que ce qu'on fait. Si vous voulez... J'étais frappé - on va le suivre de près - mais sur l'état d'une maraude avec le SAMU social l'autre nuit. J'ai vu qu'il y avait encore des gens auxquels on refusait de places d'hébergement, qui en avaient besoin. Vous savez, souvent, on dit : mais ils veulent quoi ? Mais parce que, pour une raison qui est assez compliquée, si je peux me permettre, c'est que vous vous rappelez quand il y a eu toute l'inquiétude légitime en disant : on ne demande pas à un SDF de rentrer dans un foyer d'hébergement pour le remettre à la rue demain matin. Donc, on stabilise les places pour ne pas les remettre à la rue le lendemain. Mais du coup, il y a des personnes qui ont vu leur situation s'améliorer en pouvant rester plus longtemps dans les centres d'hébergement, mais d'autres qui n'ont pas eu accès à ces centres d'hébergement. Là, le plan d'hiver arrive à point nommé, si je puis dire, pour transitoirement aider les situations, mais cela veut dire qu'il n'y a toujours pas assez de maisons relais, de situation de sortie pour le moment. Je peux le dire, tout en...
M. Hirsch, moi je me mets à la place de tous ceux qui nous regardent, qui nous écoutent, on trouve des milliards d'euros pour aider les banques très vite, comme ça d'un coup, en deux déclarations et on ne trouve pas quelques centaines de millions d'euros, même un milliard ou deux milliards d'euros pour aider ceux qui en ont besoin, les plus pauvres, les plus démunis ?
Ecoutez ! Un, on a trouvé un milliard et demi d'euros...
Oui, mais c'est plus difficile, mon cher M. Hirsch, pour le RSA.
Oui, exactement. Ca a été difficile...
Vous vous êtes battu pour cela, vous le savez bien.
Je le sais bien. Je suis payé pour le savoir, c'est mon métier. C'était difficile mais arrêtons-nous deux secondes, parce que qu'est-ce qu'on disait il y a quelques mois ? On disait, c'était : "mais ce n'est pas nécessaire, mais pourquoi est-ce qu'on consacrerait de l'argent aux personnes qui ont le plus de difficultés, etc. ? C'est déjà pas mal que tout le monde reconnaisse aujourd'hui, j'espère qu'ils le reconnaîtront cette après-midi à l'Assemblée nationale que tout le monde reconnaisse qu'il fallait faire le RSA.
D'ailleurs, vous demandez - tiens je fais une parenthèses - vous demandez à tous les partis politiques de voter le RSA.
Oui.
Union nationale. Vous demandez l'union nationale.
Je demande que chacun se mette en accord avec sa propre conscience. C'est-à-dire que je pense que personne ne peut en conscience considérer qu'aujourd'hui un milliard et demi pour les plus démunis, pour les travailleurs pauvres et pour les salariés modestes, c'est quelque chose sur lequel on peut rester indifférent, donc soit s'abstenir, soit voter contre. Donc, je me mets dans la peau... Cette situation-là, elle est extrêmement claire et donc je pense qu'on ne peut pas prendre prétexte du bouclier fiscal, qui est dans une autre loi et pas dans celui-là, de toute une série d'arguties. Et je rappelle que grâce au Parlement, on a fait dix progrès majeurs au cours de cette loi, on a fait un fonds d'expérimentation pour les jeunes, on a prévu que les aides données aux entreprises pouvaient être subordonnées au fait qu'elles prévoyaient des emplois à plein temps. On a prévu toute une série de choses. On a dit oui à toutes une série d'amendements : communistes, socialistes, UMP, Nouveau centre, pour qu'il y ait un vrai dispositif enfin de lutte contre la pauvreté. On est prêt à aller plus loin, je vais y revenir, parce qu'en ce moment, on ne peut pas s'arrêter là. Et donc je dis : vous aurez du mal ensuite... Justement, vous ne pouvez pas tenir l'argument qu'on a donné trop d'argent pour les banques, et au moment où on sort un milliard et demi pour les plus pauvres, tourner la tête et regarder ailleurs. Je veux bien qu'on compte les voix dans les partis pour savoir qui gagne, mais j'aimerais bien aussi qu'on compte sur les élus pour aider les plus défavorisés au moment où il y en a besoin, parce que je n'aime pas être tout seul dans cette situation là. Je trouve qu'il y a un moment où il faut être aussi en responsabilité. Et je ne trouverais pas normal qu'il y a 20 ans, quand il y avait le RMI, la droite et la gauche se soient retrouvées, et qu'aujourd'hui, eh bien voilà, on se demande si on fait un petit peu les coquettes ou les "chochotes" pour savoir si effectivement on y va. Donc maintenant, on y va. Et se sera d'autant plus facile ensuite de demander qu'on aille une étape plus loin, parce que le RSA, il s'appliquera en juin, d'ici là il y a une crise, et aujourd'hui, il y a des gens en difficulté.
Que demandez-vous, aujourd'hui ?
D'abord, je demande qu'on regarde les chiffres et les données. Il y a une chose qui m'obsède. J'ai regardé comment avait évolué ce qu'on appelle "le reste à vivre" qui pour certaines personnes est plutôt "le reste à survivre". Il y a une chose qui devrait, je trouve, mobiliser toute l'attention de tous les pouvoirs publics, là aussi, de la majorité et de l'opposition. C'est une chose très simple. Quand vous regardez les 20 % des Français les plus modestes, c'est-à-dire juste 12 millions de Français.
12 millions !
Avant, la part des dépenses qui étaient consacrées obligatoirement au logement, aux taxes, à l'assurance, etc., c'était la moitié de leurs revenus. Maintenant c'est les ¾ de leurs revenus. Autrement dit, quand vous avez 1.200 euros, avant, vous aviez 600 euros qui partaient directement en factures, il restait 600 euros pour vivre ; aujourd'hui, il y a 900 euros qui partent et il ne reste plus que 300 euros. Donc, quand vous avez quelques heures en moins, vous passez dans le rouge. Pour vous donner un exemple : quand, en revanche, vous avez 6.000 euros par mois de revenus, donc dans les revenus plutôt élevés, là vous avez 2.000 euros qui partent effectivement, mais il vous reste 4.000 euros pour vous nourrir, pour vous loger etc. Donc, là, vous avez un problème qui nécessite d'agir.
Alors que fait-on ? Que proposez-vous ?
Moi je propose... D'abord, cela fait des semaines qu'on se dit la crise est là, elle va bien arriver sur les pauvres. Donc, on consulte les uns et les autres, et on mettra tout à l'heure sur le bureau du président de la République et du Premier ministre quinze propositions, une centaine de documents d'une centaine de pages (sic), qui s'alignent sur trois axes. Premièrement, il faut pouvoir soutenir...
Je note, hein...
Oui, oui, vous pouvez noter. Trois axes : un, il faut pouvoir soutenir les revenus des plus faibles...
Comment ?
Alors, le RSA va arriver. Est-ce qu'il faut le mettre plus tôt, est-ce qu'il faut faire un dispositif de transition d'ici là, etc. Mais il faut pouvoir dire aux gens les plus en difficulté, aux travailleurs pauvres, aux salariés modestes : vous n'allez pas trinquer pendant les premiers mois, même si la (...) subsiste. Ou on fait un système de transition, mais il y a... A mon avis, il faut faire quelque chose de soutien à l'emploi. Il ne faut pas laisser... Deuxième chose, moi j'ai remarqué que pour les pauvres, tout coûte cher y compris le crédit. Donc, on a fait le volet "les relations entre les banques et les entreprises". Je pense que "les relations avec les particuliers" sont aussi importantes.
C'est-à-dire ?
C'est-à-dire crédit à la consommation, prévention du surendettement...
Alors, moratoire sur les crédits à la consommation, les crédits revolving. Les supprimer ? Les suspendre ?
On ne décrète pas le moratoire tout seul.
Non, je suis d'accord.
Je veux dire au moins on met sur la table et on dit : est-ce que vous êtes capable...
Vous le demandez ?
Je demande absolument, comme un certain nombre de sénateurs, comme le médiateur de la République, comme tous les gens qui ont regardé, un peu fouillé ou un peu creusé et qui ont reçu le courrier des gens qui ont cinq ou dix crédits supplémentaires. Je demande effectivement qu'on arrête la spirale du surendettement, qui passe par une sorte d'accès toxique au crédit. Moi, hier...
Cela veut dire quoi ? Mais comment, concrètement...
Cela veut dire quoi ? Cela veut dire...
Non, mais attendez, j'ai compris ce que vous demandez, mais concrètement, cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'on interdit le crédit revolving ? C'est-à-dire qu'on dit aux sociétés de crédit : ne proposez plus de crédit revolving, de crédit à la consommation ?
Non, pas forcément. Pas forcément...
Alors, comment ?
Mais non, il y a plein de manières de faire. Par exemple, il y a des propositions... Ensuite, on va piocher les meilleures propositions. Mais il y a celles qui disent que par exemple, on ne le met pas en accès direct au moment où on va acheter son électroménager, etc., où il est plus facile d'avoir un crédit revolving qu'un crédit stable.
Rendre l'accès au crédit revolving plus difficile, quoi !
Moi, ce qui m'a frappé, ce que je disais à des banquiers, hier, qui disaient : on n'est pas sûr que pour le crédit social responsable - celui qui se fait, vous savez, sans essayer de gagner de l'argent sur le dos de ceux qui empruntent- il n'est pas sûr qu'il y ait une demande pour cela. Moi, je dis il y a une demande immense. Sauf que les gens en difficulté sont inondés de propositions pour du crédit facile, cher et malsain, et ils ne sont jamais sollicités ou aidés pour du crédit qui soit ce qu'on appelle le crédit responsable. Donc, il faut penser à les démultiplier, et il faut effectivement que si des engagements fermes ne sont pas tenus, me semble-t-il, pouvoir restreindre... Moi je ne suis pas en train de dire...
Restreindre le crédit à la consommation ! Bien, on y revient dans deux minutes. Attendez M. Hirsch...
Je veux du crédit style "rasoir à deux lames" : il y a une première lame, volontaire, et il y a une deuxième lame, coercitive.
Coercitive ! Bon, on est ensemble dans deux minutes... [Pause] Nous réfléchissions ensemble pendant la pub, et vous me disiez quelque chose d'évident, mais vraiment, vraiment ! Je suis un ménage modeste, je veux emprunter 1.000 euros. Taux d'intérêt : 9 %. Je veux emprunter 10.000 euros ; taux d'intérêt : 6 %. Pourquoi est-ce que les organismes financiers, les banques ou autres prêtent à 5,20 % ou 5,30 %, lorsqu'il s'agit d'un achat immobilier ? Et pourquoi ces mêmes organismes, banques ou autres, prêtent à 8, 9, 10, 12, 15 et même 17 % lorsque c'est un crédit à la consommation ?
Pour pousser à la roue. Parce qu'il y a des gens qui sont prisonniers du crédit et donc qui n'ont pas de choix. Il y a une sorte de clientèle captive. Et puis, parce qu'ils estiment que les gens les plus en difficulté auraient plus de risques, et donc ils leur font payer. Les pauvres assurent les pauvres, si je puis dire. Les pauvres pour les pauvres.
Alors, vous faites quoi contre cela ? Vous demandez quoi à tous ces organismes ?
J'en discutais avec des responsables bancaires hier, je leur dis : je ne comprends pas pourquoi vous êtes si frileux sur ce qu'on appelle le micro crédit social, où on aide effectivement, avec 1.000 euros, 2.000 euros, pour réparer sa chaudière à 2 ou 3 %. Et là, vous dites : Oh là, là ! Il faut un accompagnement social, trois assistantes sociales qui vérifient que les gens dépensent bien. Et quand on a besoin d'un crédit à la consommation, on claque des doigts et on l'a immédiatement. Donc, je pense qu'il faut - mais c'est difficile parce que cela fait un certain nombre d'années que je me bats là-dessus...
Vous vous battez, je le sais, sur ce terrain.
Et les enjeux, les personnages sont coriaces, donc le système, parce qu'il y a beaucoup d'intérêts, dans tous les sens du terme d'ailleurs. Des taux d'intérêt élevés, et de l'intérêt à égalité... Moi, je pense qu'il faut qu'on passe à démultiplier sur du crédit responsable, qu'on puisse garantir les gens en difficulté. La première offre qui a été faite était l'offre la moins chère sur le marché disponible, ensuite...
Et que l'on inverse la tendance, quoi ?
Et ensuite, si on veut la refuser et si la personne veut....
Et qu'on ferait des crédits à la consommation à 4, 5, 6 pourcent, quoi ?
Je pense, oui. Mais c'est ce qu'on appelle la micro...
Qu'on impose ce crédit à la consommation ?
C'est le micro crédit social, voilà. Et je pense qu'on a... C'est le moment de pouvoir discuter avec les banques de cela, il me semble.
Bon. Alors, sur l'emploi, très vite, parce que le temps presse. Sur l'emploi des plus modestes, certains ont du travail aujourd'hui, mais vont se retrouver au chômage peut-être dans les semaines qui viennent. Là, vous proposez dans des bassins d'emplois, aux employeurs de se regrouper pour employer les personnes qui sont en difficulté ?
Je vous dirais que... moi il me semblait, ce que je propose c'est qu'on agisse sur trois fronts. Donc, premier front : soutien aux bas revenus, parce qu'il ne faut pas qu'ils trinquent dans la période difficile. Deuxième front, c'est qu'ils ne payent pas cher le crédit, mais aussi toute une série de choses, le logement, etc. Et puis, donc, il y a des choses qu'on peut faire, on vient d'en parler pour le crédit. Et puis, troisième chose, c'est continuer à soutenir l'emploi. C'est-à-dire que comme il risque d'y avoir un choc d'inactivité, qu'on soit présent. Et ce qu'on a fait... Vous savez, moi je fais de l'expérimentation, pas dogmatique... A Nantes Saint-Nazaire, où il y avait des entreprises qui avaient du mal à recruter, on les a aidées à se regrouper pour qu'elles puissent embaucher très rapidement des gens qui sont au chômage depuis longtemps. Ils passaient des tests à l'ANPE, et on leur disait : vous êtes aptes à travailler, mais il n'y a personne pour vous embaucher, ou personne qui n'ose vous embaucher, parce que vous étiez au RMI, etc. Elles sont embauchées directement par un groupement d'activités, et donc il y en a déjà une centaine qui ont été embauchées comme cela, et ensuite, elles vont directement en CDI. Directement CDI, et puis, ensuite, elles peuvent travailler pour l'une ou l'autre des entreprises, et quand il n'y a pas, ou baisse de travail, formation immédiate qui reste rémunérée. C'est un système qui est en train de monter en charge. Moi je propose qu'on le fasse partout où il y a des pôles de compétitivité, partout, dans cent endroits en France, par exemple. Cela a l'air de rien, mais cela peut être 10.000 emplois, puis 20.000 emplois, puis 30.000 emplois, parce qu'il faut jouer sur ce front-là également. [...]
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 novembre 2008