Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté à Canal + le 19 novembre 2008, sur la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) et la pauvreté en France.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Canal Plus

Texte intégral


 
 
M. Biraben, C. Roux & L. Mercadet M. Biraben : Le Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, M. Hirsch, est notre invité. C. Roux : Oui, ancien président d'Emmaüs, qui constate lui aussi une poussée de la pauvreté. Sa solution tient en trois lettres : RSA, Revenu de solidarité active. Mais est-ce qu'elle sera suffisante pour faire face à la lame de fond de la crise qui devient concrète un peu plus chaque jours ?
 
M. Biraben : M. Hirsch, bonjour, est-ce que la crise économique, puis la crise sociale annoncée justifient pour vous un effort de solidarité supplémentaire ?
 
Probablement, oui, bien sûr, elle justifie dès maintenant une très grande vigilance, parce que les conséquences sociales de la crise bancaire sont devant nous. Donc une très grande vigilance, être attentif aux différents signaux, pas attendre les statistiques officielles pour agir ou réagir, mais faire le point comme on le fait avec les associations, avec les crédits municipaux, avec les banques et puis bien sûr que la solidarité est la meilleure arme contre ce type de crise.
 
C. Roux : Mais pour l'instant, juste de la vigilance ?
 
Non, non, c'est à la fois de la vigilance et de la préparation. Je vais vous dire comment on fait nous. Cela fait un mois et demi qu'on est dans les turbulences. Depuis un mois, on s'est intéressé, on a écouté les différents économistes, les associations, les syndicats, on se balade pas mal sur le terrain pour voir. Et puis, avec mon équipe, on a travaillé en se disant : voilà, il y a visiblement des têtes de chapitre qui sont incontournables.
 
C. Roux : Alors lesquelles ?
 
Surendettement, prévention du surendettement, accès au crédit, pas simplement pour les PME - on en a beaucoup parlé et c'était très important, c'était l'urgence - mais accès au crédit des particuliers. Moi, ma hantise c'est qu'on les remette dans des crédits à la consommation avec des taux d'intérêt qui produisent du surendettement. Donc il y a là des systèmes de crédit qui sont mieux pour les plus faibles. Il y a soutien aux bas revenus. Vous avez parlé du RSA, il arrive en juin, qu'est-ce qu'il faut faire d'ici là ? Il y a les questions du logement, il y a la question des jeunes sur lesquels je dis et redis qu'effectivement ce sont souvent les catégories les plus vulnérables, enfin, il y a beaucoup de choses à faire.
 
C. Roux : Oui, il y a beaucoup de choses, cela fait trop.
 
Non !
 
C. Roux : Je veux dire par là, est-ce qu'il y a une priorité, est-ce que vous vous dites : attention, la crise est déjà là et elle frappe en particulier tel type de population sur laquelle il faut d'ores et déjà commencer à agir.
 
Oui, il y a évidemment la priorité des travailleurs pauvres qui préexistait, ce n'est pas parce qu'il y a la crise qu'on doit tout d'un coup oublier ceux qui souffraient jusqu'à présent, si vous voulez et qui risquent d'être... qui sont toujours les plus vulnérables, pourquoi ? Pour une raison extrêmement simple, c'est parce que leurs revenus, si vous voulez, sont très sensibles à la conjoncture. Ils ne sont pas stables, comme mon revenu qui est un revenu de haut fonctionnaire, ou de responsable, voilà, qui a été calé, à un moment donné, qui est calé, comme vos revenus j'imagine. Mais il y a des gens dont les revenus, parce qu'ils sont dans des services d'aide à la personne, parce qu'ils sont dans des endroits où on leur donne des heures en plus ou des heures en moins - leurs revenus peuvent diminuer de 50 ou 80euros. Et ce qu'on sait bien, s'il y a un chiffre, si je peux être un tout petit peu techno sur un chiffre, c'est que les gens qui sont modestes savent quelque chose, c'est qu'avant, il y avait la moitié de leurs recettes, de leur budget, de leur salaire qui partait en factures de logement etc., maintenant il y a les trois quarts, les trois quarts ! Donc il ne reste plus qu'un quart disponible et donc quand cela diminue un peu, cela peut avoir un effet complètement déstabilisateur. D'où le fait qu'il faut marteler, qu'il faut s'intéresser aux plus modestes et puis faire l'effort nécessaire.
 
M. Biraben : Une question de téléspectateur avec Léon tout de suite. L. Mercadet : Oui, c'est Audrey qui demande une précision sur le seuil de pauvreté. Elle dit, est-ce que le seuil de pauvreté cela a encore un sens aujourd'hui ? Croyez-vous vraiment que l'on puisse vivre décemment avec un revenu de 900euros par mois entre le loyer, l'eau, l'électricité ?
 
Non, le seuil de pauvreté, cela ne sert pas à dire : vous avez un euro en dessous du seuil, vous êtes pauvre, vous avez un euro au-dessus, vous êtes riche. Non, cela sert à avoir un thermomètre pour suivre les choses, voilà. Cela sert simplement à avoir une ligne de mire, à avoir des objectifs, à essayer de faire en sorte qu'on puisse faire en sorte que ceux qui sont en dessous passent au-dessus, le plus haut possible. Cela ne sert pas à dire : à un euro près, vous vous en sortez, vous ne vous en sortez pas. Mais un mot là-dessus, parce que la première arme qu'on a maintenant... le fait qu'on ait travaillé pendant un an, avec les associations, avec les syndicats à définir des objectifs de réduction de la pauvreté. A un moment on ne prévoyait pas la crise, eh bien cela nous oblige au moment où la crise est là, cela permet à tous les acteurs, de dire : est-ce que le Gouvernement tiendra ses objectifs de lutte contre la pauvreté ? Et moi, je suis là pour dire : on n'y renonce pas, même quand c'est dix fois plus dur à cause de la crise.
 
C. Roux : Alors je reviens à ce que vous étiez en train de nous dire avant la question d'Audrey. Vous nous dites : il faut s'intéresser aux plus modestes et faire un effort supplémentaire. La question est tout simple : est-ce qu'il faut un effort financier supplémentaire en direction des populations les plus touchées et est-ce que ce geste va venir de la part du Gouvernement ?
 
Ecoutez, le raisonnement est assez simple, c'est ce que je disais il y a un instant sur les objectifs de réduction de la pauvreté. Moi il me semble qu'il faut d'abord redire que ces objectifs existent et que l'on fera tout pour que les digues soient fortes, voilà. Soit les éléments pessimistes se concrétisent, et dans ce cas là, cela me paraît moi naturel, et je ferai tout ce qui est dans mon pouvoir, dans ma force de conviction pour que cet effort financier soit fait et protège et qu'on puisse dire, les yeux dans les yeux aux catégories les plus modestes qu'elles ne vont pas trinquer, voilà c'est clair ! Je voulais vous le redire...
 
C. Roux : Oui, mais le moment n'est pas venu, c'est ça, le moment n'est pas venu pour l'instant de faire un effort. Par exemple, vous n'étiez pas à la réunion à Matignon sur le plan anti crise. On se dit, c'est quand même curieux que le Haut commissaire aux Solidarités actives n'y soit pas, alors qu'aujourd'hui, il y a des gens qui souffrent de la crise ? Est-ce que ça, vous le vivez comme ça ...ou pas du tout ?
 
Moi je ne m'impose jamais dans les réunions et en revanche j'ai toujours le caractère suffisamment têtu pour que les idées que je défends s'imposent à un moment ou à un autre, assez naturellement.
 
C. Roux : Alors J. Lauprêtre, président du Secours Populaire, dit dans VSD cette semaine qu'il ne voit pas l'effet bénéfique du RSA. Il dit, dans les régions où la mesure a été mise en place, le Secours Populaire n'a pas vu sa fréquentation baisser. Est-ce que le RSA, étant donné les circonstances, reste la solution anti crise ?
 
Là, avec des guillemets et des majuscules : « NON ». Et je ne l'ai jamais dit, même avant la crise, ce n'est pas la seule solution, il ne faut pas être mono maniaque là-dessus. En revanche, le Revenu de solidarit?? active a deux effets : il y a un effet que Julien ne voit pas forcément directement, parce qu'on en est à la phase expérimentale, mais qui est indéniable, qui est que cela aide des gens à reprendre du travail et donc là, où on expérimente le RSA, il y a plus de gens qui reprennent du travail. Et puis il y a un autre effet, qu'on va voir dans la crise, parce que tout le monde se moquait de moi, en disant : est-ce qu'il faut vraiment dépenser de l'argent pour ces gens en difficultés ? Eh bien on a vu, le RSA cela marche quand les gens reprennent du travail, mais cela marche aussi et heureusement quand les gens travaillent un peu moins, parce que cela atténue ses effets. Vous vous rappelez le slogan qui consistait à dire : quand vous travaillez plus, avec le RSA il y en a un peu plus qui va rester dans votre poche. Eh bien pour ceux qui malheureusement travailleront moins, avec le RSA, il y en a un peu moins qui quitteront leurs postes. Parce qu'effectivement, la partie revenus complémentaires augmentera si la partie revenus du travail diminue. Cela atténue et c'est la moindre des choses.
 
C. Roux : Alors il y a une polémique avec la majorité sur le financement du RSA. Il était convenu que le plafonnement des niches fiscales - cela a été voté hier à l'Assemblée nationale - sert au financement du RSA, donc c'est 200 millions d'euros. Est-ce que ce sera le cas, est-ce que le plafonnement des niches fiscales servira au financement du RSA, est-ce que vous avez la certitude de ça ?
 
Peut-être, j'ai la certitude... non, non, il n'y a pas d'entourloupe. La première chose, la première certitude : il y a un mois, on disait à ceux qui ne voulaient pas nous croire : on fera, pour la première fois de la vie, de la France... pour la première fois, elle connaîtra un plafonnement des niches, je dis la première fois, parce que la première fois depuis 1789. 1789, on arrive en disant "Déclaration des droits de l'homme", chacun paie des impôts. Et deux cents ans après, il y en a qui ne paient pas d'impôt. Donc plafonnement c'est fait, ce qu'on a mis dans la loi c'est simple, c'est : on peut utiliser cet argent pour faire baisser l'autre taxe. Moi je me dis qu'en période de crise, on aura peut-être besoin et de l'argent de la taxe et de cet argent là, en plus - mais bon, pour l'instant je suis le seul à le penser, mais bon.
 
C. Roux : Mais alors, il y a quelque chose que l'on ne comprend pas et on est content d'avoir un membre du Gouvernement ce matin. On nous dit, plafonnement des niches fiscales et puis cette nuit on apprend qu'il y a eu une augmentation des niches fiscales pour les emplois à domicile. Donc cadeau en gros à ceux qui peuvent employer des gens à domicile, donc expliquez-nous.
 
C'est cadeau dans une enveloppe, plafonnement global. J'aime "plafonnement global des niches" pour être sûr qu'il n'y a personne qui ne paie pas d'impôt. Et puis, il y a des niches qui augmentent et qui diminuent. Alors par exemple, ce qui s'est passé, c'est que les niches Outremer ont diminué et que les niches emploi à domicile ont augmenté, globalement...
 
C. Roux : Vous êtes favorable à ça ?
 
Moi je suis favorable surtout au plafonnement global. Je pense que ce n'est pas le moment de donner plus quoi.
 
L. Mercadet : Une question de Jean sur le RMI. Que pensez-vous de l'obligation qui est demandée au érémiste de faire un projet professionnel tous les trois mois, est-ce que ce n'est pas une forme de harcèlement ?
 
Je ne crois pas, je trouve qu'il y a surtout une forme de désengagement et de laisser pour compte d'un certain nombre d'allocataires du RMI. Moi ce que je vois le pus souvent, ce n'est pas le fait de faire un projet professionnel tous les trois mois, c'est le fait d'avoir pu être laissé pendant trois ans ou pendant quatre sans qu'on parle de leur projet professionnel. Donc pour le RMI, le risque ce n'est pas qu'ils aient à refuser deux offres d'emploi, valables. La chance, c'est que pour une fois, on leur offre deux possibilités d'emploi valables, donc voilà c'est assez clair. Alors il y a peut-être des gens qui sont harcelés, qui sont avec un conseiller avec lequel cela se passe mal, etc. C'est pour ça qu'on a organisé avec les associations, le fait qu'ils puissent un peu choisir leur référent. S'ils se sentent harcelés par quelqu'un, qu'ils puissent se faire accompagner plutôt par quelqu'un d'autre.
 
M. Biraben : Merci beaucoup M. Hirsch, d'avoir été avec nous.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 novembre 2008