Tribune de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et David Miliband, ministre britannique des affaires étrangères, publiée dans "Le Monde" le 6 décembre 2008, intitulée "Saint-Malo, dix ans après".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Il y a dix ans, les dirigeants français et britanniques se sont rencontrés à Saint-Malo. Leur préoccupation majeure était le terrible conflit des Balkans auquel le reste de l'Europe semblait impuissant à mettre un terme. Les deux pays ont conclu que l'Europe avait besoin d'une nouvelle approche des crises : les pays de l'Union européenne devaient trouver leur propre mode de coopération en matière de défense et de sécurité, en complément à l'OTAN.
Aujourd'hui, fort heureusement, les Balkans sont globalement en paix. Les défis actuels - et plus encore ceux de demain - sont susceptibles de provenir de plus loin, en particulier des Etats en faillite et fragiles, où criminels et terroristes trouvent refuge. Mais il reste vrai que les pays européens devraient s'y attaquer ensemble.
Dix ans après la déclaration de Saint-Malo - selon laquelle l'Union européenne devait "avoir une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles" -, la défense et la sécurité européennes sont arrivées à maturité. Depuis sa première mission de surveillance dans les Balkans en décembre 2000, l'Union européenne a lancé plus de vingt opérations civiles et militaires sur trois continents.
Des soldats, des policiers et des experts civils des Etats membres de l'Union européenne sont en train de constituer des forces de police en Bosnie-Herzégovine, en Afghanistan et en Palestine. Ils ont surveillé un accord de paix en Indonésie et contribué à la protection des populations comme à la sécurisation des régions orientales du Congo et du Tchad. Une nouvelle mission "Etat de droit" commence officiellement à aider le Kosovo à mettre en place une force de police, un appareil judiciaire et un service des douanes plus efficaces.
Et, à la suite de la navette diplomatique du président Nicolas Sarkozy en août, l'Union européenne a envoyé plus de 200 observateurs civils en Géorgie. Arrivés quelques semaines après le début des hostilités, ils ont joué un rôle essentiel dans la prévention de nouvelles violences.
Avant que Saint-Malo ne devienne célèbre pour des sommets, elle était surtout connue pour ses marins aventuriers et ses pirates. Il était donc tout à fait opportun que, à l'occasion du dixième anniversaire du Sommet de 1998, l'Union européenne lance sa première opération navale pour lutter contre les pirates dans le golfe d'Aden.
Cet automne, quinze navires et plus de 350 personnes ont été pris en otage. Les pirates ne menacent pas seulement les navires européens faisant route vers le canal de Suez, mais aussi l'aide alimentaire des Nations unies destinée à la Somalie déchirée par la guerre et dont dépendent deux millions de personnes. Cette mission navale sera commandée par un amiral britannique et les frégates britanniques et françaises joueront un rôle prépondérant.
La France a utilisé sa présidence de l'Union européenne pour donner une nouvelle impulsion à ces efforts. S'attaquer à la violence et à l'instabilité dans les Balkans, en Afrique ou en Afghanistan n'est pas seulement de notre intérêt, c'est également notre devoir. Un des objectifs de la Présidence française a été d'amener l'Europe à en faire plus pour relever les défis actuels en travaillant, par exemple, par le biais de l'Union européenne et de l'OTAN, à ce que les pays européens disposent des équipements et de la formation nécessaires pour faire face aux crises lorsqu'elles surviennent.
Français et Britanniques ont également décidé à Saint-Malo d'accroître leur coopération en Afrique. Dans cet esprit, nous avons approfondi la coopération de l'Union européenne avec l'Union africaine, les organisations régionales et les gouvernements afin de renforcer les capacités africaines de prévention et de gestion des conflits. En Somalie, le Royaume-Uni, la France et la Commission européenne participent activement à des programmes de développement visant à rétablir la gouvernance et une économie qui fonctionne. En République démocratique du Congo, l'Union européenne est profondément préoccupée par la récente dégradation de la situation humanitaire.
Nous avons donc augmenté notre aide à ce pays et appuyons la demande de troupes supplémentaires formulée par le secrétaire général des Nations unies pour soutenir la force de l'ONU de 17.000 hommes qui y est déployée. Fondamentalement, la situation au Congo ne peut être toutefois réglée que par des moyens politiques : il n'y aura aucune solution militaire à ce problème. Certains détracteurs ont insinué avec malveillance que si l'Europe essaie d'en faire plus, nous risquons de nous retrouver avec une armée européenne ou de saper l'OTAN.
Cela n'est pas vrai. Il n'existe pas d'armée européenne comme il n'y a pas d'armée de l'OTAN. Il y a des forces nationales qui sont utilisées, en fonction des besoins, pour des opérations nationales ou multilatérales, dans un cadre européen ou dans celui de l'OTAN. Les pays décident par eux-mêmes où et quand leurs forces se déploient.
L'opération navale de l'Union européenne contre la piraterie sera menée parallèlement aux efforts de l'OTAN. Aujourd'hui, l'OTAN et l'Union européenne travaillent côte à côte en Afghanistan et dans les Balkans. L'appartenance à l'OTAN et l'appartenance à l'Union européenne se recoupent largement. Elles sont complémentaires, comme l'a déclaré le président Nicolas Sarkozy.
L'OTAN demeure la pierre angulaire de notre défense collective et elle est capable de monter toute la gamme des opérations militaires. Mais l'Union européenne possède une capacité unique à combiner le recours robuste et flexible à la force militaire avec l'aide au développement et des experts civils - magistrats, fonctionnaires de police et des douanes -, soutenus par le réseau diplomatique mondial des vingt-sept Etats membres. Il nous faut exploiter les atouts des deux. Les ministres des affaires étrangères de l'OTAN viennent de se rencontrer. L'un des thèmes-clés de discussion était le partenariat Union européenne-OTAN.
Plus que jamais, la complexité des problèmes de sécurité exige une approche cohérente. Sous la Présidence française, l'Union européenne a actualisé sa stratégie de sécurité. Cette stratégie démontre que nous devons continuer à nous attaquer en priorité aux causes profondes d'instabilité ainsi qu'à leurs symptômes visibles.
Les menaces auxquelles nous sommes confrontés sont réelles : prolifération des armes de destruction massive, criminalité organisée, terrorisme et chocs subis par nos économies. Aucun pays ne peut s'y attaquer seul. La déclaration de Saint-Malo se fondait sur la conviction que, si nous voulons y remédier, il nous faut toute une gamme d'instruments au sein de l'Union européenne, comme dans l'OTAN et aux Nations unies. Dix ans après, l'Union européenne peut être fière de ses innovations et elle est déterminée à les faire progresser.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2008