Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à France 2 le 8 avril 1999, sur le transfert de réfugiés kosovars d'un camps à un autre, l'aide humanitaire et la nécessité d'une aide économique aux pays d'accueil.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - On va vous demander dabord des précisions parce quon se trouve dans une situation extrêmement chaotique en ce qui concerne les camps qui sont installés aux frontières du Kosovo, que ce soit en Albanie, ou en Macédoine, et particulièrement quand on parle du camp de Blace, qui a été vidé dans la nuit de mardi à mercredi. Est-ce que vous avez quelques informations qui nous auraient échappé ?
R - Mme Bonino, qui est le Haut commissaire de lAction humanitaire européen, disait hier soir, que lextrême confusion régnait au nord de la Macédoine. Pour essayer dexpliquer comment le camp de Blace avait été vidé, nous avons quelques hypothèses. Une partie des réfugiés aurait probablement été transportée par autobus, vers une région dAlbanie, pas très très éloignée. Une autre partie de toute évidence, est retournée vers le Kosovo. A-t-on réutilisé les mêmes trains qui les avaient amenés, pour les faire retourner sur Pristina ou les environs ? Pourquoi ? Comment ? Est-ce contraints et forcés ? Est-ce parce que lopinion est extérieurement manipulée par les médias que contrôle entièrement M. Milosevic ? Pour linstant nous essayons, comme on dit, dévaluer la situation, mais il ne faut pas oublier néanmoins quil y a des réfugiés en Macédoine. Ceux qui étaient passés, ceux qui avaient déjà commencé dêtre accueillis par les familles, et puis ceux qui sont dans les camps qui ont été aménagés, un peu en arrière de Blace et dans lequel dailleurs nos équipes, - je pense en particulier aux militaires français - sappliquent à aider les gens qui sont là-bas. Et puis il y a la situation dAlbanie, très différente, - je rappelle que la Macédoine voulait nous aider à les faire repartir, lAlbanie nous demande de les aider à les accueillir.
Q - Est-ce que cest justement pas un petit peu difficile, davoir en plus du problème humanitaire, un problème on va le dire politique ou diplomatique ?
R - Le problème politique, il est présent, en permanence depuis le début. Cest bien pour des raisons politiques quon a cette situation militaire. Ce nest pas une catastrophe naturelle, cette fois. Cest bien parce quil y a eu une volonté politique, déliminer du Kosovo la population albanaise quon est dans cette situation.
Q - Alors le fait que des réfugiés aient pu être emmenés de nouveau au Kosovo, le fait que les frontières soient fermées, le fait que lon dise désormais aux journalistes de faire attention, parce que la police serbe intervient, - on sait que plusieurs journalistes ont été hier, retenus par la police serbe. Est-ce une source supplémentaire dinquiétude ?
R - Nous sommes dans cette situation, condamnés aux risques de manipulation, de tromperie, auxquels M. Milosevic nous a habitués déjà depuis très longtemps. Ce que je retiens cest que laide humanitaire est désormais opérationnelle pour ceux qui sont déjà du côté albanais ou du côté macédonien, que les efforts de paix néanmoins se poursuivent - je pense aux efforts quHubert Védrine entreprend en liaison avec ses partenaires et alliés pour impliquer mieux les Nations unies, dans la recherche dune solution. Cest tout ce que nous pouvons dire actuellement. Sauf à rappeler que les pays qui accueillent les réfugiés nont pas seulement besoin quon les aide sur le plan humanitaire. Ils ont aussi besoin dune aide macro-économique pour leur permettre de supporter le choc que représente aussi laccueil des réfugiés, mais aussi le choc comme par exemple pour la Macédoine, que représente le fait quils dépendaient aux trois quarts de léconomie yougoslave. Et quaujourdhui leur appareil de production est immobilisé à 80 %.
Q - Il y a eu des initiatives prises dans ce sens hier à Matignon ?
R - Hier à Matignon nous en avons parlé. Lors du conseil restreint à lElysée, nous en avons également parlé. Cet après-midi à Luxembourg, avec les ministres européens, nous aurons loccasion den reparler Pierre Moscovici et moi. Et nous allons en parler, je pense, lors des assemblées du Fonds Monétaire international et de la Banque mondiale. Dominique Strauss-Kahn prendra linitiative de proposer quun comité Balkan se mette en place, de façon quon accorde à ces pays des facilités par exemple le désendettement dont ils ont besoin. Mais aussi des aides économiques massives à la fois sur le plan budgétaire pour leur permettre aussi déquilibrer leur système de change qui est actuellement extrêmement perturbé par cette situation.
Q - Pour parler toujours des réfugiés, certains sont arrivés cette nuit en Allemagne. On a quand même des situations daccueil qui sont un petit peu particulières. Quand par exemple les Américains proposent daccueillir des réfugiés sur une ancienne base militaire à Guantanamo. Quand cette nuit les Canadiens disent nous avons dans le Grand Nord une mine désaffectée, on peut recevoir des réfugiés, cela vous paraît acceptable dun point de vue....
R - Cela ne me paraît pas pour eux la bonne solution, nous lavons dit dès le début. Ces réfugiés, nous les avons rencontrés, je les ai vus moi-même, sur place, ont quune volonté, retourner chez eux. Ce nest pas en les dispersant aux quatre coins du monde, quon va faciliter leur retour. La France nest évidemment pas fermée, elle a une tradition daccueil, largement vérifiée. Il y a des dispositions législatives qui nous permettent daccorder des certificats de séjour provisoires par exemple aux familles qui voudraient venir en France parce quelles peuvent avoir des attaches familiales. Mais si nous sommes ouverts bien sûr à laccueil par exemple des handicapés ou des blessés qui auraient besoin de soins spécifiques, nous sommes convaincus vraiment que la bonne solution pour eux, cest quils puissent être accueillis dans les pays des Balkans, dans les pays de la région volontaires pour les accueillir. Parce que les images - vous les avez vu comme moi -, de ces femmes ou de ces enfants quon sépare parfois pour les envoyer de force en Turquie ou vers une autre destination, ne me parait pas la bonne solution.
Surtout quon ne les utilise pas en quelque sorte pour quoi remplir des lieux. Vous évoquiez le risque de les utiliser comme armes. Parmi les hypothèses qui sont actuellement étudiées, il y a celles malheureusement qui voudrait que Milosevic les ait fait revenir au Kosovo pour précisément les utiliser comme bouclier humain. On va même jusquà imaginer que certains de ces réfugiés pourraient désormais être embarqués de force dans les convois militaires de façon à mettre ceux-ci en quelques sortes sous protection des réfugiés. Lhorreur continue.
Q - Sil fallait trouver un seul adjectif pour décrire ce que vous avez vu la semaine dernière ?
R - Moi je dis, cest lhorreur. Pardonnez moi demployer un mot plutôt quun adjectif. Mais jai été vraiment très effrayé. Jai déjà connu un certain nombre dautres situations, mais cette foule innombrable denfants, de vieillards, de femmes totalement perdus, ne comprennent toujours pas vraiment ce quils leur arrivent. Cest tout à fait insupportable.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 1999)