Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RTL" le 5 décembre 2008, sur l'application du plan de relance économique et les prévisions de créations d'emploi.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Etes-vous la ministre chargée de surveiller l'application du plan de relance annoncé hier par le président de la République ?

Je veillerai à ce que les parties qui sont de ma responsabilité soient les mieux administrées, les mieux gérées, les mieux traitées possible. Mais vous l'avez entendu, le président de la République a dit, hier, que quelqu'un serait nommé pour surveiller que cette relance est bien efficace, rapide, dès le début de l'année 2009.

Est-ce que c'est vous ?

Moi, je ne pense pas. Je pense que le président de la République a plutôt en tête d'avoir une personne qui ne fasse que ça, pour être sûr que ce soit bien fait et que ce soit vite fait. C'est ça l'impératif.

Un ministre chargé de l'application du plan, spécifiquement ?

C'est le patron qui décide, vous savez, dans une équipe. Je ne suis pas le patron. C'est lui qui décidera avec F. Fillon, bien entendu, de savoir quelle est la bonne personne.

Mais vous dites que, selon votre hypothèse, il y aura une personne qui fera spécifiquement cela ?

Ca me paraît résulter de ce qu'il a dit ; et puis ça me paraît le bon sens. Pourquoi ? Parce qu'on est extraordinairement mobilisé sur l'ensemble de nos chantiers. Et là, il faut une attention de 100 %, de tous les instants pour que ça aille, je vous le répète, bien et vite. Il y a des mesures qui doivent entrer en vigueur dès le début de l'année 2009, et il faut qu'il y ait quelqu'un qui soit à la manoeuvre en interministérielle. C'est aussi la difficulté de l'exercice puisqu'il faut à la fois travailler avec Bercy, bien sûr, mon étage, l'étage d'E. Woerth. Il faut travailler avec madame Boutin pour le logement. Il faut travailler avec monsieur Borloo pour un certain nombre d'aides à l'environnement. Il faut travailler avec l'industrie, il faut aussi travailler avec les collectivités locales. Et donc, c'est vraiment un travail de plein temps et un travail interministériel et inter-collectivité.

Une dernière question, puisque je vois que vous êtes en verne sur le sujet, ce qui me surprend agréablement, je vous le confesse : vous pensez que c'est quelqu'un qui est déjà au Gouvernement ou c'est une personnalité nouvelle qui va l'emporter ?

Je vous le dis, c'est le patron qui décide dans une équipe. Ce n'est pas les joueurs, parce que sinon ça ne marche pas.

Etes-vous assurée, ce matin, sur RTL, que ce plan de relance évitera à l'économie française de connaître une récession en 2009 ?

La réponse est difficile, je vais vous dire pourquoi. Parce qu'on est dans une crise qui est mondiale. Tous les Etats sont touchés, toutes les économies sont affectées, qu'elles soient développées ou émergentes. Et on ne va s'en sortir que si tout le monde fait à peu près le même effort, à peu près au même moment. Je vais vous dire pourquoi je dis "à peu près" : parce que certaines économies sont beaucoup plus touchées. Vous avez noté que le plan annoncé par B. Obama pour les Etats-Unis va être beaucoup plus lourd, beaucoup plus massif encore que les plans européens qui sont discutés actuellement, parce que l'économie américaine est plus touchée. Quand je dis "à peu près, au même moment", c'est pour répondre aux critiques selon lesquelles les Etats européens avanceraient en ordre dispersé. Je crois qu'il faut être assez réaliste sur le sujet. Les Anglais sont partis les premiers. Pourquoi ? Parce que leur système financier est dominant sur l'économie anglaise (sic) et qu'il est vraiment en situation grave actuellement. Les Allemands attendent, ils nous l'ont dit. Moi, j'étais à un conseil Ecofin, il y a deux jours, dernier conseil que j'ai présidé. On en a beaucoup parlé avec mon collègue allemand. Ils veulent attendre un peu parce qu'ils sont actuellement en train de défendre au Bundestag un plan d'à peu près 30 milliards d'euros. Et puis, ils veulent se donner un peu le temps de voir si ça marche premièrement, et deuxièmement, ce que font les Etats Unis. Donc je ne doute que s'il doit être fait plus en Allemagne, il sera fait plus en Allemagne. Mais c'est pour ça que je dis "à peu près, en même temps". Mais je pense que la détermination européenne est là aussi, comme elle a été là sur la crise financière.

Les choix aussi sont différents. La France privilégie l'investissement quand la Grande-Bretagne baisse la TVA. Est-ce que ces réponses différentes peuvent handicaper une reprise en Europe ?

Je ne crois pas. Et ça a été très clair dans la communication européenne de la Commission. Chacun doit réagir et répondre avec trois impératifs sur lesquels je peux revenir, mais selon ses méthodes et selon ses difficultés particulières. L'Angleterre a une économie différente : beaucoup de finance, relativement peu d'industrie, et donc, elle est assez peu concernée par le maintien de son industrie. Donc une relance par la consommation, c'est prendre le risque, d'abord, que par une baisse de TVA, tout le monde en profite, quel que soit le niveau de vie. Et puis, c'est toutes les consommations qui en profitent, c'est-à-dire les consommations de fabrication locale et les fabrications résultant d'importations. Nous, on a fait un choix différent. On a fait le choix de l'investissement, de l'investissement massif, rapide, en faisant quoi ? En vidant tous les tuyaux, payer toutes les créances qui sont dues par l'Etat à l'ensemble des entreprises. C'est ce que j'appelle "vider les tuyaux", et on l'a fait de manière massive puisque c'est plus de 11 milliards d'euros qui seront ainsi rendus aux entreprises, et ça leur est dû. Ce ne sont pas des cadeaux que nous faisons, c'est de l'anticipation de trésorerie qui va bénéficier aux entreprises, par l'investissement et par le soutien à deux secteurs majeurs, automobile et logement, c'est-à-dire bâtiment, construction.

Vous dites dans Le Figaro que ce plan pourrait créer vraiment 100.000 emplois en France, l'année prochaine ?

C'est le chiffrage. Vous savez, c'est toujours très approximatif parce que je vous donne un exemple : on prévoit d'exonérer du reliquat de charges sociales les entreprises de moins de dix salariés pour toutes les embauches qu'elles réaliseront en 2009. C'est une mesure incitative, on leur retirer 14 points de charges sociales. On ne sait pas si la mesure va prendre. Cela va dépendre un peu de leur détermination à jouer le jeu aussi.

Mais vous dites 100.000 emplois créés...

C'est une estimation qui a été faite par nos services. On a pris catégorie de mesures par catégorie de mesures. On a aussi consulté, évidemment, les entreprises publiques comme EDF, GDF, etc., pour savoir ce qu'elles anticipaient en cas d'accélération de leurs programmes de travaux.

Le déficit budgétaire était prévu à 52 milliards l'année prochaine. Il sera,là, à près de 70 milliards avec le plan que vous annoncez. C'est un problème ou pas, ça ?

C'est nécessaire.

Mais c'est un problème ou pas ?

C'est nécessaire et je vais vous dire pourquoi : c'est parce qu'on a besoin d'aller vite et d'aller fort. Pour aller vite et pour aller fort, il faut évidemment mettre de l'argent sur la table. On est en situation de déficit, aujourd'hui, ça aggrave le déficit. Ce qui est très important, en revanche, c'est que ce déficit-là va porter sur l'année 2009, un tout petit peu sur l'année 2010, à peine ; et comme on fait de l'accélération de travaux, on va, en revanche, diminuer le déficit escompté pour l'année 2011 et pour l'année 2012. Donc ce qu'on appelle notre trajectoire, elle nous amène au bon point d'arrivée en 2012. Vous en doutez, moi j'en suis certaine.

On en doute tout le temps, mais depuis trente ans, on en doute et on a raison d'en douter.

Oui, mais vous avez entendu, et le président de la République et le Premier ministre, il y a une détermination absolue à tenir cette route. Et Page en matière notamment de dépenses publiques sur les dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire les embauches, le Président a été très ferme : on reste sur la même ligne, ça ne change pas.

Peut-on dire, ce matin, que le plan de soutien aux banques françaises est désormais accepté par la Commission européenne ?

Ecoutez, je croise les doigts parce que c'est aujourd'hui normalement que je devrais avoir la décision. Pour moi, c'est un impératif parce qu'on peut relancer tout ce qu'on voudra, si les banques françaises ne sont pas en capacité de prêter à l'économie, ça ne fonctionnera pas parce que toutes les courroies de transmission ne sont pas en fonctionnement. Donc j'espère très vivement que la Commission aura compris le message qu'ensemble les Européens, nous lui avons communiqué avant-hier, en disant : il faut aller vite et l'impératif, c'est la restauration des circuits de crédit, pas la règle d'or du droit à la concurrence sur laquelle on reviendra quand le temps se sera un peu calmé.

Et vous aurez la réponse aujourd'hui ?

C'est ce que j'espère très vivement, monsieur Aphatie.

On dit que les banques françaises pourraient à nouveau demander de l'argent. Vrai, faux ?

Ca va dépendre du réamorçage des circuits et de la manière dont, oui ou non, elles arrivent à suffisamment renforcer leurs fonds propres pour développer les prêts à l'économie, aux ménages et aux collectivités locales.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 décembre 2008