Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur le bilan de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 2 décembre 2008.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 2 décembre 2008

Texte intégral

Je vais essayer d'être digne de la confiance que vous m'avez manifestée. Sachez que j'ai toujours eu plaisir à venir devant votre commission. Nous avons entretenu d'excellentes relations et ce n'est pas sans regret ni sans émotion que je vis ces moments. Mais, vous le savez, je reviendrai à l'Assemblée dans le cadre de la préparation du Conseil européen qui fera l'objet d'un débat le 10 décembre.
En ce qui concerne les priorités que nous nous étions fixées dans le domaine "Justice et affaires intérieures", les résultats sont satisfaisants, voire très satisfaisants. Le Pacte sur l'immigration et l'asile a été adopté par le Conseil européen les 15 et 16 octobre derniers, et une large majorité du Parlement européen s'est exprimée en sa faveur et pour la "carte bleue" européenne destinée aux immigrants qualifiés. De même, un plan d'action destiné à accueillir 10.000 réfugiés irakiens a vu le jour, avec le soutien de l'Allemagne, ce qui n'était pas évident. Une conférence euro-africaine a été organisée sur la gestion concertée des migrations. Dans ce domaine, les objectifs ont été atteints. Toutes sensibilités confondues, un consensus s'est fait jour sur ces questions.
Nous avons également enregistré des progrès dans la protection des données. On a réussi à définir une architecture harmonisée, respectueuse du droit. Des plates-formes ont été conçues, destinées au signalement des infractions commises sur Internet, ce qui constitue un progrès de l'Europe au quotidien. L'organisation de la sécurité civile a été améliorée pour renforcer la solidarité devant les catastrophes naturelles.
Michel Barnier a obtenu, au terme de discussions difficiles, un bon accord sur le "bilan de santé" de la Politique agricole commune. Nous sommes arrivés à faire accepter une agriculture qui soit durable tout en préservant la sécurité alimentaire, les équilibres alimentaires mondiaux et l'aménagement du territoire. Nous avons eu gain de cause, et c'est une bonne chose pour la France, sur le maintien de mécanismes d'intervention et de stabilisation des marchés face à ceux qui les tenaient pour inutiles. De même, le principe d'une production agricole européenne efficace au-delà de 2013 a été acquis : même si ce domaine sera affecté par le débat budgétaire de 2009, nous avons posé les fondements pour l'avenir de la PAC.
En matière de défense, les Conseils des ministres des Affaires étrangères et de la Défense qui se sont tenus les 10 et 11 novembre derniers se sont mis d'accord sur des programmes opérationnels : forces héliportées, transport aérien, amélioration de la concertation sur la planification des opérations civiles et militaires, renforcement des capacités opérationnelles qui nous font si cruellement défaut, notamment en République démocratique du Congo. Nous devrions, lors du prochain Conseil des ministres "Affaires générales et Relations extérieures", lundi, aboutir à un accord sur la nouvelle stratégie européenne de sécurité sur la base des propositions du Haut représentant, Javier Solana, qui intègrent désormais la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité, l'impact du changement climatique sur les préoccupations géostratégiques - en particulier l'accès aux ressources naturelles - et l'évolution de nos relations avec tout à la fois les Etats-Unis, la Russie et les grands pays émergents. Notre objectif, qui était de fixer des orientations en matière de politique européenne de défense et de sécurité et de créer une dynamique avant le sommet de l'OTAN qui aura lieu à Kiel et à Strasbourg, sera tenu.
Dernières priorités : la lutte contre le changement climatique, et la politique énergétique - qui ne sont pas strictement synonymes. En matière énergétique, le Conseil européen des 15 et 16 octobre a fait des progrès, que les médias n'ont pas assez soulignés. Nous avançons dans la convergence des priorités énergétiques - même si nous n'en sommes pas encore à l'Europe de l'énergie -, sur la nécessité des interconnexions électriques et gazières. Un accord a été trouvé sur la troisième voie, c'est-à-dire pour éviter la séparation patrimoniale et conserver des opérateurs énergétiques intégrés. La gestion des stocks de ressources pétrolières se fait désormais au niveau communautaire, ce qui n'était pas évident il y a encore quelques années. Chacun convient aussi qu'il faut un dialogue plus structuré entre l'Union et les principaux pays producteurs d'énergie. Il reste beaucoup de progrès à accomplir ; néanmoins, les avancées ont été significatives.
La lutte contre le changement climatique sera le dossier le plus délicat du prochain Conseil européen. Deux points ont été traités : le captage et le stockage du carbone et les énergies renouvelables. Il reste à régler les problèmes liés au respect des objectifs "trois fois vingt" : 20 % d'efficacité énergétique supplémentaire, augmentation de 20 % des énergies renouvelables et, le plus difficile, réduction de 20 % des émissions de CO2. Il faut trouver un compromis satisfaisant avec les pays d'Europe centrale et orientale qui produisent du charbon, notamment la Pologne. Nous n'y sommes pas et ce sera compliqué.
Les imprévus ne nous ont pas été épargnés. De la crise russo-géorgienne, je tire trois constatations. Premièrement, pour la première fois, l'Union européenne a été en mesure d'arrêter une guerre, de faire respecter un cessez-le-feu, de proposer un plan de paix, qui vaut ce qu'il vaut mais qui n'a fait l'objet d'aucune autre proposition alternative. L'Union s'est donc affirmée en tant qu'acteur global, avant même que les outils du traité de Lisbonne sur les instruments de politique extérieure et de sécurité commune soient mis en oeuvre, et sa réactivité a été soulignée par tout le monde.
Deuxièmement, nous avons réussi notre oeuvre de stabilisation à vingt-sept, c'est-à-dire y compris avec des membres issus de l'ancien bloc communiste. L'unité a été maintenue, au-delà des sensibilités différentes à l'égard de la Russie. Un équilibre a été trouvé, prouvant par-là même notre capacité de projection à l'extérieur.
Troisièmement, nous avons réussi, dans le cadre du sommet russo-européen, à maintenir nos principes, à condamner la reconnaissance par la Russie de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, à demander le retrait au-delà des lignes du 8 août, à obtenir celui des zones adjacentes et à maintenir un dialogue qui est important pour les deux partenaires : pour la Russie parce que l'Europe reste son principal débouché ; pour l'Europe parce que, contrairement aux Etats-Unis, la Russie est notre voisine et qu'il existe une interdépendance entre nous. En interne, les débats préparatoires à la rencontre ont révélé des divergences à propos du retrait des troupes, mais aucun Etat membre n'a remis en cause le principe même du dialogue. Certains Etats, les Pays baltes et la Pologne notamment, exprimaient des demandes légitimes en matière d'approvisionnement énergétique : elles sont l'un des éléments à négocier dans le cadre du partenariat à conclure entre l'Union et la Russie.
En ce qui concerne la crise économique et financière, l'Europe, là aussi, a fait preuve de réactivité et d'inventivité : le G4 s'est réuni, puis l'Eurogroupe, et le Conseil européen, extraordinaire et ordinaire. La crise a plutôt révélé, contrairement à ce qui a pu s'écrire, que les Etats avaient bien réagi. Il est normal que les réponses apportées soient diverses, chaque pays ayant ses caractéristiques propres. Ce qui est important, ce sont les principes communs, les lignes directrices autour d'une volonté commune de soutenir l'activité.
La Banque centrale européenne a aussi très bien réagi. Elle s'est affirmée en tant que stabilisateur des marchés, et elle a innové pour remettre en marche le marché interbancaire et assurer le financement de l'économie. Elle a aussi fait preuve de réactivité sur les taux ; il faut d'ailleurs espérer que le mouvement se poursuive.
Face à la réactivité du Conseil et de la BCE, il est vrai que la Commission est restée un peu en deçà des attentes, au moins au début de la crise. Il faudrait que les accords conclus dans le domaine financier dans le cadre de l'Eurogroupe et du Conseil européen du mois d'octobre soient respectés. Les interventions auprès des banques sont en effet un préalable destiné à financer l'économie avant toute mesure de soutien et de consolidation de l'activité. Sinon, la machine se bloque. C'est ce que nous tentons d'expliquer à la Commission. Aux Etats-Unis qui ont pourtant une législation "antitrust" et des autorités de la concurrence, les décisions sont arrêtées en huit jours. En Europe, deux mois n'auront pas suffi pour que soient mis en oeuvre les accords politiques passés en octobre... Le Conseil européen va tout faire pour se mettre d'accord, à partir du plan présenté par la Commission, qui comporte un volet communautaire et un volet de niveau national, sur le soutien à l'activité économique. La Banque européenne d'investissement sera sollicitée.
Il y a trois leçons de méthodologie à retenir. La première, c'est qu'il faut respecter les "tables de la Loi", autrement dit les traités, parce qu'ils sont bien adaptés, mais sans que cela exclue les coups d'épaule ou les adaptations. Les codes sont conçus pour les temps calmes, mais, quand la houle se forme, il faut savoir s'adapter, ce que nous avons fait. La deuxième, Mme Ameline l'a rappelée dans son rapport sur l'influence européenne au sein du système international, c'est que les modes de gestion doivent rester innovants : les sommets de chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro, il n'y en avait pas eu avant la crise, non plus que des rencontres entre le président de la Banque centrale européenne et les chefs d'Etat et de gouvernement. Cela montre au passage la force d'attractivité et de stabilité que représente désormais l'euro. Le gouverneur de la Banque d'Angleterre aurait très bien pu manifester son intention de participer également, mais le président de la Banque centrale européenne s'est imposé comme interlocuteur unique des chefs d'Etat et de gouvernement. La solidarité envers la Hongrie et l'Islande - qui n'est pas membre de l'Union - s'est exercée à partir de la zone euro. Ce sont des acquis importants qui doivent être consolidés. Troisième leçon : un nouvel équilibre est en train de se créer entre le communautaire pur et l'intergouvernemental, au-delà d'un antagonisme traditionnel. L'Europe va s'appuyer sur un mixte de ces deux méthodes.
Enfin, en ce qui concerne l'avenir du Traité de Lisbonne, la situation a évolué puisque vingt-cinq Etats l'ont ratifié, et qu'un vingt-sixième, la République tchèque, devrait le faire, malgré des difficultés intérieures, au début de l'année 2009. Reste le problème irlandais qui devrait être réglé, espérons-le, d'ici le Conseil européen. Je me suis rendu à Dublin la semaine dernière et le climat économique est plutôt favorable aux pro-européens. Les Irlandais indécis s'aperçoivent en effet que, sans la solidarité européenne, ils seraient dans une situation très difficile, comparable à celle de l'Islande, compte tenu de l'importance des services financiers chez eux. Au moment où l'on va de nouveau débattre des fonds structurels, des marges de manoeuvre du budget, ils se rendent compte que la solidarité européenne a du bon. Les demandes irlandaises sont à peu près identifiées : l'Irlande demande confirmation de sa neutralité, de certains éléments éthiques concernant la Charte des droits fondamentaux, et de la règle de l'unanimité en matière fiscale. La question la plus ardue sera la composition de la Commission parce que les Irlandais en font une question politique. Nous sommes prêts à leur fournir des garanties juridiques dès lors que la procédure de ratification des Vingt-six ne sera pas rouverte, l'objectif étant de parvenir à une mise en oeuvre du traité de Lisbonne avant le 1er janvier 2010.
Pour ce qui est du sommet Union-Chine, son report est incontestablement lié à une mauvaise humeur des dirigeants chinois, qui l'utilisent aussi à des fins intérieures. Elle n'est pas due au seul agenda du président de la République puisque, en marge de la réunion de Poznan, plusieurs rencontres auront lieu entre des chefs de gouvernement européens et le Dalaï-Lama. C'est cet ensemble qui crée des problèmes politiques. Par ailleurs, ce mouvement d'humeur, qui n'est pas bon pour l'Union, ne l'est pas plus pour la Chine : pendant ce temps, le statut de son économie de marché ne progresse pas, non plus que ses demandes à l'OMC ou la question des investissements étrangers, surtout à un moment où ce pays est en proie à la crise économique et où ses régions orientales et côtières connaissent déjà une déstabilisation du système financier. Sur un plan strictement conjoncturel, les rencontres sino-européennes ont été très nombreuses cette année, ce qui a dû peser. Des réunions de l'ASEM, c'est-à-dire du dialogue Asie-Europe, ont notamment eu lieu. Le retard pris est regrettable, mais ce n'est pas de ce sommet qu'on attendait les avancées les plus importantes.
En ce qui concerne l'Union pour la Méditerranée, la conférence de Marseille qu'a présidée Bernard Kouchner a permis des avancées significatives dans l'organisation institutionnelle : la coprésidence de la France et de l'Egypte, les secrétariats généraux, les secrétariats de projet, les secrétariats généraux adjoints confiés notamment aux Palestiniens, aux Libanais et aux Turcs. La mission confiée à Henri Guaino s'appuiera sur les éléments de structure qui étaient ceux d'Alain Le Roy et de l'ambassadeur en charge de l'Union pour la Méditerranée, Serge Telle.
Q - (A propos des commissions parlementaires élargies et de l'examen du budget du ministère des Affaires étrangères et européennes)
Q - Une convention sur l'interdiction des bombes à sous-munitions doit être signée demain à Oslo. Serez-vous présent ? Peut-on espérer que la France, qui a été particulièrement active, comme pour l'interdiction des mines antipersonnel, ratifie cette convention très rapidement ?
R - Pour répondre à M. Rochebloine, à M. Myard et au président Poniatowski sur les commissions élargies : il semble qu'il y ait eu entre la commission des Finances de votre assemblée et le ministre un point d'accord selon lequel les budgets devaient être défendus par le seul ministre du budget. Je comprends vos observations et je les rapporterai à qui de droit.
Bernard Kouchner n'y est donc pour rien. Il se trouve aujourd'hui à un sommet de l'OTAN et sera demain, Monsieur Rochebloine, à Oslo pour signer la convention sur les armes à sous-munitions. Nous regrettons que tous les Etats membres ne signent pas cette convention, mais ils ont des raisons qui leur sont propres. Certains pays, dont la Finlande, ne sont pas prêts à le faire maintenant. Pour notre part, nous nous sommes engagés à détruire dans les meilleurs délais 80 % des stocks existants de bombes à sous-munitions avant même l'entrée en vigueur de cette convention.
Q - Au moment de quitter vos fonctions, quel est, à vos yeux, le point le plus important de la Présidence française ? Quels sont vos regrets ? Et vos craintes pour la Présidence suivante ?
R - Des regrets ? Le premier porte sur le Traité de Lisbonne, dont la date d'entrée en vigueur est retardée, comme l'a souligné M. de Charette. D'autre part on aurait peut-être pu aller plus loin dans certains domaines, par exemple en matière de jeunesse, de mobilité, de citoyenneté et de communication. Un des domaines les plus difficiles au niveau européen est la communication, l'information. Beaucoup de progrès sont nécessaires pour trouver une articulation entre le niveau national, c'est-à-dire nos propres administrations, et l'Europe qui fonctionne de façon transversale, en réseau. Il y a un déphasage entre les modes de gestion administrative européen et national, régional et local. C'est un point important et je regrette que notre retard n'ait pas été suffisamment comblé. L'une des tâches à venir sera sans doute de repenser notre système d'organisation dans ce domaine.
Q - Au moment où vous quittez vos fonctions, avez-vous quelque espoir du côté des nouvelles autorités américaines ? Mme Condoleezza Rice elle-même a annoncé la fin du MAP, le plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN de la Géorgie et de l'Ukraine, ce qui est tout de même positif et conforte les décisions de Bucarest. De même, le discours sur le bouclier antimissile se dégonfle. Cet infléchissement augure-t-il de la politique de M. Obama ?
R - Monsieur Boucheron, vous avez tout à fait raison : il n'y a pas de "soft defence". Et je ne cherche pas à exagérer les résultats de la Présidence française ; mais nous jetons les bases d'orientations, et c'est ce que nous souhaitions faire en matière de défense. Ce que vous avez dit sur les équipements et les budgets est juste, et beaucoup de forces européennes sont à la limite de leur capacité de projection ; c'est ce que nous disent les Britanniques, et les Allemands connaissent également des difficultés, comme nous. Néanmoins, nous allons progresser sur les principes et sur certains programmes opérationnels, qu'il s'agisse des hélicoptères, de l'A400M ou du groupe aéronaval. Je ne dis pas que nous aurons une défense européenne à la fin de la Présidence française, mais que nous jetons les bases d'une coopération, d'une organisation de défense. En particulier, faire admettre à nos amis britanniques l'idée d'une planification commune et un renforcement des moyens de l'Agence européenne de défense me semble important.
Il y a bel et bien des enjeux stratégiques en ce qui concerne l'accès aux ressources naturelles, l'énergie et la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, les relations avec la Russie vont être différentes dans un monde plus dur. Il faut intégrer tous ces éléments, qui ne l'étaient pas.
Du reste il ne faut pas porter un jugement trop négatif sur ce que fait l'Europe. Elle se projette sur des terrains sur lesquels l'OTAN n'est pas présente, au Tchad par exemple. En Géorgie, c'est quand même l'Europe qui a fait l'essentiel ; plus de 300 observateurs européens ont été envoyés en quinze jours par M. Solana et ses équipes, ce qui est aussi une réussite européenne. L'Europe est également présente dans les Balkans, avec EULEX ou les autres forces de stabilisation. Enfin, sur la piraterie, les moyens et les navires déployés en un an témoignent d'une coordination plus forte qu'auparavant, et il est très positif que les Britanniques viennent nous épauler dans ce domaine.
Je suis très prudent et très vigilant sur l'articulation entre ce qui relève de l'OTAN et de la Politique européenne de sécurité et de défense. Avec les Etats-Unis, les choses ne seront pas forcément plus faciles. Reste qu'on note des évolutions positives sur les MAP géorgien et ukrainien, ce qui est une bonne chose. S'agissant des antimissiles, je souhaite également qu'il y ait des évolutions, car on ne peut pas dire que la stratégie s'est révélée payante, même s'il appartient aux Etats concernés de développer leur propre politique de sécurité.
L'important pour moi est d'avoir avec les Etats-Unis un dialogue plus structuré qu'à certaines époques dans les domaines économique, financier, commercial, mais aussi stratégique. Les Etats-Unis ne peuvent pas tout faire, l'administration Obama le reconnaît, et ils ont besoin de partenaires sur le plan stratégique. Nous avons également besoin d'avoir un dialogue avec eux qui soit plus ouvert vis-à-vis des grands pays émergents par rapport aux défis globaux : le changement climatique, les enjeux commerciaux, le défi alimentaire, l'aide à l'Afrique, le développement. Il ne faut pas non plus trop céder à l'irénisme dans lequel on est un peu tombé après la victoire du nouveau président.
Cela ne sera pas simple, je le crains, mais il nous faut ce nouveau dialogue.
Q - (à propos de la gouvernance de l'Union européenne)
R - Trois observations en réponse à M. Myard. Tout d'abord, je l'ai dit, il y a une complémentarité entre l'intergouvernemental et le communautaire, et c'est une avancée importante. Ensuite, la Commission s'est peut-être affaiblie parce qu'elle n'a pas joué pleinement son rôle : elle s'est trop comportée comme secrétariat du Conseil et pas assez comme Commission. Par rapport à d'autres périodes que M. de Charette et moi avons connues, il est frappant de constater qu'elle n'a pas fait les propositions, pris les initiatives, proposé les projets de régulation financière qu'on pouvait attendre d'elle !
Dans une Europe à vingt-sept, la méthode communautaire reste nécessaire, et elle est importante pour nos partenaires, notamment les plus faibles. Un exemple : en France, il nous paraît parfaitement rationnel de relever le seuil des aides aux PME, mais cela aboutit à une perte de compétitivité pour des pays comme la Slovaquie ou la Slovénie. La Commission reste donc gardienne sur ce plan.
Pour ce qui est du Traité de Lisbonne, son grand avantage par rapport à ce qu'on a vécu, c'est la continuité. A condition de trouver la bonne personne, il sera très profitable à l'Union d'avoir une sorte de ministre des Affaires étrangères et un président du Conseil européen qui soient stables. J'ai évolué sur ce point par rapport aux débats que nous avons eus il y a un an sur la présidence stable du Conseil, sachant que le vivier est étroit pour choisir la bonne personne. Mais cette continuité jouera en faveur de l'Europe, notamment dans ses relations extérieures.
M. de Charette a raison : l'année 2009 sera difficile sur le plan économique. Elle le sera aussi sur le plan institutionnel car la Commission devra être renouvelée, ce qui ne l'incitera pas à prendre beaucoup d'initiatives. En outre, les élections européennes se feront sur la base du Traité de Nice. Il y aura un retour américain - bon ou mauvais, il est encore trop tôt pour le savoir. Il y aura des présidences de l'Union par des pays hors zone euro, la République tchèque et la Suède, ce qui est un problème.
La République tchèque est le premier pays de l'ancien bloc communiste à prendre les rênes de l'Europe, et mon sentiment est que les Tchèques vont, quoi qu'on en dise, vouloir être à la hauteur de la situation. Car l'Europe est à la croisée des chemins. Les principaux leaders européens ne resteront pas inactifs, et ce qui a été mis en oeuvre sous la Présidence française sera poursuivi d'une manière ou d'une autre. Soit les présidences à venir seront réactives, sauront écouter les autres et feront de la politique plus que de la technique - comme ce fut le cas durant la Présidence française. Soit elles ne le seront pas et, comme la nature a horreur du vide, les réunions ad hoc et autres cercles se développeront et le centre de gravité de l'Union se déplacera.
Q - (à propos de la situation dans le Caucase et de l'indépendance du Kosovo)
R - Monsieur Ferrand, avant le 7 août, il y avait également une présence militaire russe de protection en Ossétie du Sud et en Abkhazie. Force est aussi de constater que la Russie a utilisé intelligemment la situation du Kosovo, en faisant tout pour que soit rejeté le plan Ahtisaari, et ce après plus de dix ans de conflit dont il fallait quand même sortir.
C'est vrai, les Etats membres étaient divisés sur l'indépendance du Kosovo, certains étant défavorables en raison de situations régionales : songez à l'Espagne. Quant à l'attitude de la Roumanie, elle est liée aux problèmes de la Moldavie et de la Transnistrie. Je me suis d'ailleurs rendu en Moldavie pour essayer de voir comment avancer sur ces sujets. Dans le cas du Kosovo, il y avait un accord passé dans le cadre de l'ONU, une médiation avait été réalisée, ce qui n'existait pas dans le cadre de la Géorgie - même s'il est clair que les initiatives géorgiennes auraient dû être mieux contrôlées. Tous les processus possibles au niveau multilatéral, utilisés pour le Kosovo, manquaient dans le cas de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. C'est à cette situation qu'a pour but de remédier la conférence internationale de Genève. Il s'agit d'essayer de créer le même processus que pour le Kosovo. En cette fin d'année, on arrive à une certaine stabilisation. Surtout, ce qui est important pour la Présidence française, c'est de donner des perspectives européennes à la Serbie. La France ne doit absolument pas relâcher ses efforts en ce domaine et doit soutenir tous les efforts des Serbes qui font preuve d'une très grande responsabilité, notamment par rapport à la stabilisation du Kosovo aujourd'hui.
Q - (à propos de l'Union pour la Méditerranée)
R - En réponse à MM. Bascou et Guibal, la dynamique de l'Union pour la Méditerranée est plus politique que celle du Processus de Barcelone, qui était plus "communautarisé" et technique. La vision politique est nettement plus importante dans l'Union pour la Méditerranée, avec des coprésidences de chefs d'Etat et de gouvernement, alors qu'à Barcelone, aucun chef d'Etat ne participait aux réunions. L'Union est plus structurée pour ce qui est de son secrétariat général. Ce n'est pas la Commission, ou une direction de celle-ci, qui a le monopole des relations euro-méditerranéennes, mais on recherche un équilibre, au grand dam de la Commission. On y est arrivé grâce à un accord d'Etat à Etat avec les Espagnols, avec la localisation du secrétariat général de l'Union pour la Méditerranée à Barcelone, permettant de prendre plus de distances avec les bureaux de la Commission, ce qui n'est pas plus mal. Il vaut mieux s'entendre avec le gouvernement espagnol, avec les autorités des pays riverains pour faire quelque chose de plus politique. Il y a une approche par projets, et non plus uniquement sur documents, trop bureaucratique.
Sur la banque, le projet est à l'étude. Il faut utiliser les outils existants, la Banque européenne d'investissement (BEI), le partenariat public-privé pour les financements. Une banque de développement est une idée intelligente, et même si elle risque de se heurter à des résistances, elle serait symbolique. Là aussi, on peut y arriver dans le cadre de l'UPM, alors que c'eût été inconcevable dans le cadre du Processus de Barcelone.
Les relations bilatérales restent très importantes avec les pays du Maghreb. Nous souhaitons - et nous l'avons bien précisé aux Marocains à l'occasion de l'accord sur le statut avancé donné par l'Union européenne au Maroc - que l'Union ne se fasse pas au détriment des relations bilatérales.
Q - (à propos du volet parlementaire de l'Union pour la Méditerranée)
R - Monsieur Bascou, la dimension parlementaire est prise en compte, et nous avons eu cette discussion au Parlement européen. L'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne figure dans les acquis de Barcelone, tels que repris dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée. Comme vous le savez, l'assemblée parlementaire des pays riverains de la Méditerranée s'est réunie il y a un mois à Amman en Jordanie. Nous souhaitons que le volet parlementaire soit important dans le cadre de l'UPM. Ce sera aussi aux parlementaires de faire entendre leur voix dans ce cadre.
Q - (à propos de la politique nucléaire de l'Union européenne)
R - Je suis entièrement d'accord avec les propos de M. Bataille sur le nucléaire et sur le blocage allemand lié aux élections. Il a parfaitement identifié le problème. Il faut le résoudre de la façon la plus intelligente possible, en particulier avec les nouveaux Etats membres, notamment en jouant sur la sécurité énergétique. Il nous reste du chemin à faire, mais nous avons de plus en plus d'alliés face à l'Allemagne, d'où mon optimisme sur l'énergie parce que je pense que l'Allemagne va se retrouver assez isolée. Pour avoir participé à un triangle de Weimar, je connais les déclarations polonaises sur le nucléaire, y compris celles faites par le Premier ministre Donald Tusk hier : les Polonais veulent se doter du nucléaire avant 2020, et les Allemands devront bien y réfléchir.
Q - (à propos de la capture et du stockage de CO2)
R - Sur la capture et le stockage de CO2 - que j'ai eu tort d'évoquer, mais j'ai voulu être exhaustif -, vous êtes très compétent, Monsieur Bataille. Pour ma part, je pense que c'est un projet d'avenir ; c'est en tout cas ce que j'ai entendu. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et nous-mêmes y travaillons. Des projets pilotes de grandes entreprises françaises, comme Total à Lacq, sont menés sur ces technologies et des poches sont disponibles pour le stockage de CO2. Des personnes bien connues de vous et moi, comme le président de l'Institut français du pétrole, M. Olivier Appert, prennent au sérieux cette technologie. Une personne qui n'est plus en activité et pour qui nous avons beaucoup de respect sur tous les bancs de cette commission, en l'occurrence M. Claude Mandil, y croit aussi.
Q - (à propos de la Politique européenne de sécurité et de défense)
R - Pour répondre à M. Kucheida, notre objectif en matière de Politique européenne de sécurité et de défense est de doter l'Union d'un centre de planification et de conduite d'opérations. S'agissant des Britanniques, et je réponds également à M. Boucheron, tant qu'il y avait des suspicions de duplication entre l'OTAN et la PESD, il était difficile d'avancer avec eux. La mise en oeuvre de quinze opérations dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense montre qu'il peut y avoir complémentarité, des centres de planification propres. Les Britanniques s'en rendent maintenant compte. D'autant plus que les Etats-Unis vont s'en rendre compte également, et c'est peut-être là-dessus que j'attends le plus d'évolutions de la part de l'administration Obama.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2008