Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France 2 le 7 novembre 2008, sur le vote des militants socialistes en faveur de la motion de Ségolène Royal, la possibilité pour les salariés du privé de travailler jusqu'à 70 ans et le programme Erasmus.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Avant de parler des universités, je voudrais d'abord m'adresser à la responsable de l'UMP. Hier, au Parti socialiste, S. Royal est arrivée largement en tête. Que vous inspire cette victoire de S. Royal ?
 
Je crois que le Parti socialiste, aujourd'hui, est moins lisible que jamais. Parce que vous dites que S. Royal est arrivée largement en tête, en réalité le Parti socialiste se partage quasiment en quatre quarts aujourd'hui. Il y a les ségolénistes, les amis de Delanoë, les amis de M. Aubry de L. Fabius.
 
S. Royal a 4 points d'avance...
 
Oui, mais même monsieur Hamon donc la gauche, gauche est à 19 %. Donc on a un Parti socialiste de plus en plus divisé et on le voit c'est plutôt l'image qui l'emporte sur le fond.
 
A propos d'image justement, on avait beaucoup ri à l'UMP, mais même au Parti socialiste, sur le meeting de S. Royal au Zénith. Est-ce que vous, cela vous avait fait rire ou, au contraire, est-ce qu'elle a trouvé le ton que les Français attendaient ?
 
J'ai toujours pensé que le registre de S. Royal était surtout sur l'émotion et on voit bien que ce registre a fonctionné et qu'il a fonctionné à plein. Mais en même temps, l'émotion cela ne fait pas un programme politique. Et moi, je serais très inquiète si aujourd'hui, face à la crise internationale que nous vivons, nous avions un président de la République à la tête de l'Etat français qui joue sur le registre de l'émotion, mais pas sur le registre de la mobilisation de la communauté internationale de la réponse à la crise, du sérieux des idées.
 
Ce qui s'est passé au Parti socialiste, à l'UMP il n'y a pas de leçon à en tirer ?
 
Je crois que, en tout cas, nous en avons tiré la leçon du fait qu'il fallait plus de démocratie interne. Vous savez que pour les régionales, par exemple, nous élirons nos chefs de file à travers un scrutin des militants.
 
Vous-même, vous êtes en bagarre en Ile-de-France avec R. Karoutchi...
 
Je ne suis pas en bagarre, je suis en compétition et en compétition démocratique. Pourquoi ? Parce que cela fait vivre les partis politiques et c'est vrai qu'avoir un congrès comme le Parti socialiste et élire ensuite le premier secrétaire, le faire élire par les militants, cela donne aux militants...
 
C'est ce qu'il faudrait faire à l'UMP ? A l'UMP, le patron n'est pas élu...
 
...Cela donne aux militants un vrai pouvoir. Cela étant dit, aujourd'hui à l'UMP, j'allais dire "l'UMP est orpheline de N. Sarkozy". Il est Président de tous les Français, mais c'est difficile, alors qu'il est notre chef, au fond, à tous et celui dans lequel nous nous reconnaissons, celui qui nous dynamise. C'est très difficile de lui élire un successeur.
 
En tout cas, ce qui s'est passé hier au Parti socialiste, cela semble montrer que pour 2012, on pourrait très bien avoir un remake de ce qui s'est passé en 2007, c'est-à-dire S. Royal contre N. Sarkozy. C'est une belle bagarre en perspective ?
 
Je crois que N. Sarkozy a vraiment changé de stature et de dimension depuis deux ans. Je pense que sa confrontation avec la crise en Géorgie, sa confrontation avec la crise financière américaine, le rassemblement international qu'il a su faire pour gérer cette crise, dont il a été objectivement l'homme fort, l'homme fort de la résolution de la crise, je crois que, aujourd'hui, il y a vraiment une différence de dimension entre les deux.
 
La crise économique justement : hier, C. Lagarde annonçait que la croissance pour 2009 serait entre 0,2 et 0,5 %. Cela veut dire sans doute des économies budgétaires. Est-ce que la recherche, l'université vont, elles aussi, devoir se serrer la ceinture ?
 
Je crois que la recherche et l'université dans des périodes de difficultés économiques c'est les premières armes anti-crise. Parce que c'est les armes du rebond. La recherche, l'innovation, c'est les emplois de demain et on voit qu'aux Etats-Unis et au Japon, dans les années 90, quand il y a eu de graves crises économiques, la première chose qu'ils ont fait, c'est d'investir massivement dans l'université, dans la recherche. Quitte à creuser leur déficit budgétaire. Alors ce n'est pas ma décision...
 
On va creuser le déficit en France ?
 
Ce n'est pas ma décision. Ce ne serait pas ma décision gouvernementale, mais en tout cas ce que je vois, c'est que dans les autres pays d'innovation, les grands pays d'innovation et de recherche le rebond est venu de la recherche et de l'innovation. Et ces dépenses-là n'ont pas été sacrifiées. Bien au contraire, elles ont été amplifiées quand il y a eu des crises économiques.
 
Donc, ce matin, vous ne craignez pas que C. Lagarde vous dise "il va falloir faire des sacrifices" ?
 
Tout ministre craint le ministre du Budget. Mais je crois vraiment que le choix qui a été fait par le président de la République et le choix qui a été fait par le Premier ministre, c'est celui de dire que ces dépenses sont plus que jamais d'actualité. Et ce milliard [inaud.] d'euros, ces 6 %, 6,5 % d'augmentation du budget de la recherche, de l'université... Vous savez, il y a deux ans, on dépensait 7.500 euros par étudiant par an, en 2009 on dépensera 8.500 euros par étudiant par an. On a augmenté de 1.000 euros, parce que nous faisons le pari de l'intelligence et de la qualification de nos enfants. Le chômage risque de remonter. Quelle est la réponse au chômage ? Une meilleure formation pour nos jeunes.
 
A propos de chômage et de chômage des jeunes, l'Assemblée a décidé que ceux qui le voudraient, pourraient travailler jusqu'à 70 ans. Est-ce que c'est logique alors que beaucoup d'étudiants ne trouvent pas de travail ?
 
Je crois qu'il faut qu'on aborde la question des fins de carrière de manière différente. Je souhaiterais que l'université, que les centres de formation professionnelle, que les centre de formation d'apprentis s'ouvrent davantage à des personnes qui ont 55, 60 ans, qui sont en fin de carrière, pour qu'elles aient non seulement une partie de leur travail dans l'entreprise, mais qu'elles aient aussi une partie de travail dans la formation et la transmission des savoirs. Je regrette que l'université ne soit pas suffisamment ouverte sur les socioprofessionnels qui ont tant à apporter à nos jeunes. Et je crois que cela serait peut-être une façon, à la fois de concilier un travail plus longtemps pour ceux qui le souhaitent ou qui en ont besoin financièrement. Travailler plus longtemps, mais travailler dans la formation et la transmission vis-à-vis des jeunes. Comme ça, on permet un vrai tutorat.
 
Mais pour ceux qui sortent de l'université, il faut quand même faire de la place...
 
Oui, mais justement. Si en fin de carrière, on travaillait, mettons, à mitemps dans son entreprise et à mi-temps dans un centre de formation, ou si dans l'entreprise on avait une mission qui soit à mi-temps de former les jeunes qui arrivent, d'être coach de stagiaires, tuteur de stagiaires, à ce moment-là, effectivement on facilite l'entrée des jeunes et on fait une fin de carrière douce en faisant toute leur place aux savoir que peuvent transmettre tous ces cadres qui ont derrière eux 35 ans de vie active, qui ont des choses à apprendre, des choses à dire, des choses à transmettre.
 
Sur un sujet très différent il y a à l'université ce qu'on appel le programme Erasmus. C'est un programme européen qui permet d'aller dans un pays étranger - c'est le film "L'auberge espagnole". Il y a quelque chose d'étonnant : cette année, il y a 4.000 bourses Erasmus qui n'ont été prises par personne. Comment expliquez-vous cela ?
 
D'abord, pour dire que cela m'inquiète. Cela m'inquiète parce qu'une mobilité internationale dans un curriculum vitae pour un jeune, qu'il soit apprenti, qu'il soit étudiant, c'est un plus extraordinaire et l'employeur quand il verra que la jeune est parti, qu'il a osé aller s'adapter à une autre culture, à un autre pays, s'ouvrir, il aura envie de recruter. Que nos jeunes n'aient pas envie de partir, cela m'ennuie. Il y a trois facteurs. Un facteur psychologique : ils ne connaissent pas les universités étrangères. C'est pour cela que nous voulons faire une carte, un classement européen des universités pour qu'un jeune qui veut devenir avocat sache qu'il y a une très bonne université en Italie à tel endroit, en Espagne, en Lettonie, en République tchèque. Donc une carte des universités pour qu'ils connaissent, pour rompre ce facteur psychologique, "j'ai peur d'y aller, je ne connais pas". Ensuite, il y a un deuxième facteur, c'est les langues. Les jeunes français ne parlent pas les langues. Dans mon plan "Réussir en licence", j'ai donné cinq heures de cours supplémentaires par semaine et par étudiant pour qu'on fasse des langues à l'université et que 100 % des jeunes se voient proposer des langues étrangères. Mais j'apprends que ce n'est pas encore les cas dans tous les cursus et je me battrais pour que les jeunes français parlent l'anglais. Le troisième facteur, il est financier : Erasmus, c'est 200 euros par mois, ce n'est pas assez. La vocation sociale d'Erasmus n'a pas été atteinte. Ce sont des jeunes initiés et aisés qui partent et moi, je ne veux pas cela. C'est pour cela que depuis octobre, j'ai mis 30.000 bourses de mobilité pour tous les jeunes dont les parents ne sont pas imposables à l'impôt sur le revenu, c'est 400 euros par mois. Et en France, c'est très particulier, nous autorisons les jeunes à transporter à l'étranger leur bourse sociale, c'est-à-dire que pour les 100.000 jeunes les plus défavorisés, c'est 846 euros par mois s'ils partent à l'étranger pour étudier.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 novembre 2008