Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Radio Classique le 11 décembre 2008, sur les réformes de l'enseignement et l'autonomie universitaire.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


 
J.-L. Hees.- V. Pécresse bonjour et bienvenue sur Radio Classique.
Bonjour.
Je rappelle que vous êtes la ministre en charge de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Est-ce que les difficultés et le début d'agitation qu'on voit dans le secondaire vous inquiètent ? Ce n'est jamais très facile les métiers de réforme dans l'enseignement, que ce soit dans le secondaire ou que ce soit dans l'enseignement supérieur.
Oui mais je crois que c'est dans l'éducation, dans la formation, dans l'enseignement supérieur que nous avons le plus besoin de réformes. Pour parler de mes ouailles, des étudiants, des universités, on voit bien que la réforme du Gouvernement, l'autonomie des universités est une réforme extrêmement nécessaire parce qu'elle va placer les responsabilités à la fois dans une situation de beaucoup plus grande liberté pour recruter leurs enseignants, pour améliorer leur formation, pour nouer des liens avec le tissu économique, pour insérer professionnellement leurs étudiants et en même temps dans une situation de responsabilité avec les cultures du résultat. On va leur allouer leurs moyens à la performance. Et ça c'est important mais ça veut dire que le système va beaucoup mieux marcher, ça veut dire que les jeunes qui s'engouffreront dans des filières universitaires, ne s'engouffreront plus dans des filières dont ils ne connaissent pas les débouchées et qui n'ont pas de finalité professionnelle.
Alors comment expliquez-vous que ça crée quand même de l'anxiété ? Je pense aux étudiants des IUT qui se disent : oui il y a cette réforme mais est-ce que ça veut dire que ça va revaloriser nos diplômes ? Est-ce que ça veut dire qu'on va être un peu laissés pour compte dans cette réforme ?
Mais je crois que tout au contraire. Alors qu'il y ait une appréhension dans le changement c'est vraiment, c'est une certitude, on le vit au quotidien à chaque fois qu'on fait une réforme. Il y a de l'appréhension face aux changements mais s'agissant des étudiants des IUT, ils n'ont rien à craindre de l'autonomie, bien au contraire. Ils vont en être les premiers bénéficiaires. D'abord parce que comme je vous le disais, les dotations financières des universités autonomes seront attribuées à la performance et notamment sur des critères d'insertion professionnelle. Or les IUT sont des filières de réussite de ce point de vue. Ils sont très en avance sur les questions d'insertion professionnelle. Donc ils bénéficieront de davantage de moyens dans l'autonomie. Et par ailleurs, toutes les garanties seront données aux IUT pour prévenir d'éventuels conflits qu'ils auraient avec les présidents d'université. Mais ce que je veux dire et le message que je veux envoyer aux étudiants d'IUT, c'est qu'en revanche, ils auraient tout à perdre si les IUT faisaient sécession, se séparaient des universités autonomes parce que plus des deux tiers d'entre eux vont poursuivre leurs études après leur diplôme d'IUT. Ils vont poursuivre leurs études dans l'université. Ils ont besoin que les filières d'université soient en cohérence avec les filières de leur IUT. Et quant au cadre national des diplômes, puisqu'ils étaient très inquiets, le cadre national des diplômes n'est absolument pas touché par l'autonomie. L'Etat continue de délivrer tous les diplômes.
J'ai une question subsidiaire. Combien ça coûte un étudiant dans un IUT par rapport à un étudiant dans la filière classique ?
Alors j'ai pris un engagement très fort vis-à-vis des directeurs et présidents d'IUT. J'ai dit que je tiendrais compte du coût supplémentaire de formation d'un étudiant d'IUT par rapport à un étudiant de filière générale dans l'allocation des moyens des universités autonomes. Pour un euro donné à un étudiant de filière générale, je donnerai 2 euros, 8 par étudiant d'IUT. Donc c'est vous dire à quel point les IUT sont un pilier de ma politique et à quel point j'entends préserver, j'allais dire, tout ce qui fait leur réussite.
Alors ça ne vous a pas échappé, c'est la crise. Ça n'a échappé à personne. Paradoxalement c'est une chance aussi, enfin j'ai l'impression, de votre point de vue parce que le président de la République en présentant son plan de relance a annoncé un certain nombre de grands travaux et puis d'investissements dans votre secteur, les universités.
Oui tout à fait. Mon budget et celui de l'Enseignement supérieur et de la Recherche était déjà prioritaire en 2009 puisqu'il devait croître de 6,5%. Mais le président de la République veut en faire une de ses armes anti crise. L'arme du rebond. Et donc le budget finalement croîtra de 26% cette année. Alors à la fois avec des efforts très importants sur l'université et la recherche et notamment les infrastructures de recherche, les laboratoires, la rénovation des universités, le développement durable mais aussi pour la recherche privée. Nous allons mettre un effort supplémentaire de 3,8 milliards sur le crédit impôt recherche de façon à ce que les PME qui risquent, innovantes, qui cette année risquent d'être déficitaires à cause de la crise parce qu'elles ont à faire face à des charges, aux charges de leur croissance dans un marché qui est ce qu'il est, que ces entreprises-la puissent j'allais dire mobiliser leurs créances d'impôt, c'est-à-dire recevoir leur crédit d'impôt alors même qu'elles n'ont pas de bénéfices sur lequel l'imputer.
On a l'impression que ça vous passionne tout ça.
C'est mieux.
Oui sûrement. Vous avez entendu dire qu'il y aurait un remaniement un de ces jours. Il s'est passé quelque chose d'assez étonnant hier entre R. Yade et puis B. Kouchner. Est-ce que vous avez été choquée par ça ? Comment est-ce que vous vivez ça, cette espèce de petite guéguerre de temps en temps entre ministres d'un même Gouvernement ?
Ecoutez je crois que nous sommes tous une équipe et je crois qu'une équipe pour réussir, elle doit être solidaire. Et moi il y a rien qui me choque plus effectivement que de sentir de la tension dans l'équipe. Cela dit, B. Kouchner a dit qu'il y avait rien de personnel vis-à-vis de R. Yade dans ses propos. Il tenait un propos général sur l'organisation gouvernementale ; il est ministre des Affaires étrangères, il peut avoir son avis sur l'organisation de son ministère.
Alors je ne sais pas si c'est pour vous détendre que vous briguez la présidence de la région Ile-de-France mais je me dis : voilà un ministre quand même qui est très occupé puisque les réformes, il faut toujours les expliquer, les expliciter, revenir dessus. J.-P. Huchon était dans votre siège il y a deux jours, il n'était pas très content du propos que vous aviez tenu sur sa façon de gérer la région en période de crise.
Ce qui m'a beaucoup frappée et j'allais dire choquée, c'est qu'à l'heure même que le président de la République, alors même que tous les chefs d'Etat du monde se mettent au chevet de leur pays pour relancer l'économie et puis pour protéger leurs citoyens des retombées de la crise, la région Ile-de-France, qui est la première de France avec le premier bassin d'emplois de France, la région la plus ouverte sur le monde, ne prenne pas dans son budget 2009 des mesures spécifiques anti crise. Elle en a les moyens. Je ne vous donnerai qu'un seul exemple. Le Gouvernement a annoncé la création de 100 000 contrats aidés cette année pour amortir les conséquences de la crise pour les personnes en contrat à durée déterminée, en intérim ou en chômage technique, qui vont se retrouver sans emploi. La région, elle, a un dispositif qu'elle a mis en place, une usine à gaz qui s'appelle les emplois tremplins. C'est des emplois jeunes aidés qui sont destinés à donner de l'emploi à des jeunes. Ca ne marche pas. On a eu un rapport d'audit, on devait en créer 10 000, on en a créés 2.000. On devait les créer pour des jeunes non qualifiés. En fait c'est des jeunes très qualifiés qui les ont. Personne ne sait que ça existe, personne ne sait comment on les crée. Alors moi j'ai pris la parole. J'ai dit à monsieur Huchon : mais ces emplois tremplins, ces 10 000 emplois tremplins, ajoutez-les aux emplois aidés du Gouvernement, faites 10% d'emplois aidés en plus et l'ANPE, le Pôle emploi lui il sait créer des emplois aidés, des contrats aidés. Il sait ramener des personnes non qualifiées vers l'emploi. Aidez le Gouvernement, appuyez le plan de relance. Amplifiez ce plan de relance.
Mais lui, il trouve que les transferts de budget se font quand même dans un mauvais sens.
Oui mais là, en l'occurrence, ce n'est pas les transferts de budget, c'est une décision stratégique de la région de créer ces 10 000 emplois. Or ils sont incapables de le faire. Ils préfèrent saupoudrer les crédits, ils préfèrent créer une usine à gaz régional, ils préfèrent faire leur petite cuisine dans leur petit coin plutôt que de venir appuyer l'effort du Gouvernement. C'est le contraire de ce qui se passe dans les autres pays. Dans les autres pays, les formations politiques d'opposition font l'union nationale. Les pouvoirs locaux font l'union nationale avec le pouvoir national. Aujourd'hui, nous avons des régions qui s'érigent en contre-pouvoir local du pouvoir national. Dans une période de crise, ce n'est pas possible. Dans une période de croissance, on pourrait dire "ils font de la politique, ce n'est pas très grave". Mais dans une période de crise, quand il y a des personnes qui risquent d'être privées d'emploi, quand il y a des PME qui risquent de se retrouver sans clients avec des difficultés de trésorerie, là encore la région a des pouvoirs considérables en matière d'aide aux PME, d'aide à l'innovation. Elles peuvent faire des avances remboursables. Elles peuvent dynamiser complètement le tissu des PME locales. Elles pourraient prendre des mesures là aussi de relance de l'activité en Ile-de-France.
Résultat des courses, J.-P. Huchon - toujours J.-P. Huchon dans ce même siège - nous disait : mais moi, je préfèrerais pour les régionales affronter V. Pécresse que monsieur Karoutchi, finalement, parce que... Parce qu'il a ses raisons mais c'était : lui il connaît ses dossiers, voilà.
Ecoutez monsieur Huchon ne choisit pas son adversaire et j'aurais tendance à penser que s'il le choisissait, il choisirait celui qui... Oui enfin la façon dont il présente les choses est assez habile mais je crains que ce ne soit pas lui qui choisisse.
C'est diviser pour mieux régner, c'est ça que vous voulez dire ?
Non pas du tout. Non je pense que monsieur Huchon a été très choqué et je peux le comprendre, que je vienne le réveiller et le mettre face à ses responsabilités notamment quant au bien-être des Franciliens face à la crise et à la protection nécessaire qu'il doit assurer vis-à-vis des citoyens qui dépendent de lui dans la région Ile-de-France.
Qu'est-ce qui vous motive autant dans cette ambition de devenir présidente de la région Ile-de-France ?
Je suis élue de cette région depuis maintenant presque une dizaine d'années et ce que je vois, c'est un reflux de l'UMP dans la région depuis 10 ans, un reflux j'allais dire tendanciel qui ne se dément pas. A chaque élection, on recule un petit peu plus. Il y a un paradoxe c'est que le Gouvernement auquel j'appartiens est en train de faire des réformes qui sont cruciales pour le pays, des réformes qui ne sont absolument pas contestées, en tous cas sur leur utilité. Je parle de l'autonomie des universités, je parle de la réforme de la recherche, je parle du Grenelle de l'Environnement, je parle du Revenu de Solidarité Active, de la lutte contre la pauvreté. On est en train de dynamiser le pays. Et face à ça, je vois ma région, la région dont je suis l'élue qui, elle, reste immobile et qui est la source, enfin qui est le lieu à la fois d'une très grande prospérité, d'un très grand dynamisme et en même temps de toutes les inégalités. Et moi j'ai envie de faire re-fonctionner l'ascenseur social en Ile-de-France. J'ai envie de refaire fonctionner la formation, l'éducation en Ile-de-France. Vous savez, les banlieues ont brûlé en Ile-de-France, comme elles brûlent aujourd'hui à Athènes. Les banlieues ont brûlé en Ile-de-France. Moi je ne pense pas qu'on puisse soutenir à long terme une région avec autant d'inégalités et je pense que pour lutter contre ces phénomènes d'inégalité, il faut faire des paris beaucoup plus ambitieux d'aménagement du territoire, de développement écologique, de développement économique et puis l'éducation.
La passion y est en tous cas, je vous remercie infiniment V. Pécresse et bonne journée. Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2008