Déclaration de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les mutations du travail dans l'entreprise, Dunkerque le 18 mars 1999.

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Circonstance : Clôture de la première journée du colloque sur "Les Mutations du travail en Europe", Dunkerque le 18 mars 1999

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers Amis,
Je suis particulièrement heureux dintervenir dans cet important colloque sur les mutations du travail.
Nos compatriotes et beaucoup deuropéens en effet ont souvent limpression que laccélération de la vie économique, le renforcement de la concurrence, une pression internationale chaque jour plus forte, impliquent une plus grande précarisation des salariés.
Les contrats courts ou à temps partiel se multiplient. Lexternalisation progresse. Outre des services, cette dernière peut aller jusquà concerner des individus : le cadre est transformé en consultant ou prestataire de services extérieur à lentreprise.
Tout ceci se place dans un contexte ou les technologies de linformation permettent des relations de travail extrêmement souples, à la carte pourrait-on dire, et lon comprend alors que leur développement suscite des craintes. Tous ces phénomènes sont bien sûr susceptibles dinterprétations très diverses et même positives, mais leur concordance crée un sentiment dinquiétude.
Mais on entend parfois évoquer un autre modèle, un modèle plus attractif, autour du thème du management par la fidélité ou de ses variantes.
Lentreprise nest alors pas seulement un noeud de contrats, plus ou moins flexibles, mais une collectivité de compétences et de motivations, impliquant de la part de lemployeur et de lemployé une perspective de long terme.
Cette idée est séduisante parce quelle prend en compte le fait que le développement de lentreprise repose sur des savoirs et des savoir-faire accumulés ayant vocation à se développer sans cesse.
Cet ensemble de compétences concerne aussi bien la recherche et lintégration de ses résultats aux produits de linnovation, que la connaissance des marchés et des clients.
Dailleurs les analystes financiers commencent à sintéresser, pour évaluer les entreprises, à ces ressources immatérielles que sont les savoirs et les relations humaines à la fois dans lentreprise et par rapport à son environnement.
Cette idée de liens de fidélité, de connaissances partagées des objectifs et des moyens, renvoie, comme vous le devinez, à celles dentreprise apprenante, de formation tout au long de la vie comme de décloisonnement hiérarchique et dautonomie des salariés.
Cette dernière conception na évidemment pas que des avantages : par exemple, la formation tout au long de la vie peut rogner sur la vie privée en faisant se dissoudre la frontière entre temps de travail, temps de formation et temps de loisir.
Cependant ce modèle a aussi des aspects positifs : une politique de rémunération ou de participation aux résultats de lentreprise plus avantageuse et plus fidélisante.
Il donne aussi un rôle plus important au dialogue au sein de lentreprise, sur lorganisation du travail ou linnovation.
Cette conception de lentreprise sur le plan de lorganisation fait également du pouvoir dans la firme une capacité à faire circuler de linformation et à y associer les collaborateurs, ce par opposition au pouvoir traditionnel conçu comme une capacité de commander appuyée sur linformation retenue, non diffusée.
La pertinence des deux modèles que jai rapidement esquissés semble correspondre à deux types dentreprises, placées dans des situations de concurrence différentes.
Le modèle de précarisation correspondrait à des entreprises aux produits à faible valeur ajoutée dont la compétitivité reposerait sur la compression systématique des coûts.
Le modèle de fidélité quant à lui correspondrait davantage à des entreprises fondées sur linnovation, la recherche, les nouveaux métiers appuyées par les technologies de linformation.
Mon sentiment ou mon espoir est que le second modèle va gagner du terrain.
Cet espoir cest dailleurs celui quavait exprimé dès 1992 Martine Aubry dans un article du « Monde ».
Elle en appelait déjà à une « appréciation plus globale, plus indépendante, du rôle respectif du travail et des équipements dans la performance ».
Elle considérait quune entreprise ne devait pas rechercher par un principe à courte vue les plus bas niveaux de salaire, mais à viser, « la qualification du personnel et lorganisation qui permettent ladaptabilité et la qualité ».
Je crois quen 1999, cette vision se trouve confirmée précisément à cause des nouvelles technologies de linformation.
Avec les technologies de linformation tous les secteurs, même les plus traditionnels, sont traversés par un vaste courant dinnovation.
On voit par exemple dans les zones rurales des producteurs indépendants de produits du terroir se regrouper pour vendre et gérer une clientèle par voie électronique.
Mais indépendamment du commerce électronique, dans chaque entreprise lintranet qui relie les salariés, lextranet qui relui ceux-ci aux clients ou fournisseurs vont venir bouleverser mais aussi enrichir le travail et vont faire de chacun un dépositaire de ce que les informaticiens appellent lintelligence répartie.
Permettez-moi de conclure dune façon un peu plus politique, en tant que membre du gouvernement de Lionel Jospin.
Je crois, en effet, que cette évolution de lentreprise et du travail, poussée par les nouvelles technologies, peut être considérée comme un élément capital de la toile de fond de laction du gouvernement en faveur de la croissance et de lemploi.
Je nen prendrai que deux exemples qui participent à cette même logique.
Dabord les mesures que met en oeuvre Dominique Strauss-Kahn en faveur des entreprises à fort potentiel de croissance, en particulier les « bons de souscription de parts de créateurs dentreprises »
Au delà de lavantage financier quils représentent, ils correspondent à une association motivante des salariés à la réussite de lentreprise et à son fonctionnement collectif.
Cest un partage des profits mais aussi, en amont, un partage des responsabilités.
Deuxième exemple, les 35 heures, que certains présentent comme un couperet qui va nuire à notre compétitivité internationale.
(Jobserve en passant, jétais ce matin en Allemagne, que Volkswagen travaille sur une durée de base de 28,8 heures par semaine).
Je crois au contraire dans lesprit du gouvernement et de Martine Aubry que les 35 heures qui sont fondées sur la négociation vont être à lorigine dune très grande avancée collective sur lorganisation du travail et permettre davantage aux salariés de devenir des acteurs de la performance économique, et non des simples subordonnés des dirigeants.
Voilà, Mesdames et Messieurs, mes quelques réflexions.
Je pense que la nouvelle forme de croissance que notre pays peut connaître dans la société de linformation ne doit pas être ressentie avec inquiétude par le monde du travail mais au contraire comme une chance pour tous si nos idées progressent aussi vite que les technologies.
Cest ce à quoi votre colloque, jen suis persuadé, va contribuer.
Je vous remercie.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 18 mars 1999)