Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à "La Tribune" du 15 juin 2001, sur la nécessité d'une gestion européenne commune des programmes et des commandes d'armements, notamment avec l'OCCAR, sur la prochaine loi de programmation militaire, et sur la situation de la DCN.

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Circonstance : 44ème salon international de l'aéronautique et de l'espace au Bourget du 17 au 24 juin 2001

Média : La Tribune

Texte intégral

Q - Quel regard portez-vous sur cette nouvelle édition du Salon du Bourget ?
R - C'est un Bourget plutôt tonique ! Dans l'industrie aéronautique, spatiale et de défense, les entreprises nées des restructurations travaillent à plein. Je me rappelle des incertitudes sur leur avenir au Salon 1997, c'est loin. Et il existe de beaux débouchés, tant dans le spatial que dans l'aéronautique civile avec 1'A380 qui est passé du stade de projet à celui de programme, ou dans l'aéronautique militaire avec l'A400M qui devient aussi réalité.
L'Europe de l'armement est encore une perspective alors que l'Europe de la défense "opérationnelle", elle, a franchi entre le milieu de l'année 1999 et la fin de 2000 le cap des décisions politiques et de la fixation d'objectifs concrets. L'Europe de l'armement a acquis des outils, dont la LOI (letter of intent) et l'Occar, véritable agence de conduite de programmes une fois que les Etats ont décidé de les réaliser. Mais il nous reste un défi à relever : que les Etats européens soient vraiment déterminés à acheter et à s'équiper ensemble. Dans un continent qui a changé la face du monde en se construisant comme marché unique, les mentalités en matière d'équipements militaires n'ont pas encore traduit cette réalité. Et pour moi, cela reste un des grands achèvements à accomplir par les gouvernements de l'Union.
Q - Cela signifie-t-il que tous les grands programmes devront passer par l'Occar ?
R - Presque tous. Cela va entraîner dans les mois à venir l'entrée formelle de plusieurs pays dans l'Occar, à mesure que les programmes conjoints seront conclus. Ainsi, lorsque les Etats qui sont partie prenante au programme A400M auront signé leur commande, le programme sera géré par l'Occar. Notre délégation générale pour l'armement continuera à faire bénéficier de son savoir-faire et de ses méthodes modernisées nos processus nationaux d'acquisition d'armement, car il en restera. Mais de plus en plus, elle sera un des réservoirs d'expertise sur lesquels s'appuiera l'Occar. Si l'on poursuit cette révolution copernicienne, on peut espérer que les outils d'acquisition et de maintenance des armements européens seront entièrement communs dans quinze ou vingt ans.
Q - A quoi peut-on s'attendre concernant l'A400M à l'occasion de ce salon ?
R - Je prévois un engagement formel de tous les Etats contributeurs de réaliser une commande globale d'au moins 200 appareils, et l'entrée dans la négociation finale du contrat commercial que nous signerons en septembre.
Q - La préférence européenne correspond-elle à un principe encore assez utopique ?
R - Oui, et je pense qu'il est même voué à le rester dans notre domaine. Nous ne convaincrons plus des Etats européens de préférer un produit européen moins compétitif au produit américain correspondant, uniquement par le discours politique. Il faut s'assurer que les armements d'origine européenne soient compétitifs au meilleur niveau ; c'est à notre portée. Et il faut parallèlement démontrer aux Américains que leur marché devrait, dans l'intérêt commun, être aussi ouvert que celui des Européens.
Q - On travaille, en France, à l'élaboration d'une nouvelle loi de programmation militaire. Comment se présente-t-elle ?
R - Tout d'abord, j'attends avec tranquillité les analyses chiffrées sur le respect de la loi de programmation en cours qui s'achèvera l'année prochaine, comparée à toutes celles qui l'ont précédée : nous entamons le processus de décision politique sur le projet de loi de programmation dans un contexte de réalisation à très haut niveau des objectifs de la programmation précédente, et dans une perspective de construction cohérente de capacités opérationnelles européennes. Le ministère dont j'ai la charge a élaboré les documents de travail nécessaires, soumis à l'acceptation politique du Premier ministre, et devant donner lieu a un accord avec le président de la République. Aujourd'hui, une bonne partie de la discussion permettant la conclusion de cet accord a été réalisée, en gardant en mémoire que le bon niveau de réalisation de la présente loi depuis plus de quatre ans, a été obtenu en convergence politique avec le président de la République.
Q - Au niveau européen, existe-t-il une concertation budgétaire en matière de défense ?
R - Un collègue européen affirmait qu'on ne pourra pas rester longtemps avec une Union associant des Etats producteurs de sécurité et des Etats consommateurs de sécurité ; ce raccourci me paraît juste. Le débat sur les efforts budgétaires de défense touche au cur du politique; nous devons faire preuve de détermination et de pragmatisme quant à la façon d'arriver à des indicateurs de cohérence dans l'effort d'équipement.
Q - Quel est le rôle, selon vous, de l'Etat auprès des entreprises de l'industrie de l'armement ?
R·- Celui d'un éclaireur chargé de préparer l'avenir, à partir de nos responsabilités en matière de défense et de notre capacité d'anticipation des besoins. L'Etat doit avoir un rôle de veille concernant le niveau des capacités industrielles du territoire. Il doit enfin avoir un rôle de régulateur du marché. Dans cette perspective, l'Etat a opté de façon pragmatique au cours des dernières années pour le maintien de son rôle d'actionnaire dans des conditions très ouvertes sur le marché international. La place de l'Etat actionnaire n'est plus un sujet de confrontation avec nos grands partenaires privés.
Q - Est-ce la solution pour DCN avec l'évolution de son statut ?
R - Il serait dommage de ne pas valoriser au mieux les différents atouts de DCN qui sont remarquables tant d'un point de vue technologique qu'humain. Pour y parvenir, l'entreprise doit surmonter des difficultés que le statut d'administration de l'Etat porte avec lui. En France, la réussite éclatante des Chantiers de l'Atlantique, après de lourdes épreuves, m'a incité à engager une collaboration avec DCN pour construire les NTCD, les bâtiments de transport opérationnel. L'évolution souhaitable de DCN doit permettre, en maintenant la propriété de l'Etat sur l'outil, d'assurer les coopérations et l'efficacité qui feront sa place durable en Europe.
Q - Giat Industries n'est-il pas un contre-exemple avec une prochaine recapitalisation ?
R - Depuis plus de dix ans, Giat subit une situation mondiale de forte réduction des armements terrestres qui a gravement pénalisé sa transformation en entreprise compétitive. Mais, pendant ce temps, une grande partie de la réorganisation industrielle a été faite. Il y a maintenant des éléments substantiels d'assainissement de la situation. Ce n'est pas le moment pour l'Etat d'éluder ses responsabilités d'actionnaire.
Q - Mais Giat a du mal à conclure un partenariat européen...
R - Il faut que Giat soit à l'équilibre financier pour y arriver. Il devrait y parvenir à l'horizon 2003:
Q - La signature de l'accord avec les Emirats arabes unis met-elle un terme à la dérive financière ?
R - Giat ne perdra pas plus d'argent que ce qui avait déjà été provisionné, et le contrat, générateur d'activité, sera exécuté entièrement.
Q - La Snecma et la SNPE ont du, mal à conclure leur partenariat. Est-ce un problème conjoncturel
R - Elles sont au stade des discussions d'affaires, ce qui est rassurant. Snecma et SNPE sont dans la phase de valorisation des actifs et de discussions sur ce que vont être les conditions concrètes de gestion de leur filiale commune.
Q - EADS connaît des incertitudes quant à l'avenir de son actionnariat...
R·- Je suis un peu las de répéter que les relations de l'Etat actionnaire avec les partenaires industriels visent à assurer la stabilité et la crédibilité du groupe EADS. Nous sommes bien sûr satisfaits de sa performance d'ensemble, qui justifie l'engagement de tous les partenaires.
Q - En cas de défection du groupe Lagardère, trouveriez-vous un industriel français prêt à prendre sa place ?
R - Franchement, nous ne sommes pas en recherche.
Q - Estimez-vous que les opérations de désengagement d'Alcatel dans le capital de Thales annoncent son départ définitif ?
R - Les deux opérations que vous évoquez étaient dans l'intérêt de Thales, et, pour l'une d'entre elles, d'Alcatel. Elles ont abouti à de simples ajustements des parts d'Alcatel et de Dassault, ainsi d'ailleurs que de l'Etat, dans le capital de Thales. En ce qui concerne Alcatel, je n'anticipe pas de mouvement unilatéral. Et le désengagement de l'Etat n'est pas envisagé.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juin 2001)