Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, au nom de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, en réponse à une question sur la restitution des fonds irakiens, au Sénat le 16 décembre 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Questions d'actualité au sénat, le 16 décembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Sénateur, je m'exprimerai au nom de Mme la Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi.
La réponse du gouvernement à votre collègue Mme Nathalie Goulet est étayée sur les fondements juridiques posés à la fois par la résolution 1483 de l'ONU en date de 2003 et sur les textes qui régissent notre droit de propriété, lequel détermine les modalités du transfert juridique de ces avoirs. En France, nous sommes confrontés à trois dossiers.
En ce qui concerne le contexte juridique, je tiens d'abord à préciser que la résolution 1483 prévoit le gel des avoirs appartenant à l'ancien régime irakien et leur transfert au fonds de développement pour l'Irak, le FDI.
Le gel est une compétence communautaire, le règlement CE n°1210/2003 ayant de son côté partiellement repris ces dispositions. Néanmoins, le régime de propriété relève, lui, de la compétence des Etats membres.
En France, le droit de propriété est constitutionnellement protégé et figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En tant qu'avocat, je trouve ce débat tout à fait intéressant. Voilà du travail pour mes confrères !
Il n'existe donc pas de dispositions légales conférant à l'Etat le droit de priver un citoyen de sa propriété sauf cas très précis, par exemple en cas de confiscation judiciaire en matière de terrorisme et d'expropriation publique.
Le droit de propriété figure également à l'annexe I de la Convention européenne des Droits de l'Homme adoptée par le Conseil de l'Europe en 1950.
Dans ce contexte, une réunion interministérielle a eu lieu le 14 février 2007 pour trancher la question du vecteur juridique pertinent en matière de transfert au FDI. La solution retenue a été d'écarter le recours à un décret au profit de la loi.
Il convient toutefois de noter que même la loi ne met pas l'Etat à l'abri d'un recours contentieux. C'est pour cette raison une question passionnante, dont la solution n'est visiblement pas aussi simple qu'il n'y paraît !
Trois dossiers sont donc en cours de traitement.
Pour les villas cannoises, c'est un problème résolu. La société suisse Logarchéo, propriétaire de deux villas à Cannes figure dans la liste établie par la résolution 1483.
Sur cette base, les biens qu'elle détient ont été gelés aussi bien en Suisse qu'en France. En octobre 2007, la Suisse a rétrocédé la propriété des titres Logarchéo à l'ambassadeur d'Irak à Paris, ouvrant ainsi la possibilité d'une procédure visant à retirer Logarchéo de la liste des entités gelées.
Cette procédure, qui doit être engagée auprès du comité des sanctions des Nations unies, relève toutefois de la compétence du gouvernement suisse ou du gouvernement irakien. Elle devrait aboutir à un "délestage", qui sera ensuite pris en compte par le règlement européen. Autant dire que - et c'est un commentaire personnel - si une issue se dessine, le chemin risque encore d'être long !
Ensuite, la question des avoirs monétaires appartenant à des entités publiques est susceptible d'être résolue. Rasheed Bank, Rafidain Bank et Central Bank of Iraq ont vu leurs avoirs gelés en France. Leur dégel et leur transfert dépendent donc de la France. Toutefois, s'agissant d'avoirs sous tutelle publique, il pourrait être demandé à ces entités de procéder directement au virement de leurs avoirs au FDI. Cela se présenterait en quelque sorte comme une "auto-expropriation", voulue par les trois banques concernées.
Les banques françaises dans lesquelles sont placés ces fonds ont été sollicitées et ne voient pas d'inconvénient à cette procédure, qui pourrait intervenir après autorisation de l'Etat. Une solution concertée en ce domaine est donc très probable.
Le dernier dossier concerne les avoirs de la société Al Arabi Trading, d'un montant de 4 millions d'euros, et de M. Al Tikriti Mohamed, pour une somme de 0,02 million d'euros, associés à l'ancien régime irakien.
L'auto-expropriation ne semble pas envisageable, car il s'agit de personnes physiques, protégées en conséquence par le droit de propriété.
Dans ces conditions, le transfert doit se faire d'autorité, soit par la loi - mais les enjeux concernés, 4 millions d'euros, sont faibles - soit par un autre acte juridique tel qu'un décret, un arrêté ou une décision du ministre.
Quel que soit le support juridique retenu, la décision n'est toutefois pas à l'abri d'un recours fondé, par exemple, sur l'atteinte au droit de propriété. Cela dépendra donc de l'attitude de ces deux personnes.
J'espère avoir répondu ainsi aux interrogations de Mme Nathalie Goulet.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 décembre 2008