Interview de M. Gérard Larcher, président du Sénat, à France Inter le 23 décembre 2008, sur la réforme de l'audiovisuel, le projet de loi sur le travail le dimanche dans certains magasins et la réforme de la procédure parlementaire.

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Média : France Inter

Texte intégral

P. Weil.- Bonjour monsieur le Président. La publicité disparaîtra des écrans de télévisions le 5 janvier de 20 heures à 6 heures du matin - décision du conseil de l'administration de l'entreprise - et, deux jours plus tard, le 7 janvier, le Sénat entame son débat sur la suppression éventuelle de la publicité à France télévisions. Monsieur Larcher, êtes-vous très vexé voire humilié ? Vous allez débattre d'une réforme déjà en vigueur.
 
Non, parce que la loi est la loi et la loi portant réforme de l'audiovisuel n'est pas simplement une suppression de la publicité qui peut d'ailleurs être une décision du conseil d'administration.
 
Mais c'est un élément important de la loi.
 
Oui, mais enfin c'est l'élément dont on a le plus parlé. Je crois que la réforme du secteur de l'audiovisuel et de l'audiovisuel public est un sujet plus important, plus large que cela. Nous débattrons, tranquillement, librement, au Sénat, puis l'Assemblée nationale et le Sénat se réuniront pour, au travers de sept députés et sept sénateurs, avoir une commission mixte paritaire.
 
Vous dites "on débattra", mais vous débattrez d'une mesure déjà en vigueur, ce n'est du jamais vu cela.
 
D'une mesure temporairement en vigueur par décision du conseil d'administration. Voilà pourquoi, il y a quelque temps, j'avais dit : le décret ne m'apparaît pas la bonne formule et nous devons avoir tout le temps pour débattre de l'audiovisuel, de le faire au fond des choses en allant sur ce que sont les questions essentielles, notamment sur le secteur de l'audiovisuel.
 
Votre opinion sur cette réforme de l'audiovisuel public, par exemple la nomination des PDG à l'Elysée.
 
La nomination des PDG avec avis conforme du CSA et l'examen, ce qui est nouveau, par les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale, et la possibilité de s'opposer.
 
C'est une bonne mesure pour vous ?
 
En tous les cas, jusque-là, jamais le Parlement n'était consulté sur ce sujet. En tout les cas pour le Parlement, c'est l'occasion de pouvoir s'exprimer. Je donne un exemple qui n'a rien à voir avec ce texte. Mais hier, j'ai porté à la connaissance du Sénat en présidant de la dernière séance de l'année que la commission des affaires économiques avait donné un avis défavorable pour la nomination d'un président d'un Haut conseil. C'est vous dire si le Parlement exerce pleinement son droit.
 
Et la suppression de la pub ?
 
Je pense que l'on a un choix : est-ce qu'on fait la BBC à la française ou est-ce qu'on fait la télé Berlusconi ? Moi je pense qu'il faut un secteur public de l'audiovisuel. Il faut lui assurer des moyens, des moyens pérennes, cela c'est un sujet essentiel. Ce sera sans doute l'un des sujets majeurs du débat au Sénat : comment assurer des moyens pérennes à l'audiovisuel public et naturellement la liberté.
 
J.-P. Raffarin, votre collègue UMP au Sénat, dit qu'il n'y a pas à ce stade de majorité sénatoriale pour voter la réforme de l'audiovisuel public. Il dit vrai ?
 
Il n'y a pas de majorité UMP au Sénat quels que soient les textes. Donc il y a une majorité au Sénat.
 
Ça grogne à l'UMP ?
 
Mais non, ça ne grogne pas. Il y a une majorité au Sénat qui est formée de familles politiques, qui sont au centre, au centre-gauche, et c'est comme cela que se construit un vrai débat. Et je pense que c'est un des apports, une des richesses du Sénat d'avoir en quelque sorte un spectre politique très marge et puis l'obligation de discuter. Voilà pourquoi je ne manque pas de dire au président de la République et au Premier ministre qu'au Sénat il y a un espace de liberté, de discussion et que c'est une chance pour la démocratie.
 
Le travail le dimanche. Faut-il assouplir les règles comme le veut N. Sarkozy ?
 
En tous les cas, le travail du dimanche, d'abord, le titre est impropre par rapport à la proposition de loi. Permettez à l'ancien ministre du Travail de vous dire que nous étions dans une espèce de puzzle invraisemblable de situations - plus de 70 situations différentes en fonction des départements des territoires - qu'il faut trouver une base légale, que la question qui est posée ce n'est pas la question du travail du dimanche, c'est d'abord de trouver une base légale et qui protège le salarié dans sa liberté de choix, j'y insiste, par rapport au travail dominical, la redéfinition des zones touristiques. Voilà des sujets qui sont sur la table, qu'il faut aborder, me semble-t-il, avec raison et moins de passion d'autant plus que la question fondamentale...
 
Qu'est-ce que vous voulez dire par là, "avec raison" ?
 
... ce n'est pas la possibilité de travailler sept jours sur sept. Je vous raconte une anecdote. Sous la IIIème République, les vrais républicains laïques avaient baptisé, parce que c'était la journée de repos des boulangers, ils l'avaient institué selon les mots suivants : "la saint lundi". Vous voyez qu'à autres temps, autres moeurs. Et en même temps, des sujets qui sont posés : j'insiste sur le respect que nous devons aux salariés en matière de santé et de sécurité.
 
G. Larcher, je rappelle, président du Sénat, on a assisté lors de cette session parlementaire à de véritables batailles d'amendements, des milliers d'amendements déposés par l'opposition. Alors pour canaliser l'action de l'opposition au Parlement, faut-il restreindre le droit d'amendement ? Je rappelle qu'un texte de loi organique sur la réforme du travail parlementaire prévoit une durée maximale pour l'examen d'un projet de loi ; chaque groupe parlementaire aurait une sorte de crédit temps. Y êtes-vous favorable ?
 
D'abord, le droit d'amendement il est consubstantiel au Parlement. Il est donc un droit fondamental. Il n'y a pas de Parlement sans droit d'amendement. La seconde des choses, parce que le Sénat travaille avec deux rapporteurs pour préparer la réforme du règlement, un de la majorité, un de l'opposition, un UMP, un socialiste. Et nous aurons au début janvier, le è et le 14 janvier, des débats sur ce sujet. Attention à ce qui serait un détournement d'un droit fondamental et qui le détruirait. Je crois que sur ce sujet, nous aurons encore à débattre. Je vois B. Accoyer pour voir dans quelles conditions on peut imaginer ce qui existe déjà. Sur des accords internationaux, on a des examens simplifiés. En tout les cas, fondamentalement, il faut assurer des droits à l'opposition. Ces droits, c'est la capacité de déposer des amendements comme pour la majorité, c'est aussi la présence d'un rapporteur de l'opposition dans les commissions d'enquête, un droit de tirage dans les commissions d'enquête.
 
Faut-il éventuellement créer des limites ?
 
Certaines existent déjà : les textes simplifiés. Il faut examiner qui décidera d'un éventuel encadrement du temps. D'ores et déjà, nous décidons en conférence des présidents, par exemple du temps de la discussion générale, vous savez ces débats préalables à l'examen des amendements. Un chiffre pour vous montrer qu'au Sénat, nous avons...
 
Je ne vous sens pas tellement enthousiaste face à ce projet de limitation du droit d'amendement avec...
 
Je suis quelqu'un qui croit fondamentalement à l'amendement, qui croit que ce droit, je le répète, est consubstantiel au Parlement, et que l'abus de ce droit, paradoxalement, peut être néfaste, j'allais dire à la démocratie parlementaire.
 
A Montebourg parle de "poutinisation rampante".
 
Ça c'est les mots de Montebourg. Restons calme et serein. Montebourg a encore du chemin à faire avant d'avoir la sagesse sénatoriale.
 
Revenons sur cette réforme de l'audiovisuel mais aussi le travail le dimanche, comment expliquez-vous la grogne dans la majorité ? On conteste, on traîne des pieds ; c'est une majorité fondeuse, est-ce que ce sont des débats inutiles, comme le dit D. de Villepin quand on lui parle de la réforme de l'audiovisuel ou du travail le dimanche ?
 
Je ne pense pas que ce soit des débats inutiles. Il y a des débats que nous devrons avoir, qui sont des débats essentiels, au mois de janvier : le plan de relance, voilà un vrai sujet ; il y a la question de la formation professionnelle car quand nous aurons...
 
Je ne vous parle pas de cela, je vous parle de grogne face à la réforme de l'audiovisuelle.
 
Je vous parle des textes fondamentaux, il y a le Grenelle de l'environnement, voilà un texte fondamental. Quand la majorité vote sans discuter, on dit "godillot" ; quand elle commence à discuter, on dit "lézardes dans la majorité". Moi, j'ai envie d'une majorité - j'en ai l'habitude au Sénat - qui s'exprime, qui est plurielle et cela ne me gène pas, c'est cela la démocratie parlementaire.
 
Sur l'audiovisuel, 50 députés UMP ont refusé de voter cette réforme.
 
Oui mais c'est leur liberté. Ce qui montre bien que ce que je le disais pour le Sénat, on ne le vote pas au son du canon.
 
Dernier point : l'UMP est favorable a une fusion des départements et régions - c'est ce qu'a dit hier F. Lefèvre, un des porte-parole du parti. Vous êtes d'accord ?
 
Moi, j'ai mis en place une mission au Sénat, fait de sénateurs de tous les groupes. Cette mission elle va avoir vocation à aller jusqu'à la présentation du texte de loi. Je vous rappelle que constitutionnellement le Sénat est la Chambre des collectivités locales. C'est nous qui examinerons la loi. Là encore, il faudra compter avec ce que représentent le Sénat et la diversité et la richesse, et sa sensibilité politique.
 
Vous ne m'avez pas répondu. Etes-vous d'accord ou favorable à une fusion départements-régions ?
 
Je ne conclue pas avant que mes collègues aient examiné l'ensemble des dossiers.
 
Mais sur le principe ?
 
Sur le principe, tout est envisageable. J'ai simplement demandé à mes collègues de la mission de l'audace. Et cette audace et du pragmatisme, c'est ce à quoi, je l'espère, nous aboutirons au mois de mai.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 janvier 2009