Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Canal Plus" le 6 janvier 2009, sur le creusement du déficit public et la relance économique.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux et M. Biraben.- M. Biraben : Le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, E. Woerth est notre invité.
C. Roux : Oui. Avec la crise, c'est comme si le retour à l'équilibre budgétaire était devenu un vieux souvenir. Les critères de Maastricht... la tâche du ministre du Budget consiste t-elle à faire le compte des déficits qui se creusent ? Aujourd'hui les députés vont discuter d'un collectif budgétaire qui va mettre les comptes dans le rouge à hauteur de 79,3 milliards d'euros, bonjour.
Bonne année !
M. Biraben : Bonne année à vous ! Hier à votre place c'était P. Devedjian qui était là. Il n'a eu aucun mal à nous dire que la priorité c'était le chômage, et plus du tout les déficits. Il se présente très volontiers comme le ministre de la dépense. Est-ce que cela veut dire que vous avez perdu la main ?
Il ne faut pas caricaturer...Non, cela veut dire qu'il y a un travail qui doit être réparti. Cela veut dire que la priorité, c'est la relance. C'est-à-dire que si on ne relance pas sur le plan français, comme sur le plan international, mais tout ça est évidemment lié, alors c'est la pire des choses. On ne peut pas s'installer dans la récession, ni dans la crise ; donc, il faut tout faire pour en sortir. Il faut faire l'effort musculaire, donc, l'effort financier nécessaire, pour en sortir. C'est ce que cela veut dire. Mais il ne faut rien abandonner non plus sur la nature de la dépense bien évidemment. Il faut limiter la dépense structurelle, la dépense de fonctionnement, miser sur la relance et en même temps préparer la réforme. Vous voyez, on ne fait pas les choses les unes après les autres, les choses se comprennent les unes avec les autres.
C. Roux : Mais ce qu'il dit, c'est que le déficit, la gestion du déficit n'est plus une priorité, ça c'est acquis. Quand on est ministre du Budget, on peut l'accepter, ça ?
Je n'ai pas entendu P. Devedjian, mais ce qu'il veut dire, c'est que la priorité, c'est évidemment la relance. Maintenant, cela ne veut pas dire à n'importe quel prix, dans n'importe quelles conditions. Un plan de relance, ce n'est pas n'importe quoi. Le plan de relance de 26 milliards qui est de la responsabilité de P. Devedjian, il est, en terme financier, défini. Il est dans son contenu aussi très cohérent. Ce n'est pas de la dépense de fonctionnement. Ce n'est pas de la dépense que l'on retrouvera après la crise. C'est de la dépense qui est faite pendant la crise, pour justement lutter contre la crise. Ce n'est pas de la dépense, vous voyez durable, ce n'est pas de la dépense qui va durer pendant dix ans, quand la crise va durer, un an, six mois, je ne sais pas. Mais en tout cas c'est de la dépense qui est faite pour lutter contre la crise. C'est comme un médicament : quand vous prenez un médicament, vous le prenez pour lutter contre une maladie, vous ne prenez pas un autre médicament pour une autre maladie. Et puis en même temps quand votre maladie est terminée, vous arrêtez de prendre ce médicament.
C. Roux : La question que l'on peut se poser ce matin, c'est qu'on voit que les Allemands réfléchissent à un deuxième plan de relance. Est-ce que ce serait possible en France ? Est-ce qu'on en aurait les moyens ?
D'abord les Allemands, vous voyez sont en train de réfléchir en terme de coalition sur un deuxième plan ou sur un autre plan de relance...
C. Roux : 50 milliards !
Oui, ils ont fait quelque chose d'assez modeste ; cela leur a été suffisamment reproché dans un premier temps. Donc 50 milliards sur deux ans, vous voyez que nous, on a prévu 26 milliards, donc on est un peu dans le même ordre d'idée, en tout cas sur une année - puisqu'on a décidé d'essayer de pousser les choses sur 75 % de ces 26 milliards la première année pour injecter un maximum. Et dans ces 50 milliards, vous avez, à la fois, de la réduction d'impôts - les Américains prévoient ça aussi, nous l'avons fait déjà d'une certaine façon, on a diminué les impôts sur les revenus l'année dernière, il y a deux ans ; on a diminué les droits de succession, etc., nous avons fait déjà beaucoup sur l'impôt, on le fait sur les taxes professionnelles, on l'a fait sur toute une série d'impôts - et puis, il y a beaucoup d'investissements dans cette idée de relance en Allemagne.
C. Roux : Alors pour reparler de la France, est-ce qu'on aurait les moyens d'aller au-delà ? Parce que le PS réclame un second plan de relance. Donc la question de ce matin au ministre du Budget, c'est : est-ce qu'on peut se le permettre ?
Le PS n'a rien proposé, le PS est en train de se demander ce qu'il pourrait proposer ? Je vois ça aujourd'hui dans les journaux, moi je leur ai dit à ce moment là, il n'y a pas de proposition. Donc aujourd'hui, ce qu'il faut faire, c'est réussir le plan de relance français. Et ce plan de relance français, il s'ajoute à d'autres initiatives qui ont été prises auparavant par le président de la République et par le gouvernement. Je pense par exemple à l'aide aux PME, au travers d'OSEO, la banque des PME. Je pense à l'aide au secteur automobile, je pense au logement, je pense à tout ça, je pense aux banques, au secteur financier - pas les banques, mais le secteur financier - pour que le crédit reparte, que le crédit suive pour les entreprises comme pour les ménages. Donc tout ça, c'est une accumulation de choses, ce n'est pas limité aux 26 milliards, mais...
C. Roux : Beaucoup a été fait ?
Il y a d'autres choses ! Si cela ne marche pas, si jamais le monde s'enfonce dans cette crise, évidemment il faut rester agile, mobile. Si vous êtes complètement figé, vous cassez. Donc, il faut rester, mais en même temps...
C. Roux : N. Sarkozy a dit au moment des voeux : "nous serons pragmatiques, attentifs, réactifs ; s'il faut faire davantage nous le ferons". Est-ce que les finances publiques peuvent supporter ? Est-ce que l'on peut aller encore au-delà en terme de déficit ?
Ce qui serait insupportable, en tout cas ce qui serait insupportable en terme de finance publique, mais en terme social aussi, c'est encore plus important, ce serait de ne rien faire ! Donc ce que nous devons faire, c'est sortir de la crise,
M. Biraben : Mais cela a bien une limite pour vous, forcément ?
C'est sortir de la crise, mais moi, la seule limite que je vois, c'est que nous ne devons pas engager des dépenses qui sont des dépenses durables, qui sont des dépenses que nous aurons encore à supporter une fois la crise passée. Nous devons avoir des dépenses qui soient une réponse immédiate, réactive et puissante contre la crise. Donc ce sont des dépenses d'investissements. Quand vous investissez une fois...
M. Biraben : Quel que soit le déficit ?
Non, pas quel que soit le déficit. Personne ne dit ça.
C. Roux : Mais justement, c'est ce que l'on essaye de savoir. Quelles sont les limites ? Jusque où la France peut-elle aller... ?
Mais vous ne pouvez pas fonctionner comme ça. Vous ne pouvez pas fonctionner avec des seuils ou des limites.
C. Roux : Comment cela fonctionne alors ?
Regardez, dans les dépenses qui sont prévues, vous avez des dépenses d'investissements, elles ne sont pas en elles-mêmes limitées. Je prends par exemple les dépenses des collectivités locales. Nous allons rembourser la TVA de l'année passée. Donc, nous allons faire deux ans de TVA de remboursement pour aider les collectivités à investir, et venir en soutien à cet investissement. Nous le savons, nous avons prévu 2,5 milliards. Si les collectivités font plus, si elles investissent plus, elles auront accès à ce financement. Donc ce n'est pas totalement limité. C'est vrai aussi pour la taxe professionnelle. Nous limitons les impôts de taxe professionnelle pour les nouveaux investissements. Eh bien, si les entreprises font encore plus d'investissements, la limite sera encore plus forte, donc, il y aura encore plus de coût. Mais c'est un coût qui est sain pour l'Etat.
C. Roux : C'est-à-dire qu'on pourra aller au-delà de 79,3 milliards d'euros de déficit, qu'on pourra aller au-delà de 66,7 % de dette.
Mais vous pouvez aussi avoir une croissance qui soit inférieure, comme une croissance qui soit supérieure. Vous êtes dans un univers extraordinairement incertain. Le ministre du Budget est là pour vérifier qu'on fait les choses correctement ; il est là pour vérifier qu'on pourra les rembourser le moment venu. Il est là pour vérifier que la croissance va repartir. Il est là pour vérifier que les dépenses structurelles, les dépenses de fonctionnement de l'Etat, des collectivités locales, de la Sécurité sociale sont tenues. Et nos dépenses sont tenues, nos dépenses sont tenues, en dehors de tout ce qui est relance. Les dépenses françaises sont parfaitement tenues.
C. Roux : Est-ce que vous pensez déjà à l'après ? Est-ce que vous pensez au moment où il va falloir rembourser ?
Oui, et moi je ne pense qu'à ça ; je pense au pendant et je pense à l'après.
C. Roux : Sur l'après, ce que vous dites, c'est qu'il va falloir que l'Etat français vende des actifs ?
Non, ce n'est pas comme cela qu'on rembourse. D'abord en terme comptable, cela ne marche pas comme ça,
C. Roux : Cela peut marcher comme ça pour la dette ?
Oui, pour la dette oui ; pour la dette vous avez raison, mais pas pour le déficit structurel de l'Etat.
C. Roux : La dette, c'est ce qu'il va falloir payer... le poids de la dette, c'est important dans le budget.
Oui, il y a deux choses. Alors, vous avez la dette, le meilleur remboursement de la dette, la meilleure façon de rembourser la dette c'est de ne plus creuser les déficits. Donc vous avez, à un moment donné quand vous arrêtez de creuser annuellement les déficits, en fait l'Etat français, la France, qui est un pays riche, quand on regarde l'ensemble des autres pays, qui est un pays riche et qui le demeure. C'est un pays riche avec me semble t-il, beaucoup, beaucoup d'atouts est tout à fait capable de rembourser sa dette. Vous savez il y a des Etats qui sont infiniment plus endettés que la France. Et puis quand on regarde la dette française, il faut regarder aussi avec la dette...notre dette, notre dette privée, la dette des français. Quand on fait la somme des deux, on est infiniment moins endetté que beaucoup d'autres Etats. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas évidemment lutter contre l'endettement. Mais en même temps, nous sommes absolument capables de rembourser, lorsque nous sommes au niveau où nous en sommes, de rembourser cette dette en plusieurs années, compte tenu du fait que nous n'accroissons pas les dépenses structurelles, les dépenses fondamentales. On ne jette pas de l'argent dans la chaudière...on met de l'argent pour lutter contre la crise. Ce n'est pas du tout, du tout, la même chose.
M. Biraben : Une question spectateur, des spectateurs qui s'inquiètent sur les taux d'intérêt du Livret A. Donc la question, c'est : est-ce que les taux d'intérêt du Livret A, qui est de 4 % va baisser ? Avec la question économique sous jacente : qu'est-ce qu'il vaut mieux pour l'économie française en ce moment ? Qu'il y ait un taux d'intérêt élevé, que les Français épargnent et que cela crée une masse d'investissement, ou au contraire, qu'ils dépensent, qu'ils consomment et cela soutient la production ?
Il faut que les taux d'intérêt baissent. On voit bien que les banques centrales font baisser les taux d'intérêt à court terme. Donc, globalement, on est dans une économie où le taux d'intérêt doit baisser, sinon, il n'y a plus d'accès du tout à l'argent et au crédit. Le Livret A, il y a une formule de calcul pour justement éviter les polémiques - parce que sinon, c'est toujours des polémiques - ; donc, il y a une formule qui est bien faite, qui est faite sur le taux d'inflation et sur justement les taux d'intérêt. Et il y a moins d'inflation, les taux d'intérêt ont baissé, donc le Livret A, si on applique cette formule...
L. Mercadet : Mais est-ce qu'il va baisser ? C'est la question. Vous savez c'est très important la baisse des taux du Livret A, il y en a 46 millions en France.
Oui, mais il faut aussi être réaliste, il faut dire les choses, il faut parler vrai. Lorsque vous avez moins d'inflation et lorsque vous avez des taux d'intérêt qui sont plus faibles, il est normal de moins bien rémunérer une épargne. Parce que si vous la surrémunérez, alors à ce moment là, vous augmentez les taux d'intérêt. Le Livret A, il est fait pour financer notamment le logement social, et pour financer le logement social, il faut que le taux soit faible et c'est bien le cas. Simplement, quelqu'un qui va placer son argent dans un Livret A - il y en a eu beaucoup en 2008, beaucoup de nos concitoyens l'ont fait ; chacun, presque, a un Livret A, a ouvert un compte, et maintenant comme toutes les banques peuvent l'offrir, eh bien beaucoup le feront -, eh bien il sera prémuni contre l'inflation, il y aura bien un gain. Il a moins d'impôt, parce que ce n'est pas imposable et il a bien un gain. Sa rémunération du Livret A sera supérieure à l'inflation, il va bien y gagner. Ce qui compte c'est le delta, c'est la différence.
M. Biraben : On va passer au "j'aime, j'aime pas" tout de suite. Vous allez me dire si vous aimez ou si vous n'aimez pas les soldes qui commencent très fort, demain.
Moi, j'aime bien les soldes, comme tout le monde. C'est un bon moment pour consommer, pour acheter un peu moins cher ce que l'on a repéré, quand on y arrive !
C. Roux : C'est important que les Français consomment là, pendant les soldes, il y en a besoin ?
Oui, évidemment, l'économie, c'est de la consommation en toute nature, industrielle ou notre consommation de particulier.
M. Biraben : Acheter français ?
Oui, c'est un vieux slogan, mais non, il faut acheter ce qu'on a envie d'acheter et puis vous verrez, il y a plein de produits...
C. Roux : Vous pouvez compter sur nous !
C'est pour ça que ce n'est pas la peine...en plus, il y a plein de produits français qu'il faut continuer à acheter. Il faut que notre industrie aussi, bien évidemment, s'adapte.
C. Roux : "J'aime, j'aime pas", le temps-guillotine, la réforme du droit d'amendement ?
C'est une très mauvaise présentation, C. Roux. En fait, le Parlement, grâce à la réforme constitutionnelle que l'on a faite, a vu ses pouvoirs extraordinairement augmenter, c'est vrai. L'ordre du jour qui était quelque chose de totalement verrouillée par le Gouvernement est aujourd'hui partagé entre le gouvernement et le Parlement. Donc le Parlement, il a beaucoup plus de pouvoir, après la réforme constitutionnelle qu'avant. Et en même temps, il ne faut pas faire n'importe quoi, il ne faut pas verrouiller les débats, il ne faut pas faire de l'obstruction, comme le font aujourd'hui les socialistes. Les socialistes font de la vieille opposition dans un temps nouveau. Eh bien, il faudrait qu'ils s'adaptent !
C. Roux : C'est un mauvais combat qu'ils mènent là ?
Il faudra qu'ils s'adaptent.
C. Roux : C'est un mauvais combat qu'ils sont en train de mener ?
C'est une mauvaise manière de mener le combat. Aucun combat n'est mauvais, chacun a sa propre opinion. C'est une mauvaise manière de mener le combat. C'est la même chose pour les grèves, c'est une mauvaise réponse en temps de crise. En temps de crise, on doit essayer de se serrer les coudes. On doit dire ce qu'on a à dire, et en même temps, on ne doit pas appliquer les vieilles recettes du passé. Il faut au contraire sortir le pays de la crise dans laquelle il est. Et parce que la France est forte et parce que la France rapporte, alors le monde aussi pourra s'en sortir. Parce que nous aussi, on joue un rôle formidable en tant que coordinateur. Je veux dire quand on est, vis-à-vis de nos partenaires européens - regardez avec les Allemands, c'est à force de dialogue qu'on arrive à coordonner nos plans de relance. Eh bien, ce n'est pas uniquement par la défense d'un certain nombre d'intérêts soit disant acquis qu'on peut parvenir à cela. Il faut regarder le monde autrement, plus juste, mais en même temps, soyons plus efficaces, plus solidaires,
M. Biraben : Et modernes !
Oui, modernes est parfois un terme qui est galvaudé. Mais je pense qu'il faut une vision aussi moins agrippée, moins rigide, voilà.
M. Biraben : Eh bien, on va faire passer le message, on vous souhaite une année 2009 moins agrippée et moins rigide.
Ni rigide, mais persévérant.
M. Biraben : Persévérant, on n'en doute pas, merci beaucoup E. Woerth, merci Caroline.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 janvier 2009