Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- Le voyageur et négociateur infatigable pour la paix au Proche- Orient est-il découragé par l'escalade interminable de la guerre au Proche-Orient ? Bonjour, merci d'être avec nous B. Kouchner...
Bonjour.
L'armée israélienne progresse à l'intérieur de Gaza aujourd'hui avec des réservistes. Israël n'écoute donc personne, ne respecte que ses lois ; est-ce que Israël fait ce qu'il veut ?
Non, Israël poursuit des buts de guerre, dont nous n'avons pas à juger s'ils sont atteints ou pas, parce notre détermination, c'est d'être utile et de faire cesser le feu, arrêter les combats. Mais oui, Israël continue son avance comme d'ailleurs, les roquettes continuent de pleuvoir sur Israël. Et donc comme c'était un des buts de guerre, ce but ne semble pas atteint, faire cesser les tirs de roquettes.
Mais est-ce que l'objectif, c'est d'en finir pour l'armée israélienne, comme c'est en débat aujourd'hui à Jérusalem, avec le Hamas, en finir avec le Hamas militairement ?
Assurer la sécurité du sud d'Israël, cela veut dire ne pas recevoir des roquettes. Or ces roquettes depuis le début de la fin de la trêve, car il y a eu six mois de trêve, vous vous en souvenez, sont en plus grand nombre et ont une plus longue portée. Mais moi, je voudrais parler de façon positive parce que la France est la seule, avec la Turquie, la seule nation qui puisse parler à tout le monde, ce que nous avons fait. Et c'est en ce moment l'urgence des urgences. Alors, on n'a peut-être pas expliqué assez que nos contacts sont quotidiens, que depuis le voyage - il y a déjà quelques jours sur le terrain - du Président Sarkozy, j'étais avec lui, j'étais avec la Troïka - car la Troïka c'est l'Europe, l'Europe est impliquée -, depuis ce voyage nous avons continué, au Conseil de sécurité, et nous continuons selon un plan que nous offrons à tout le monde en trois phases, nous n'arrêtons pas.
Alors on va y revenir, mais hier au "Grand rendez-vous", au nom des socialistes, A. Montebourg disait que la France et N. Sarkozy a fait cavalier seul...
D'abord, il se trouve que pour la première fois, la Troïka comportait la présidence déjà terminée puisque la France n'était plus en présidence, c'est la première fois qu'on y va à trois. Alors seul, c'est un peu ridicule.
Alors vous êtes un des acteurs, vous-même, déterminé de la dernière résolution 1860 du Conseil de sécurité de l'ONU. On vous a vu présider les séances au milieu...
...Qu'on m'ait vu n'a pas d'importance, mais ce qu'on a vu, c'est qu'elle a été obtenue à l'unanimité, moins l'abstention américaine.
Et vous voulez dire que l'abstention américaine, c'était un progrès ?
Il n'y a aucun doute. Et en plus, le discours de madame Rice, alors qu'elle s'abstenait, était un discours très positif à propos de cette résolution qui comporte des éléments qui - demain pour la paix, et il faut demain la paix - seront décisifs.
Mais pour le moment, la résolution n'a eu aucun effet sur...
Comme bien des résolutions dans bien des conflits monsieur Elkabbach.
Alors il faut aller plus loin, il faut continuer ?
Mais bien sûr, mais bien sûr !
Et vous les appelez des belligérants ou des bellicistes ?
Ça n'a aucune importance, ne me faites pas qualifier les choses, je veux le cessez-le-feu immédiat, comme tous les manifestants du monde.
Mais ils vous ont répondu en continuant à tirer des roquettes et en continuant à avancer dans Gaza.
Mais ils n'ont pas répondu, ils se sont répondus à eux-mêmes.
Ils ont répondu à la communauté internationale !
Oui, c'est vrai, en effet, ce n'est pas encore obtenu, c'est pourquoi il faut s'obstiner. C'est pourquoi ce plan en trois phases - nous en sommes à la première hélas, hélas, hélas, nous en sommes encore à la première... - comportera une deuxième phase qui sera, je l'espère, la réconciliation entre les Palestiniens. Parce que vous comprenez, personne n'en parle mais tout ça était prévisible et prévu. C'est-à-dire que lorsque le Hamas n'a pas accepté de rencontrer les Palestiniens de l'Autorité palestinienne de M. Abbas, eh bien, à ce moment-là, déjà en novembre, on savait que la trêve serait rompue après...
C'est-à-dire que les Palestiniens ne se parlent pas même entre eux ?
Mais ils ne se parlent pas entre eux du tout. Nous avons encore posé la question officiellement lorsque nous étions à Ramallah, le Président Sarkozy et la troïka européenne : parlez-vous à Hamas ? Non, le pauvre a levé les bras au ciel, monsieur Abou Mazen et il a dit, mais non, nous essayons et nous ne pouvons pas.
Mais il y a des contacts indirects ou directs avec le Hamas ?
Bien sûr, bien sûr, heureusement parce que sinon, si on ne se parlait pas du tout, comment pourrait-on faire pour faire avancer la paix ?
Par qui, par l'Egypte, la Turquie, la France ?
Par l'Egypte, vous le savez. Et la France a déclenché, grâce au président Moubarak et à la réponse du général [inaud.], qui a été rencontré le général Souleimane au Caire, et qui hier soir d'ailleurs est reparti et qui s'y trouve en même temps. Il y avait aussi monsieur Abou Mazen, avec des gens du Hamas au Caire, hélas je crois que ça n'a pas été très positif. Donc bien sûr, nous parlons à tout le monde, nous continuons. Et les contacts avec le Hamas sont faits par la Syrie puisque vous le savez, nous parlons aussi à la Syrie, le Président Sarkozy est allé voir monsieur Bachar el-Assad, nous avons encore parlé hier, j'ai parlé aux Iraniens hier. Il y a aussi les Turcs, vous l'avez dit, il y a les Russes, il y a les Norvégiens, nous avons des intermédiaires pour parler avec le Hamas.
Est-ce que l'Union européenne doit demander ou décider des sanctions ou des menaces de sanction à l'égard d'Israël ?
Je ne sais pas si on peut répondre ça au moment d'une guerre, quelle sanction pourrait-on faire ? Pourquoi pas, c'est toujours la tradition de faire des sanctions, enfin d'offrir des sanctions. Elles sont plus ou moins efficaces. Pour le moment, ça ne s'est pas posé mais il y a un Conseil Affaire générale qui arrive. Vous savez, les Européens, la diplomatie européenne n'est pas restée inactive. Je vous ai dit la Troïka, c'est-à-dire la Suède, la Tchéquie et la France, et en ce moment il y avait l'Allemagne et l'Espagne qui s'y trouvent encore. Sur le terrain, il y a un relais des nations de l'Europe qui est très positif, je crois...
Mais qu'est-ce qui déclencherait ou mettrait en route le mécanisme de la paix ? Parce que le chef politique du Hamas refuse le cessez-le-feu tant qu'Israël n'arrête pas les opérations militaires, ne lève pas le blocus. Et Israël dit "on ne bouge pas tant que les roquettes tombent sur la tête des civils israéliens".
Vous avez décrit la situation et il faut absolument ...
Qui commence ?
Je ne sais pas qui commence mais je sais ce qu'on doit faire. Enfin, je souhaiterais qu'on commence... que d'un côté et de l'autre, on commence en même temps à accepter le cessez-le-feu, qu'il y ait d'abord un arrêt des combats parce que les uns demandent et les autres refusent un retrait des troupes. Il faut d'abord que les tirs cessent, aussi bien les tirs de roquettes, bien entendu, que les tirs de l'armée. A ce moment-là, quelques jours après, - deux jours dit-on dans notre plan mais il faut le discuter -, le retrait des troupes israéliennes pourrait commencer. Mais pour cela, il faut en effet accepter bien entendu le cessez-le-feu.
Est-ce que ce matin, vous réclamez au nom de la France une présence militaire internationale ou européenne...
Ce n'est pas comme ça qu'il faut dire, vous compliquez les choses, ne les compliquons pas, elles sont déjà assez tragiques.
Alors quand on veut s'impliquer, qu'est-ce qu'on dit ?
Il faut des observateurs européens, parce qu'une armée, ce n'est pas avec une autre armée qu'on va régler le problème de Gaza.
D'accord, des observateurs diplomates civils ou des observateurs militaires ?
On verra, nous sommes capables de faire ça...
Même militaires ?
Oui, militaires pour compter... pour être témoin du cessez-le-feu maintenu, j'espère...
D'accord et...
Attendez, je vous réponds. Donc des observateurs internationaux, nous y avons travaillé, ils pourraient être européens, ça s'étendrait et il y a des Brésiliens, il y a des Norvégiens, il y a des Turcs... Oui, bien sûr, nous y avons pensé. Seulement, ni les Egyptiens, ni les Israéliens pour le moment ne veulent d'observateurs internationaux, donc étrangers sur leur territoire. Donc, il faut le faire accepter, pour ça il faut lever le blocus de Gaza, lever le blocus de Gaza dès que c'est possible en ouvrant les points de passage. Là, les observateurs internationaux pourraient être utiles. Il y avait déjà, en 2005, une résolution, et à Rafah, du côté de l'Egypte, en effet il y avait ce qu'on appelle "ubam" (phon.) qui est une présence, ils sont 17 pour le moment, pas beaucoup.
Ce matin, les bombes tombent, il y a des morts des deux côtés...
Hélas, et en grand nombre...
Vous baissez les bras ?
Mais non ! Est-ce que j'ai l'air de baisser les bras en vous disant qu'il faut insister et pas parler du passé et parler de l'avenir ? Je ne baisse pas les bras une seconde ! La France est présente, elle est seule pour le moment, les Turcs aussi sont présents, c'est vrai...
Je ne veux pas compliquer les choses, mais le Hamas va sortir brisé militairement du conflit, mais peut-être renforcé politiquement et médiatiquement, à quoi bon ? Vous le dites à Israël ?
Mais bien sûr, nous le disons à Israël, nous le disons comme nous le pouvons au Hamas, mais ce n'est pas notre problème. Notre problème, c'est que cesse le feu ! Il faut s'arrêter, il faut que ces dégâts insensés, insupportables de part et d'autres, je parle de vies humaines, des blessés et des morts, il faut que ça s'arrête ! Il n'y aura pas de solution militaire à ce conflit, nous l'avons dit depuis le début. Et ne croyez pas que parce que nous ne faisons pas d'éclat... c'est très difficile une négociation à plusieurs, c'est très difficile de ne pas déplaire, ce n'est pas pour plaire qu'on fait ça, mais aussi il faut que la négociation continue. Alors de part et d'autre, on nous attaque quand on fait un petit pas, ça a été le cas lorsqu'on au Conseil de sécurité nous avons obtenu cette résolution 1860...
Vous avez discuté hier, avez-vous dit, avec les Iraniens...
Oui.
Comment expliquez-vous que le Hezbollah n'ait pas ouvert un deuxième front ? Est-ce que c'est à la demande de l'Iran aussi ?
Ecoutez, je crois que d'abord, il y a eu un progrès considérable qui s'appelle la Finul, avec d'ailleurs des soldats français en grand nombre qui, entre le Hezbollah et Israël se sont déployés et c'est une protection extrêmement efficace. Ils ont tenté, il y a eu quelques roquettes, heureusement ça s'est arrêté, d'ailleurs condamné par tout le monde, c'est bien.
B. Obama a dit hier soir qu'il allait assez vite s'occuper du Proche- Orient, qu'il avait son équipe et qu'il traiterait le problème d'ensemble. Comment vous prenez cette déclaration, est-ce que ça veut dire qu'il va parler avec tout le monde, le Hamas éventuellement directement, indirectement, qu'est-ce qu'ils vont faire ?
Je n'en sais rien. Les gens d'Obama... Pardon, du Président élu, s'imposent une discrétion tout à fait exemplaire d'ailleurs, ils disent qu'ils parleront à partir du 20 janvier. Excellent. Oui, nous pouvons espérer. N'en espérons pas trop parce que, je vous signale...
Il y a les réalités...
Non seulement, il y a les réalités mais il s'est déjà exprimé monsieur Obama à propos de Jérusalem, à propos d'Israël et de la politique américaine. Donc...
Qui va représenter la France le 20 janvier à Washington pour l'investiture d'Obama ?
Je ne sais pas, je ne sais pas encore.
Une question personnelle, sur le site de...
Une question personnelle ?
Oui, à vous...
Sur un sujet comme celui-là ?!
Non, non... mais enfin, je dois. Sur le site de Marianne2.fr...
Oh ! Je vois que vos sources sont excellentes...
Avant de devenir ministre des Affaires étrangères, il paraît que vous auriez facturé plusieurs rapports à certains Etats, dont le Gabon. Est-ce que c'était parce que vous aviez une société de consultants. Est-ce que vous continuez...
J'ai deux sociétés de consultants. Il s'agit d'une loi dont je suis extrêmement fier pour la sécurité sociale au Gabon.
Et est-ce que vous continuez à avoir des rapports, à travailler sur le...
Mais non, pas du tout ! Qu'est-ce que c'est que ces sites, quels sites, je n'ai plus de site, je n'ai pas de site d'ailleurs, de quoi parlez-vous ? De quoi parlez-vous ? De société...
Allez ! On va arrêter de commenter le...
Non, non, non, vous avez parlé, c'est une vraie calomnie ! C'est-à-dire j'avais en effet deux sociétés, l'une s'appelait "BK Consultants", l'autre "BK Conseil". "BK Conseil" est arrêté complètement, "BK Consultants" n'a pas été arrêté pour des raisons comptables parce qu'on m'a dit "il faut la garder pendant quelques jours, ça coûte cher", il n'y a rien dessus, pas de salaire, pas d'argent, rien de rentré. Faites des enquêtes avant de calomnier !
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 janvier 2009