Déclaration de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, en hommage à Jan Palach, étudiant tchèque qui s'était immolé par le feu à la suite de l'écrasement du "Printemps de Prague" en 1968, à Melnik le 19 janvier 2009.

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Circonstance : Déplacement en République tchèque-inauguration de la statue d'Andras Beck en hommage à Jan Palach, à Melnik le 19 janvier 2009

Texte intégral

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Vice-Premier ministre, Cher Sacha
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le maire de M?lník
Mesdames et Messieurs,
Je suis très honoré et ému d'être parmi vous aujourd'hui pour inaugurer cette statue à la mémoire de Jan Palach.
Honoré de représenter la France et son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, à une cérémonie qui marque l'aboutissement d'un projet ancien : faire venir à M?lník la statue que réalisa à Paris le sculpteur András Beck.
Emu, surtout, que la France soit associée à l'hommage rendu à l'une des figures les plus tragiques de la résistance au totalitarisme.
Il y a 40 ans, en effet, le monde recevait de votre pays l'un des témoignages les plus bouleversants de sa volonté de résister.
Au coeur de Prague, un étudiant tchèque s'était immolé par le feu. Il voulait protester contre l'invasion de son pays et l'appeler à la résistance. En un instant, Jan Palach était devenu le visage de l'Europe humiliée, asservie, mais décidée à défendre sa dignité. Il était devenu le symbole de la révolte de la conscience individuelle contre le totalitarisme. Le choc et l'émotion furent considérables. Le geste de Palach s'adressait à l'occupant. Il s'adressait à ses concitoyens dont il prenait sur lui la souffrance, dont il voulait encourager la révolte. Il s'adressait aussi au monde libre.
Cette cérémonie est l'occasion pour moi de rendre hommage aux immenses sacrifices que votre peuple a consenti durant cette période pour défendre les plus hautes valeurs des Européens, promouvoir la liberté et ouvrir la voie à la réunification de notre continent.
La France tout particulièrement se souvient de ces centaines de milliers de personnes accompagnant en silence la dépouille du jeune homme dans les rues de la capitale. Elle se rappelle comment, en cet instant, le temps de la prétendue "normalisation" sembla suspendu.
Son geste nous ébranle toujours. Il ne manque pas de heurter les convictions morales de certains d'entre nous. Alors rappelons-nous les paroles de Palach lui-même : "Je ne suis pas un suicidé !", dit-il à l'hôpital après son sacrifice. Rappelons-nous aussi qu'une de ses dernières paroles fut de demander à ses amis, de "vivre", de "continuer à lutter". Enfin, rappelons-nous la phrase d'Albert Camus : "Un exemple n'est pas forcément un exemple à suivre".
Pendant les vingt longues années au cours desquelles le pouvoir illégitime prolongea son existence, le geste de Jan Palach influença les dissidents. Je souhaite rendre hommage à leur conception exigeante du sacrifice, et à l'importance primordiale qu'ils accordaient à l'exercice d'une pensée libre, capable de chercher la vérité à l'abri du mensonge idéologique.
Il fallut attendre 1989 pour que le sacrifice de Jan Palach retentisse d'une force nouvelle. La France se souvient de cette "semaine Palach" au cours de laquelle, chaque jour, sur la place Venceslas, un hommage lui fut rendu 20 ans après sa disparition. Elle se souvient de la force de la parole de Vaclav Havel, du courage des manifestants - certains d'entre eux présents parmi nous aujourd'hui. Elle sait que ce mouvement constitua le prélude aux grandes manifestations de novembre et à la Révolution de Velours.
Jan Palach appartient à désormais à notre histoire européenne commune. Il a rejoint le cortège immense des victimes du communisme avec Milada Horakova, Jan Pato?ka, Raoul Wallenberg et le Père Popieluszko. Il a rejoint ces millions d'hommes et de femmes dont l'histoire n'a pu retenir le nom mais qui habitent notre mémoire. Rappelons-nous ces vies disparues dans le goulag, les exécutions arbitraires, ces vies brisées par les purges et les procès politiques... et ne léguons pas au siècle qui vient une histoire faussée !
L'hommage que nous rendons aujourd'hui à Jan Palach me donne l'occasion de rappeler l'attachement imprescriptible de nos deux pays, désormais liés par un partenariat stratégique, aux valeurs communes de liberté et de démocratie. Ces valeurs doivent demeurer au coeur du projet européen.
C'est une statue venue de France qui honore ici la mémoire de Jan Palach. Elle est l'oeuvre d'un artiste, András Beck, qui a lui-même connu les tragédies de l'Europe centrale du XXème siècle : né en Hongrie, Juif, socialiste engagé dans les mouvements d'avant-garde, il connut la persécution nazie, avant d'obtenir à Budapest, en 1945, la reconnaissance et les honneurs officiels. Comme d'autres de ses compatriotes, il décida de quitter son pays après l'écrasement de la révolte de 1956 par les chars de l'armée rouge.
La France lui offrit l'asile et la nationalité. Il y vécut jusqu'à sa mort accidentelle en 1985. En 1968, il fut bouleversé par le geste de Jan Palach, dans lequel il se reconnut. Il réalisa, sous le coup de l'émotion, la sculpture qui est devant nous. Pour András Beck, cette sculpture devait un jour rejoindre la Bohême. C'est aujourd'hui chose faite, grâce à l'énergie de l'association qui gère son héritage ; grâce à la ville de M?lník ; grâce aussi à la ville de Meudon ; grâce aux personnalités prestigieuses qui ont parrainé sa réalisation et son transfert ; grâce enfin à ceux qui ont généreusement apporté leur contribution financière.
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs,
Il y a quelques jours, la République tchèque succédait à la France à la Présidence de l'Union européenne. Cette succession à la tête de l'Europe n'est pas un hasard du calendrier. Elle s'inscrit dans le sens de la construction européenne, l'année même où l'on célèbrera le 20ème anniversaire de la fin de la Guerre froide.
Je souhaiterais vous dire que la France a pleinement conscience de ce que l'expérience historique exceptionnelle de la République tchèque, apporte aujourd'hui à l'Union européenne. Confrontée aux grandes tragédies du XXème siècle européen, la République tchèque éprouve une solidarité immédiate vis-à-vis des hommes et des femmes qui, aujourd'hui, luttent pour leurs libertés politiques. Cette sensibilité particulière, la République tchèque l'apporte aujourd'hui à l'Union européenne. Puissions-nous en tirer profit ! Puisse l'Europe se souvenir, comme nous le faisons aujourd'hui, du combat de Jan Palach pour la liberté !
Je voudrais rajouter un mot personnel. Je suis né en 1969. Comme ministre de la République française, comme jeune français, je peux vous dire que le geste de Jan Palach reste en France et particulièrement chez les jeunes français un exemple de l'espoir de liberté et de l'âme tchèque. Je vous remercie
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 janvier 2009